jeudi 17 décembre 2015

Comment une raison peut-elle être suffisante?

Tout d'abord, je précise que je ne souhaite pas parler de tous les domaines théoriques dans lesquels on peut donner des raisons formelles pour prouver quelque chose. La logique, les mathématiques, l'économie (dans une certaine mesure), sont des disciplines dans lesquels les arguments peuvent prendre la forme de preuves logiquement valides, qui ne se prêtent donc pas du tout à l'interprétation, au doute, etc. Je voudrais ici parler des tous les secteurs du savoir dans lesquels nous donnons des raisons, et où ces raisons peuvent être bonnes ou mauvaises, suffisantes ou insuffisantes, sans que l'on puisse parler de preuve formelle. Par exemple, en histoire, on explique telle révolution par les abus du pouvoir qui prélevait trop d'impôt ; en sociologie, on explique la hausse des pathologies du travail par des méthodes de management moins directives mais qui maintiennent de très fortes exigences de productivité ; dans la vie ordinaire, on explique son choix d'avoir acheté du pain aux figues plutôt que de la baguette ordinaire par le fait qu'on doit le servir avec du foie gras, etc.
Toutes ces explications ont ceci en commun : elles nous satisfont, et en ce sens elles sont suffisantes. Pourtant, elles n'excluent pas les possibilités qui les rendraient fausses. Elles ne sont pas nécessairement vraies. Et c'est pourquoi, dans un sens plus fort de suffisant, elles ne sont pas suffisantes, puisque n'importe qui est libre de les rejeter s'il soulève une de ces possibilités non exclues, et estime que celle-ci est importante pour expliquer le phénomène en question. Ainsi, en histoire, on pourrait signaler que le tyran avait un très large soutient populaire, et que la question fiscale ne peut pas tout expliquer. En sociologie, on pourrait pointer le fait que dans les entreprises où les salariés sont indépendants, ils sont aussi plus heureux que dans les entreprises plus tayloriennes. Enfin dans l'explication ordinaire, on pourrait dire que l'acheteur du pain aux figues l'a surtout acheté pour le manger seul parce qu'il adore les figues, et qu'il se fiche pas mal de le servir avec le foie gras.
Ma question est donc la suivante : comment des raisons peuvent-elles être satisfaisantes alors qu'elles ne sont pas suffisantes, puisqu'elles n'excluent pas les possibilités qui les rendraient nulles? Comment peut-on se contenter de ce qui pourtant ne marche pas? 

J'ai axé mon propos sur les raisons que l'on donne pour justifier l'existence d'une action, d'un événement, etc. Mais cela vaut tout aussi bien pour le simple fait de raconter une histoire, construire un récit. Car un récit aussi repose sur des raisons qui expliquent le déroulement des péripéties. Donner des raisons, ici, c'est rendre compréhensible. Il s'agit toujours d'utiliser des théories ou des entités inobservables pour donner un sens à l'ensemble des faits observables. En effet, les faits observables ne portent pas en eux-mêmes leur sens. On peut avoir établi tous les faits historiques, on n'a pas encore dit pourquoi untel ou untel a eu lieu. Dire pourquoi, c'est toujours en mettre certains en avant, en minorer d'autres, et tracer une histoire qui rende l'ensemble suffisamment linéaire pour être lisible, compréhensible. 
Parfois, l'inobservable se réduit à peu de choses, mais il consiste au moins à établir un lien entre deux événements, lien de nature logique, là où l'histoire ne montre que des successions chronologiques. La conjonction n'est pas une causalité. Et même une conjonction constante, malgré Hume, n'est pas non plus une causalité, car il y a un nombre infini de choses qui succèdent à d'autres, sans que nous acceptions de dire que l'une est la cause de l'autre. Attribuer une cause, c'est établir une explication là où il y en a besoin. Ainsi, l'évaporation de l'eau dans les océans précède et cause l'apparition des nuages, parce que ces nuages ont besoin d'être expliqués, ce n'est pas évident. Mais personne ne dirait que la goutte de pluie à 30 mètres du sol est la cause de la goutte de pluie à 10 mètres du sol, bien qu'il y ait conjonction constante entre la goutte à 30 mètre et la goutte à 10 mètres. C'est qu'ici, personne n'attend une explication, et on ne parle pas de causalité. On peut évidemment, à la manière de Russell, explicitement définir la causalité comme succession chronologique immédiate et nécessaire. Dans ce cas, mon exemple de la goutte ne marche pas, et la goutte à 30 mètres est la cause de la goutte à 10 mètres (cause indirecte, car il faudrait ajouter toutes les gouttes intermédiaires). Mais cela revient à réviser totalement la notion ordinaire de cause, afin de la faire entrer par force dans un modèle humien qui ne lui convient pas. Les successions chronologiques n'exigent aucune explication, et ne fournissent aucune explication non plus. Elles ne font que se constater empiriquement. Au contraire, une explication causale explique des événements, et demande aussi parfois des explications supplémentaires, pour montrer que l'explication en question est pertinente (par exemple, pour expliquer que l'évaporation de l'eau cause les nuages, il faudra parler de l'effet du soleil sur l'eau, de pression atmosphérique, etc.).
Du point de vue qui est le mien ici, la différence tout à fait pertinente entre causes et raison n'a pas lieu d'être. Une cause est une raison de l'existence d'un événement naturel. Et une raison au sens étroit est un motif pour lequel une personne a agi. Peuvent donc compter comme des raisons aussi bien des forces physiques que des intentions. La raison de la formation des nuages est le phénomène de condensation. La raison de l'achat du pain aux figues est l'intention de le servir avec le foie gras. Dans les deux cas, on utilise l'inobservable comme principe d'explication de l'observable. On pourrait rétorquer que la condensation s'observe, mais elle s'observe au même titre que les intentions. On en voit les instances, mais pas la condensation elle-même, ni l'intention elle-même. On voit des gouttelettes d'eau se réunir en nuages, mais pas la condensation.

