Pour éclaircir immédiatement ce titre dont on pourrait se demander ce qu'il a à avoir avec la philosophie, on peut noter que l'horodateur et la contravention sont tous les deux des moyens de prélever de l'argent aux automobilistes roulant et stationnant en ville. Celui qui désire se garer dans le centre d'une ville doit souvent payer quelques pièces pour avoir le droit de stationner quelques heures. Alors que celui qui s'est garé sans en avoir le droit, sans s'être acquitté du prix demandé, aura une contravention. Naturellement, la somme exigée par la contravention est bien plus grande que celle demandée par l'horodateur. La contravention ne vient pas seulement rectifier un manque à gagner, elle vient punir et dissuader.
Tout ceci est bien connu. Mais qu'est-ce que cela montre d'important? Cela permet de clarifier notre rapport au droit, à la loi, et plus particulièrement, cela vient clarifier toutes les discussions au sujet du principe du pollueur-payeur, principe très débattu dans les milieux écologistes, puisque certains y voient un moyen de dissuader les entreprises polluantes de déverser dans la nature leurs résidus, alors que d'autres n'y voient rien de moins qu'un droit à polluer, une autorisation contre espèces sonnantes et trébuchantes, de répandre des substances nocives dans les sols, les eaux ou dans l'air. Bref, pour les uns, ce principe est un droit à polluer, pour les autres, c'est au contraire une sanction contre les pollueurs. Mais qui croire?
En réalité, opposants et partisans ont tous les deux raison dans une certaine mesure. Et une meilleure compréhension du droit peut facilement nous le faire comprendre. Qu'est-ce en effet qu'une sanction pénale? C'est l'application d'une procédure qui nuit, physiquement (privation de liberté, travaux d'intérêts généraux, etc.), moralement (peines avec sursis, inéligibilité, dégradation de la nationalité, etc.), ou financièrement. La contravention tombe dans la dernière catégorie. Elle est une nuisance financière portée envers l'automobiliste pour avoir stationné sans autorisation. Donc la contravention est bien une sanction, une punition. Personne ne souhaite perdre son argent.
Pourtant, comment ne pas voir que la contravention est plus que cela. Car rien ne nous interdit de la voir comme une autorisation à se garer en dehors des zones autorisées, ou sans prendre la peine d'aller chercher une ticket à l'horodateur. La contravention est certes plus chère qu'un ticket. Mais elle offre le droit de rester garé bien plus longtemps, et permet de se garer n'importe où (la limite de ce droit étant bien sûr l'éventuel passage de la fourrière, qui viendrait tout gâcher...). Autrement dit, quelqu'un de riche, qui ne regarde pas à la dépense, pourrait très bien se donner le droit de se garer où il le désire, justement parce qu'il est prêt à assumer le prix de la contravention.
Je veux donc dire par là que toute punition, toute sanction, est toujours en même temps le droit de commettre une certaine action. Le débat des écologistes est en fait un problème beaucoup plus général de philosophie du droit. Après tout, celui qui ne redoute pas de passer quinze ans en prison a parfaitement le droit de tuer quelqu'un! Le droit n'interdit rien, il ne fait qu'annoncer que tel acte sera suivi de telle procédure policière ou judiciaire.
Ainsi, on peut maintenant départager nos opposants sur le principe du pollueur-payeur, simplement en repensant au cas de l'automobiliste. Pour lui, il y a des différences de quantité qui deviennent des différences de qualité : payer un euro pour stationner une heure est acceptable, payer vingt euros ne l'est plus. C'est pour cela que la première sanction n'est pas vue comme une sanction mais comme un droit de se garer. Et c'est pour cela que la deuxième sanction, elle, est vue comme une sanction. Quand le droit d'accomplir une action est si cher que personne ne se permet de prendre ce droit, alors nous ne parlons plus de droit de faire quelque chose, mais de sanction. Car, alors, la somme exigée devient dissuasive.
Entre une sanction contre les pollueurs et un droit à polluer, il n'y a donc qu'une différence quantitative, mais aucunement une différence qualitative. Le principe du pollueur-payeur n'est pas un principe, ce n'est rien du tout. C'est seulement l'instauration d'un nouveau prélèvement financier sur certaines actions. Si ce prélèvement est faible, on le verra donc comme un droit de polluer; s'il est très élevé, on le verra comme une sanction. Inutile donc de débattre de ce principe, le seul débat à avoir est celui du niveau du prélèvement. Il s'agit seulement de trouver le niveau qui ait l'effet souhaité. Voulons-nous arrêter absolument toute pollution, comme nous voulons arrêter tout meurtre? Alors le fait de polluer doit coûter de la prison ferme. Voulons-nous seulement que les pollutions soient rares, réservées aux plus riches? Alors le fait de polluer doit coûter de grosses sommes. Voulons-nous au contraire seulement récupérer un peu d'argent, pour combler les déficits de l’État? Alors le tarif doit rester raisonnable, de façon à ne pas dissuader les entreprises de polluer. Bref, nul question de principe ici, juste question d'ajustement des niveaux de tarification.
Obtenir un droit et être sanctionné sont donc des opérations de même nature. On obtient un droit lorsque les coûts sont inférieurs aux bénéfices escomptés. On subit une sanction lorsque les coûts sont supérieurs aux bénéfices escomptés. Il ne faut donc pas prendre des différences dans l'expérience subjective pour des différences réelles. Certes, avoir un droit nous satisfait, subir une sanction est douloureux. Pourtant, il s'agit d'une opération de même nature. Le droit n'est rien d'autre que cette distribution habile des coûts et des bénéfices, distribution destinée à modifier les comportements humains.
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