
Ce film est souvent moqué pour son manichéisme. Il y aurait d'un côté les personnages absolument bons, et de l'autre des personnages absolument mauvais, sans laisser de possibilité à toutes les nuances intermédiaires, ni à des positions qui ne soient ni celle des jedi, ni celle des sith. Au fond, Star Wars serait un peu l’interprétation manichéenne de la guerre froide entre les États-Unis et l'URSS, abstraction faite du Tiers-Monde. Et d'ailleurs, on remarquera que les jedi ont le bleu pour couleur dominante (le bleu étant la couleur de leur sabre laser), couleur associée aux libéraux. Alors que les sith ont le rouge pour couleur dominante (ce rouge étant aussi la couleur de leur sabre laser), et le rouge est la couleur traditionnelle du communisme. Bref, Star Wars rejoue au cinéma un conflit très binaire entre les bons et les mauvais, à savoir, le conflit des Etats-Unis et l'URSS.
Or, je voudrais montrer que ce reproche de manichéisme ne tombe pas très juste, et s'il y a quelque chose qui distingue Star Wars de la réalité, ce n'est pas l'opposition binaire des bons et des méchants. En fait, je ne vois rien, dans la réalité, qui s'opposerait à une telle lecture. Même sans être un très grand partisan des droits de l'homme, on jugera de manière plus favorable un pays qui organise des discussions publiques, permet les manifestations et grèves, procède à des élections, qu'un pays qui tire à balles réelles sur la foule, ou organise des politiques d'élimination des opposants politiques, ou des groupes culturels. Bref, une grande partie des problèmes politiques contemporains peuvent être lus en termes de bien et de mal. Là encore, je ne prétends pas que cette lecture est la mienne, je prétends seulement que cette lecture est défendable. Une conception "Star Wars" de la politique n'a rien d'invraisemblable.
Sur quel aspect Star Wars est-il, par contre, moins réaliste (ce qui n'enlève rien à sa réussite cinématographique, au contraire)? C'est sur le fait que les positions de chacun sont aussi évidentes, aussi conscientes, aussi bien délimitées que les couleurs des sabres laser. Dans un Star Wars, le camp des personnages est toujours parfaitement défini, et cela se voit, justement, à la couleur de leur arme. Les gentils ont un sabre bleu ou vert, les méchants un sabre rouge. Il est donc très facile de savoir dans quel camp on se situe. Quant à Anakin Skywalker, qui change de camp progressivement, il garde certes son sabre vert de jedi, mais il dispose rapidement des pouvoirs des sith, change son nom, etc. Bref, il sait lui-même immédiatement de quel côté il se situe. De même, les sith passent beaucoup de temps cachés sous des allures respectables, mais il s'agit seulement de déguisements, de masques. Eux savent très bien ce qu'ils sont.
Voilà ce qui est profondément irréaliste dans Star Wars : le fait de pouvoir savoir, dans le moment présent, dans quel camp nous nous situons; et deuxièmement, le fait de pouvoir choisir ce que nous nous représentons comme le camp du mal. D'une part personne ne choisira jamais consciemment le camp du mal. Et d'autre part, personne n'a de claire conscience d'où finit le camp du bien, et d'où commence le camp du mal. Autrement dit, ne pas être manichéen, ce n'est pas dire que les camps ne s'opposent pas de manière binaire, c'est plutôt dire que nous ne voyons jamais exactement où passe cette limite. Dans l'action présente, nous ne savons jamais si ce que nous faisons est bien ou mal. Nous pensons toujours que c'est bien (c'est la condition de toute action), mais nous n'avons pas forcément raison. Il se pourrait que nous ayons tort, et que nous ayons en fait servi le mal, sans nous en rendre compte.
Ainsi, si le mal est obscur, invisible, et se cache, ce n'est pas seulement parce que les bandits aiment l'opacité pour commettre leurs méfaits, c'est plutôt parce que ce qui est mal n'est jamais vraiment discernable, que nous ne voyons jamais clairement ce qui est mal, et c'est pourquoi nous le faisons souvent, avec les meilleures intentions. Beaucoup de mal est souvent fait, mais il se fait toujours avec de bonnes intentions. Nous voyons toujours le bien dans nos actions, le mal nous apparaît seulement dans les actions des autres. Et pourtant, souvent, les autres ont raison, et nous avons mal agi, alors que eux, bien agi.
Cela signifie que le mal n'apparaît vraiment qu'au passé, comme ce qui s'est révélé mauvais. Dans le présent, la distinction entre le bien et le mal est floue, invisible, et faire son choix, parmi la palette d'actions et d'engagements possibles, est toujours difficile. Une fois que l'histoire a été écrite, nous comprenons qu'il fallait être pour l'abolition de l'esclavage, pour l'égalité des hommes et des femmes, contre le nazisme, contre la guerre en Irak, contre les expulsions de sans-papier, contre le nucléaire civil, etc. Mais sur le moment, les choix sont toujours plus difficiles. On le ressent très bien : plus les exemples sont contemporains, plus on a l'impression qu'ils sont discutables, parce que la frontière entre le bien et le mal n'est pas encore apparue clairement. Dans cent ans, lorsque les débats auront été menés à leur terme, les décisions qu'il fallait prendre nous paraîtront évidentes. On se demandera même comment une frange non négligeable de la population pouvait penser le contraire. C'est ainsi que nous n'arrivons même plus à comprendre comment on pouvait être esclavagiste, pour l'enfermement des femmes à la maison, pour les nazis, etc.
Je vais donc conclure ce post sur une note assez pessimiste : le bien et le mal, notions rétrospectives, ne nous apparaissent que lorsque nous n'en avons plus besoin, lorsque les problèmes ont déjà été résolus. Ces notions viennent toujours trop tard. L'esclavage devient un crime au moment où plus personne ne le pratique, le nazisme devient un crime au moment où les Alliés ont triomphé, la femme devient égale à l'homme au moment où elle a déjà conquis l'essentiel de ses droits. Lorsque nous aurions besoin d'un guide pour notre action, nous ne savons pas ce qui et bien ou mal. Et lorsque nous n'avons plus besoin de rien, alors nous le voyons enfin. C'est donc toute la différence avec Star Wars, dans lequel des personnages ont conscience d'avoir choisi le camp du mal. Dans notre monde, personne ne pense avoir choisi ce camp, et seul l'histoire, au passé, nous montre que certains l'ont pourtant pris.
Petite erreur dans cet article. Dans l'univers Star Wars il est faux que les siths choissisent toujours sciemment le "mal", mais au contraire, sont convaincus d'oeuvrer pour le "bien" selon eux ! Souvenez-vous du combat entre Anakin et son maître Obi-Wan Kenobi du film "la revenge des siths", lors de leur affrontement ils se disent à un moment donné l'un à l'autre
RépondreSupprimer"Obi-Wan : Je t'ai perdu Anakin, je t'ai perdu.
Anakin : J'aurais dû comprendre que les Jedi complotaient contre le chancelier!
Obi-Wan : LE CHANCELIER C'EST LE MAL ABSOLUS, TU LE SAIS MAINTENANT
Anakin : POUR MOI LE MAL ABSOLUS CE SONT LES JEDI, C'EST VOUS !
Obi-Wan : Tu es perdu alors!
Comme quoi, même les siths peuvent croire qu'ils oeuvrent, eux, pour le bien !