Les explications par les raisons ont une fonction, elles nous rendent compréhensibles les choses, et en un sens, prévisibles. Mais c'est une prévisibilité de nature spéciale, puisqu'elle est davantage contrefactuelle qu'empirique. Quand je sais qu'une personne cherche du pain pour le foie gras, je ne peux absolument pas prédire ce qu'elle va faire, mais je peux indiquer assez précisément les comportements possibles qu'elle peut adopter. Si elle cherche du pain, je peux dire qu'elle ne va pas s'arrêter devant une boulangerie industrielle. Je peux aussi dire qu'elle ne s'arrêtera pas dans un autre type de boutique. Je peux encore dire qu'elle n'achètera pas un pain qui n'irait pas avec le foie gras. Pour le dire précisément, ma connaissances des raisons d'agir me donne une indication précise de ce que je peux attendre de la personne, des conduites normales de cette personne.
Or, c'est évident, la personne ne va pas forcément adopter la conduite normale. Il y a toujours des différences entre ce que fait la personne, et ce qu'elle devrait faire. Supposons alors que cette personne, au lieu d'aller dans une boulangerie, s'arrête devant une bijouterie, puis y entre. Ici, les raisons que je donne à cette personne sont prises en défaut. Alors que je pouvais encore me contenter de la raison selon laquelle elle a l'intention d'acheter du pain, je ne le peux plus désormais. La raison devient insuffisante. Il faut donc rétablir de la normalité en ajoutant de nouvelles intentions d'agir. Je vais préciser, par exemple, que cette personne comptait aussi acheter une bague à sa compagne. Elle fait donc un détour avant d'aller à la boulangerie. De cette façon, le comportement de la personne redevient normal. La personne voulait acheter du pain et une bague, et elle profite de son passage devant une bijouterie pour le faire.
Evidemment, ce travail de réinterprétation n'est jamais fini. C'est justement pour cela que les explications par les raisons peuvent être suffisantes, mais ne peuvent jamais être formelles et absolues. Les raisons ne peuvent jamais spécifier à l'avance toutes les réactions normales à tous les types de situation. Non pas seulement parce que les hommes seraient libres. Mais d'abord parce que de telles raisons seraient infinies, et c'est une infinité qui ne paraît pas du tout spécifiable selon les techniques qui prennent en charge l'infini dans d'autres disciplines (notamment, la définition générale, ou bien la récursivité). Une raison d'agir ne peut pas être spécifiée par une règle générale sans exception. Il y a sans cesse dans le monde des événements non prévisibles qui obligent à introduire des modifications par rapport à la règle générale (admettons que la personne doive acheter une bague et du pain. Cette intention serait révisée s'il y avait le feu à la ville, si ses amis annulaient le repas de Noël, si sa femme le quittait, s'il s'aperçoit qu'il a perdu son porte-monnaie, etc.). Quant à la fixation des raisons de manière récursive, cela paraît impossible parce principe. Parce que les raisons sont sensibles aux phénomènes intensionnels, au holisme, etc. et qu'il est simplement impossible d'énumérer mécaniquement des conditions et des réactions. C'est d'ailleurs pour cela que le comportement de l'agent rationnel en économie peut être parfaitement spécifié alors que l'agent de la vie ordinaire ne peut pas l'être. En effet, on peut exprimer par une fonction les variations d'un paramètre en fonction d'un autre (par exemple, la demande en fonction du prix), mais on ne pourrait pas faire une telle chose avec des événements qualitativement différents.
Je peux donc conclure qu'une raison est suffisante tant que les faits ne la mettent pas en défaut. Une raison est bonne si ce qu'elle tient pour normale est ce qui a lieu en fait. Une raison devient insuffisante à partir du moment où ce qu'elle tient pour normale n'a pas lieu. Il faut donc proposer quelque chose de plus que ce qu'on a déjà indiqué. Mais parce que la spécification complète est impossible, nous sommes toujours dans un intermédiaire entre l'insuffisant et l'absolu, à savoir la zone du suffisant.

