vendredi 11 mars 2011

La règle du hors-jeu

Au football, un joueur est hors-jeu lorsqu'il se situe au delà du dernier défenseur de l'équipe adversaire, et qu'un de ses coéquipiers lui transmet la balle dans cette position. Les joueurs ne sont en-jeu que s'ils se situent en deçà du dernier défenseur, de sorte qu'il leur faut soit directement dribbler le dernier défenseur, soit aller chercher le ballon en partant de la position en deçà du dernier défenseur.

Dans ce sens, le hors-jeu est tout à fait semblable à ce que l'on appelle le hors-la-loi. Le joueur en position de hors-jeu, et le coupable hors-la-loi, ont en commun d'avoir commis une faute, et d'être puni pour cette faute.
Il est donc très important de voir que le joueur en situation de hors-jeu n'est justement pas quelqu'un qui se met en dehors du jeu, mais quelqu'un qui, au sein du jeu auquel il participe, commet une faute, prévue par le jeu. Pour être véritablement hors-jeu, le joueur doit retourner au vestiaire, et enlever ses chaussures. Tant qu'il reste sur le terrain et joue le jeu, il y joue toujours, que son comportement soit correct, ou qu'il commette de nombreuses fautes. Ceci éclaire la situation du hors-la-loi : lui non plus n'est justement pas en dehors du la loi, au contraire, il la met à exécution plus que les autres en profitant, si l'on peut dire, de tout le système punitif que la loi a prévu. Le coupable n'échappe donc pas à la loi, mais il est justement soumis aux lois et procédures pénales qui ont été fixées pour lui. Que serait un véritable individu hors-la-loi? Un individu qui n'a pas de personnalité juridique, qui n'existe donc pas au regard de la loi, et qui ne peut donc pour cette raison pas agir conformément ou pas à la loi. Ce pourrait être aussi un individu qui accomplit une action si originale et surprenante que la loi n'a absolument rien prévu pour réglementer cette action. Dans un tel cas, on peut chercher à étendre la loi, à créer une jurisprudence pour ce cas précis. Mais il s'agit bien d'une extension de la loi, à partir d'une situation où un individu serait vraiment hors-la-loi.

Pour filer la comparaison du football et du droit, il faut remarquer, et ce point est extrêmement important, qu'un arbitre, à chaque fois, détermine lui-même s'il y a eu faute ou pas, et détermine aussi la sanction à appliquer. Un arbitre peut siffler la faute, ou bien estimer qu'il n'est pas judicieux de le faire, ainsi que, éventuellement, décider de punir plus fortement un joueur, qui commettrait des fautes à répétition, en lui donnant un carton. En droit, le juge a le même travail. Il détermine s'il y a eu faute ou pas, et décide ensuite quelle sanction il doit appliquer.
La présence ou l'absence de l'arbitre pourrait sembler assez peu importante. L'arbitre semble pacifier les relations entre les opposants dans le jeu, ou dans la vie. C'est l'arbitre qui évite aux joueurs de football de se disputer pour savoir si une faute a été commise ou non. Et c'est le juge qui évite aux individus d'avoir à faire justice eux-mêmes, en jugeant lui-même les cas, et en distribuant amendes, peines de prison, etc. Ceci est bien connu (le tiers qui fait cesser les conflits correspond à la sortie de l'état de nature, et l'entrée dans l'état social), et ce n'est pas le plus important.

