samedi 17 novembre 2012

Langage et liberté

Je voudrais ici montrer que le grand projet naturaliste d'expliquer la totalité des comportements humains par les sciences naturelles, qui revient à nier la liberté humaine, ne marche pas. Et pour ce faire, je voudrais prendre l'exemple de la pratique du langage, qui me semble le cas le plus simple d'une activité qui mobilise des notions dont on ne peut rendre compte avec les sciences physiques. Ces notions là sont celle de personne, de liberté, de norme. Sans elles, il est impossible de décrire correctement les actes de parole, et les sciences ne peuvent pas les réduire à des concepts naturels.

Par sciences naturelles, j'entends l'ensemble des disciplines qui expliquent l'existence d'évènements au moyen d'autres évènements, selon un lien de causalité. Ce lien se caractérise de la façon suivante :
1) il établit une succession chronologique immédiate (la cause est immédiatement antécédente à l'effet)
2) il établit une relation strictement nécessaire (si la cause est présente, alors il est nécessaire que l'effet soit aussi présent).
3) il établit que la cause est bien le mécanisme responsable de l'apparition de l'effet (étant entendu qu'une corrélation n'est pas une causalité, et est une relation moins forte). 
4) il établit une raison suffisante de l'effet (quelles que soient les choses par ailleurs, si la cause est présente, alors l'effet est aussi présent).
La causalité permet donc à la fois une prévisibilité totale, et une explication complète des phénomènes. Si l'on connaît la cause d'un effet, alors on peut prédire avec certitude que, si on voit la cause, alors l'effet va suivre immédiatement. Dans une conception positiviste des sciences, on prétend que celle-ci se limite à prédire les phénomènes, donc à établir des lois de succession des évènements. La causalité se limiterait donc aux points 1 et 2. Mais c'est incorrect, parce que la démarche scientifique consiste aussi à donner une explication des phénomènes, donc la raison de leur existence, ce à quoi on parvient justement en accomplissant les exigences 3 et 4. Si l'on ne peut pas montrer que telle chose est bien la cause, et pas seulement un phénomène corrélatif, ou bien une simple condition nécessaire mais insuffisante de l'effet, alors l'explication scientifique n'est pas complète. 
Pour en venir au langage, l'exemple le plus simple de dispositif causal pouvant faire penser au langage est celui du piano. Un piano est capable de délivrer une large palette de notes, et la note qu'il émet est déterminée causalement par la touche qu'enfonce le pianiste. Le piano n'est donc pas une personne, il n'est pas libre, il ne parle pas. Il ne fait qu'émettre des sons en suivant une loi causale simple reliant la pression des touches à la vibration des cordes. On pourrait aussi prendre comme exemple un ordinateur qui "parlerait", en envoyant vers les haut-parleurs un signal électrique induit par les autres signaux électriques au sein du processeur et de la mémoire (le fait que nous humains ayons besoin d'un langage machine ou d'un langage de plus haut niveau pour intervenir sur ces signaux électriques ne change rien à l'affaire). Là encore, l'ordinateur ne parle pas, il émet des sons parce qu'il est causalement déterminé à le faire ainsi.

Passons maintenant aux pratiques linguistiques des êtres humains. Il est évident que les hommes ne parlent pas n'importe comment. Dans certaines circonstances, ils répondent presque invariablement de la même manière. Si l'on dit cent fois "bonjour", on est à peu près certain de recevoir en retour cent "bonjour" de la part de son interlocuteur. De même, dans une discussion, le propos présent est déterminé par le propos passé, selon un lien logique, ou parfois une association d'idées plus indéterminée. Néanmoins, on ne retrouve aucun des quatre points mentionnés au sujet de la relation de causalité. La succession chronologique immédiate n'a aucun sens pour le langage. La relation n'est pas nécessaire, il y a de nombreuses déviations qui n'ont pas de raison apparente (par exemple "salut" à la place de "bonjour"). La parole précédente n'est pas toujours responsable de la suivante : il se peut que l'on assiste à un dialogue de sourd, ou qu'un sujet s'arrête et que l'on entame un nouveau sujet. Et il n'y a pas non plus de raison suffisante. Un propos passé permet toujours une variété de réponses possible.
En conclusion, on peut dire, au moins à titre d'observation, que la causalité physique n'a plus cours dans les analyses du discours. Plus précisément, même si les dialogues étaient en réalité pilotés par une causalité physique, il faudrait la situer dans des mécanismes extérieurs au langage lui-même, extérieurs aux propos tenus. Ce serait donc dans les corps ou dans les cerveaux que l'on trouverait les raisons de tel ou tel propos tenu. Mais la causalité ne dépendrait pas du contenu symbolique du message, mais seulement de son effet physique, organique, sur l'interlocuteur. Bref, le symbolique exclut la causalité. Si la manipulation des signes était déterminée par des causes, elle perdrait sa nature même. Les sons émis par la voix cesseraient d'être des symboles, pour devenir des parties d'un phénomène global incluant les dispositions organiques, l'état du cerveau, le larynx, phénomène qui n'a en lui-même aucun sens. C'est tout à fait semblable au son émis par le piano, qui n'est pas un symbole de la vibration des cordes, mais est une partie du phénomène global, de vibration avec émission d'une onde sonore venant frapper les tympans.