Mais il faut encore préciser qu'il y a une dimension anthropologique, ou ethnologique, très forte dans la qualité des raisons qu'on peut donner. En effet, donner une raison à quelqu'un, c'est lui suggérer les scénarios possibles pour l'avenir. Mais cette suggestion n'est pas une formulation explicite. C'est à la personne qui écoute de comprendre ce que le locuteur suggère. Comprendre ce que signifie avoir telle intention relève donc d'un arrière-plan culturel qui doit être commun entre le locuteur et l'auditeur. Un amazonien débarquant en Europe ne saurait pas le type de mondes possibles que déterminent l'attribution de l'intention de trouver du pain pour le foie gras. Il ne saurait donc pas spécifier les situations normales et celles qui s'en éloignent. A l'inverse, si deux Européens parlent d'aller chercher du pain, les deux savent tout de suite à quels scénario ils peuvent s'attendre. Si le mot n'était pas devenu aussi galvaudé, on pourrait parler de forme de vie. Une forme de vie est le fait de partager cet arrière-plan culturel qui nous permet d'envisager les explications par les raisons d'une manière à peu près semblable. Dit autrement, avoir la même forme de vie, c'est se représenter le normal et l'anormal de façon semblable, ou envisager les récits possibles de façon semblable. Si je dis à quelqu'un que je vais chercher du pain, il partage ma forme de vie s'il comprend que je vais en ville trouver une boulangerie, sauf s'il y a le feu ou qu'on me vole mon porte-monnaie. Il ne partage pas ma forme de vie s'il s'imagine que je vais chercher de la farine puis que je vais au four municipal pour pétrir et faire cuire moi-même du pain.
La dimension anthropologique de la notion signifie que notre arrière-plan culturel est constitué d'éléments faisant référence à notre condition biologique. Chaque fois que nous avons affaire à un homme, fût-il en Amazonie, nous nous attendons à ce qu'il chasse ou cueille ou cultive la terre pour se nourrir, nous attendons de lui qu'il ait des amis, une famille, un groupe politique, nous envisageons des pratiques culturelles ou cultuelles. Nous avons donc cet horizon d'attentes lorsque nous avons affaire aux autres, et c'est pourquoi nous sommes capables de les comprendre. Nous pouvons définir des scénarios fixant ce qui est pour eux normal ou anormal. Par exemple, nous voyons un Guayaki du Paraguay partir le matin avec son arc. Sans même lui demander, nous anticipons qu'il va chasser. Nous avons donc compris son action au moyen de notre arrière-plan commun. Mais bien sûr, un arrière-plan réduit à notre condition biologique serait très insuffisant. Notre arrière-plan contient aussi énormément de données relatives à notre société. Et à chaque fois, cela nous indique comment construire des récits qui donnent une signification aux choses qui arrivent. Et, pour revenir aux explications causales, c'est aussi cet arrière-plan qui indique ce qui doit être expliqué par une cause, et ce qui n'est que la succession chronologique d'un unique événement. 