Ce qui est plus important, c'est le fait que, dès lors qu'il y a un juge, ou un arbitre, il n'y a plus aucune possibilité de passer hors-la-loi, ou hors-jeu, sauf si le juge lui-même estime qu'un joueur s'est placé hors-jeu, ou bien estime que la partie est finie.
Prenons un autre exemple de jeu : le jeu d'échecs. Supposons que, afin de tricher, un joueur déplace subrepticement une pièce de manière incorrecte. Par exemple, il déplace une tour en diagonale, sans que son adversaire s'en aperçoive. En trichant, le joueur d'échecs est sorti du jeu d'échecs, a fait un déplacement qui n'existe pas. Il n'a donc pas réellement déplacé sa tour pendant la partie; il est sorti de la partie puis à déplacé l'objet qui tient lieu de tour, avant de retourner dans la partie, une partie qui, en fait, n'est plus vraiment la même, à cause de la rupture de la partie. Cette partie en est quasiment une nouvelle, à cause de cette pièce qui s'est téléportée à une position qu'elle ne pouvait pas prendre.
Il ne peut jamais en être ainsi, dans le droit et dans le football. Quelque soit la réaction d'un joueur, le joueur ne peut pas sortir du jeu pour le faire tourner à son avantage. Toute action accomplie par lui sera considérée par l'arbitre comme appartenant au jeu, et susceptible d'entraîner une réponse dans le cadre de ce jeu. L'arbitre peut réagir à un joueur qui prend le ballon à la main, qui se couche sur le ballon pour empêcher le jeu, ou même qui chercherait (pourquoi pas?) à casser les poteaux de son but afin d'empêcher le camp adverse de marquer. Dans tous ces cas, l'arbitre voit ces comportement comme des actions en jeu, et y réagit de la manière qui lui paraît la plus adaptée. De même en droit, si un procès est fait alors qu'aucune loi n'existe pour une certaine action, le juge pourrait créer une jurisprudence en étendant les lois actuelles, ou au contraire s'appuyer sur le principe selon lequel ce qui n'est pas interdit est autorisé. Ce principe montre très clairement son utilité : grâce à lui, le droit s'étend à toute action possible. Le droit déclare, au sujet de toutes les actions qui n'ont pas encore été interdites, que ces actions sont bien soumises à la loi, et que ces actions sont tenues pour permises.
Autrement dit, le juge et l'arbitre ne sont jamais confrontés à des situations dans lesquelles des joueurs ou des justiciables seraient hors-la-loi, car ils peuvent étendre leurs décisions à tous les cas possibles, et sont seuls juges des limites du jeu, ou de la loi.

Par conséquent, il n'y a de véritable hors-jeu que lorsqu'il n'y a aucun juge de l'application des règles du jeu ou du droit. On ne peut faire un coup impossible que si aucun arbitre ne surveille la partie. Tricher, c'est justement faire un coup impossible.
Alors que dès lors qu'il y a un arbitre, il n'y a plus d'action impossible, d'actions hors-jeu, mais il n'y a plus que des actions interdites, sanctionnées par une pénalité. L'action interdite n'est pas l'action hors-jeu, mais une action en jeu, prévue par les règles. Les règles des échecs ne prévoient pas le déplacement de la tour en diagonale, c'est un coup impossible. Les règles du football prévoient le fait de contrôler le ballon de la main, c'est un coup interdit. Et c'est justement parce qu'il y a un arbitre qu'aucune action n'est impossible. Car les règles du football, en réalité, ne sanctionnent pas le fait de toucher le ballon de la main, elles demandent à l'arbitre de siffler une faute, s'il voit un joueur contrôlant le ballon de la main. Tout ce que l'arbitre ne voit pas devient parfaitement normal, en jeu. Si l'arbitre n'a rien vu, alors tout va bien. Et l'arbitre a encore ce pouvoir, nécessaire à tout arbitre, de prendre une décision même en l'absence de consigne précise. Car il ne peut jamais laisser une situation hors-jeu.Il en est de même du juge.

Ainsi, le droit est un jeu avec arbitre, donc un jeu dont on ne sort jamais, tant que le juge n'a pas décidé lui-même de nous en faire sortir, ou tant que le travail du juge n'est pas entravé par des circonstances extérieures ou par les actions des justiciables. On ne devient hors-la-loi qu'après avoir éliminé tous les juges.

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