vendredi 4 décembre 2015

Dire n'est pas faire

Il existe une théorie célèbre des performatifs, selon laquelle dire quelque chose, dans des conditions déterminées, fait quelque chose dans le monde. L'exemple courant est celui du mariage : quand un maire célèbre un mariage et déclare les futurs époux mariés, le maire ne décrit rien, ne prescrit rien, il fait quelque chose, à savoir marier les époux. Il est facile de trouver de nombreux autres exemples dans lesquels des actes de parole ont ce statut performatif. A chaque fois, la performativité obéit à des conventions sociales qui la rend possible. Si ces conventions sociales ne sont pas respectées, l'effet n'a pas lieu, rien n'est produit. Par exemple, si ce n'est pas le maire mais seulement un adjoint qui célèbre le mariage, le mariage n'est pas effectif. De tout ceci, on pourrait tirer l'idée que la performativité est une opération de nature causale, qui requiert certains composants pour être réalisés. Les composants sont donnés par les conventions. Et si tous ces composants sont présents, l'effet s'ensuit nécessairement. 
Je voudrais montrer que cette représentation causale des performatifs n'est pas du tout satisfaisante, et qu'une conception plus adéquate doit lui être substituée. Je l'appellerai conception normative des performatifs.

Imaginons une entreprise composée de plusieurs salariés et du patron. Le patron souhaite organiser une réunion. Il annonce un lieu, une date et un motif pour cette réunion. Puis, une fois tout le monde réuni, le patron déclare la réunion ouverte. Ce faisant, il ouvre en effet la réunion. Mais il faut comprendre précisément ce que cette expression signifie. Elle ne signifie pas que le patron a causé l'existence de la réunion. Car on peut imaginer la variante suivante : les employés sont très mécontents de la manière dont ils sont payés. Frustrés, ils décident de ne pas se rendre à la réunion organisée par le patron, et d'aller plutôt dans une autre salle, discuter des solutions à apporter à ce problème. Ils organisent donc leur réunion parallèle, et pris par le sentiment de leur puissance (s'ils s'arrêtent de travailler, l'entreprise est paralysée), déclarent la hausse de tous les salaires des employés. Le patron, étonné de ne voir personne à sa réunion, se rend dans l'autre salle et trouve ses salariés. Il apprend ce qui a été proclamé et se scandalise. Il est hors de question pour lui d'augmenter les salaires.
De cette petite fiction, on peut tirer quelques conclusions. Tout d'abord, si on s'en tient à un niveau purement factuel, la réunion a bien eu lieu. Elle a simplement eu lieu dans la salle décidée par les employés, et non celle qui a été décidée par le patron. Quant au patron, il n'a tout simplement pas pu faire sa réunion, puisque personne n'y était présent à part lui. Autrement dit, les conventions sociales déterminant ce qui compte comme une réunion n'agissent pas à ce niveau purement factuel. Ces conventions exigent qu'une autorité proclame l'ouverture de la réunion, alors qu'en fait, il suffit qu'un groupe d'individus se rassemble et discute ensemble pour que la réunion ait lieu. Inversement, le patron a beau satisfaire les conventions sociales pour ouvrir une réunion, puisqu'il a l'autorité nécessaire, il a tout simplement échoué à faire exister la réunion, puisque personne n'est venu. 
Mais il existe un second niveau. C'est un niveau normatif. Sur ce plan, la question n'est plus de savoir si la réunion a eu lieu ou pas, mais de savoir si elle est valide ou pas. Une réunion sauvage organisée par des salariés sans l'accord du patron est invalide. Mais une réunion invalide reste, dans une certaine mesure, une réunion. Simplement, il lui manque la légitimité en termes normatifs. Inversement, le patron avait l'autorité pour donner la validité à sa réunion. Mais cette validité n'a plus guère de sens, si personne ne vient. En un sens, le patron a bien fait réunion, et il peut même dire légitimement que la réunion a bien eu lieu et qu'il a pris les décisions tout seul. Cependant, c'est alors un usage un peu limite de la notion de réunion, puisqu'on estime quand même qu'une réunion doit rassembler factuellement les gens, pour en être une. Il ne suffit pas d'avoir l'autorité d'imposer des normes. Il faut que les normes s'appliquent à quelque chose. 
Je conclus de cela la chose suivante : les actes de parole performatifs qui consistent à proclamer ouverte une réunion n'ont pas pour fonction de faire exister la réunion, mais de transformer une réunion réelle en une réunion légitime, valide. La parole performative ne fait rien passer à l'être, elle accorde un statut normatif. Au lieu de dire "vous êtes maintenant mariés", le maire aurait pu dire "votre union de fait est maintenant légitime". Le patron, au lieu de dire "la réunion est ouverte" aurait pu dire "je reconnais la légitimité de cette réunion".

Pour confirmer ma conclusion, il faut montrer que les performatifs agissent toujours dans des domaines où ce qui a lieu peut être valide ou invalide. Si les performatifs avaient un effet causal, ils pourraient avoir lieu dans des domaines où les notions de validité et d'invalidité n'ont pas cours, et où la seule question serait de savoir si une chose existe ou pas. Or, il me semble qu'il n'y a aucun exemple dans lequel un performatif fait passer quelque chose à l'existence. Dans tous les exemples de performatifs, ce qui est en question n'est pas une existence, mais un statut normatif. J'ai déjà parlé des réunions, et du mariage. Dans les deux cas, on peut faire une réunion informelle, et on peut vivre en concubinage, ou bien faire une réunion officielle, et se marier. C'est la dimension normative qui fait la différence. Je pourrais aussi parler de la promesse. Quand je promets quelque chose à quelqu'un, j'accomplis un acte de parole performatif : je m'engage à ce que les choses soient bien comme je le dis. Or, la promesse aussi est une opération de nature normative. La promesse n'est pas une prédiction, qui serait la description de l'avenir. La promesse est le fait de se tenir responsable de ce qui aura lieu à l'avenir, de sorte que, si les événements ne se passent pas comme prévus, nous n'avons pas fait erreur (au sens de l'erreur de prédiction), mais une faute qui engage notre responsabilité morale. Pour le dire précisément : par la promesse, certains événements naturels se retrouvent chargés d'un statut normatif, ces événements pouvant confirmer que notre promesse a été suivie, ou au contraire montrer que notre promesse n'a pas été tenue. Autre exemple de performatif (que Austin tient pour un cas limite) : le fait de dire "je déclare que ...". En ajoutant "je déclare" à un énoncé quelconque, on créé un statut normatif. On se rend responsable d'une phrase, qu'autrui pourrait nous reprocher éventuellement. Alors que sans avoir dit "je déclare", nous serions encore libres de dire que nous ne nous reconnaissons pas dans ce que nous avons dit (parce que, par exemple, nous avons parlé sans réfléchir, ou dans l'énervement, etc.). Après avoir dit "je déclare", nous ne pouvons plus échapper au jugement. C'est parce que nous avons fait entrer nos paroles dans un espace normatif, un tribunal. 
Changeons maintenant de registre d'exemple. Il y a certaines formes de performativité qui ne relèvent pas d'actes de parole précis, mais plutôt d'actions précises. Par exemple, si un billet de banque sort de mon imprimante, ce n'est pas un vrai billet. S'il sort de l'imprimante de la Banque de France, il s'agit d'un vrai billet. Là encore, il est évident que ce n'est pas parce que la Banque de France aurait un pouvoir causal que je n'aurais pas qu'elle seule peut produire de vrais billets. Avec une imprimante adaptée et le bon type de papier, mon pouvoir causal serait exactement le même. Mais il me manque le statut légal pour que le billet que je produis soit aussi un billet valide. La banque de France ne fait donc pas la monnaie, elle fait la monnaie légale, valide. Par le fait que ce soit elle qui le fait, ce qu'elle fait est valide. Alors que toute autre personne qui le fait le fait aussi, mais le fait de manière invalide. 
Ainsi, faute d'exemple montrant le contraire, il me semble qu'on peut conclure qu'un performatif ne consiste pas à faire quelque chose, mais à donner une validité à ce qui est fait. Et c'est parce que le performatif relève de la validité normative et non pas de la production empirique d'événements que la performativité est intrinsèquement lié à des champs sociaux régis par des conventions, règles, etc. S'il n'y a pas de performativité dans la nature (alors que, comme l'explique Austin, les effets perlocutoires du langage sont plutôt, eux, du côté naturel), c'est parce que la performativité consiste à attribuer de la validité, et personne ne peut faire cela s'il n'a pas déjà reçu l'autorité conférée par des normes préalables.