Je crois qu'il faut insister très lourdement sur cette idée, tant elle choque le bon sens. Qu'est-ce qu'un signe? Ce peut être un objet, un geste, un son de la voix, une marque sur du papier, etc. Un signe est d'abord et toujours quelque chose qui appartient au monde physique (la linguistique parle de signifiant, mais je ne souhaite pas reprendre cette terminologie, à cause de la notion de signifié, qui lui est associée, et qui est trop délicate à manier). Mais en plus d'être cette chose physique, un signe porte aussi une norme (un concept). Cette norme a deux versions, une pour les noms propres, une pour les noms communs :
1) pour les noms propres : le signe "a" doit être utilisé seulement pour désigner l'individu a.
2) pour les noms communs : le signe "F" doit être utilisé seulement pour décrire un individu qui a la propriété F.
En parlant de norme, et en proposant une formulation qui contient l'expression "doit être", je souhaite m'opposer à une des conceptions magiques de la signification : la conception naturaliste. Pour celle-ci, il existe réellement des liens entre les mots et les choses. On a ainsi pu proposer une théorie causale de la référence, qui expliquait que le référent d'un terme est la chose avec laquelle on est en contact physique au moment où l'on établit la convention sur l'usage du terme. Je suis en face d'une flaque d'eau, je dis "eau" donc, ce terme désignera dorénavant tous les liquides de composition H2O. Si cette théorie est vue comme normative, si elle dit que le sens des noms doit être fixé par l'objet avec lequel on est en contact physique, je n'ai rien à objecter. Je pense en effet que la théorie causale est juste. Mais si par contre cette théorie prétend être une théorie descriptive de la référence, alors là, on tombe dans la magie pure et simple. La signification n'est pas quelque chose que l'on puisse décrire, la signification est ce qui rend possible la description, sans être elle-même un objet de description. La théorie causale n'est donc pas une description des normes de signification, elle en est une clarification de nature normative. Elle ne décrit pas des choses déjà données, elle impose une contrainte sur nos usages futurs (en les rendant plus cohérents, plus transparents).
Pourquoi prend-on les clarifications des normes pour des descriptions de choses? Parce que nous voulons, à raison, que l'utilisation des mots soit correcte ou incorrecte, et nous croyons que, pour ce faire, nous devons pouvoir calquer une image mentale de ce que nous disons, avec la perception réelle de ce qui est dit. Autrement dit, pour reprendre cette pathétique image des liens entre objets (Husserl parlait des rayons dans les Recherches logiques), vérifier la correction d'un usage est pour nous superposer une image mentale à la réalité. Si les liens se superposent parfaitement, alors la phrase est vraie. Si par contre les liens ne se superposent pas, alors la phrase est fausse. Par exemple, je dis que la neige est verte. Dans mon image mentale, les rayons en direction de la neige sont confondus avec les rayons vers les choses vertes. Par contre, dans le réel, les rayons en direction de la neige sont distincts de ceux vers les choses vertes. Donc, l'image mentale ne coïncide pas avec le réel, donc la phrase est fausse. Il faut absolument rejeter toute cette métaphore dangereuse des rayons au sein du réel. Le réel ne contient rien de tel.
Quelle conclusion tirer de ce refus? Les concepts, c'est-à-dire les règles relatives à la signification des expressions, ne sont pas des choses du monde. La totalité de l'humanité pourrait bien devenir daltonienne, le sens de "rouge" continuerait à être différent du sens de "vert". On dirait de l'humanité qu'elle est devenue incapable d'utiliser correctement ces deux mots de sens différent, mais on ne dirait pas que ces deux mots ont maintenant le même sens. Le sens des mots est irréductible à l'usage qui en est fait. Il est toujours au-delà de l'usage.
Au fond, il n'y a rien là de si surprenant. Parler, c'est pouvoir se tromper, pouvoir dire faux, pouvoir utiliser un mot à la place d'un autre. Cette possibilité de l'erreur est indissociable de la liberté dans l'usage des expressions. Seul celui qui est libre peut se tromper. Autrement dit, partout où il y a des normes de correction pour une activité, alors il y a aussi liberté. Un piano n'est pas libre, parce qu'il ne fait jamais d'erreur, et parce qu'il n'emploie jamais de norme pour "agir". Même, il n'agit pas. Il se contente d'émettre un son en fonction d'un évènement déclencheur. D'ailleurs, on peut remarquer qu'un piano peut être accordé ou pas. Mais l'accordage du piano ne signifie pas qu'il a des normes. Ce sont les auditeurs qui ont des normes quant à ce qu'ils attendent des sons du piano. Le piano, lui, fait toujours la note qui correspond exactement à la tension de la corde. Le piano est soumis à une cause physique, et c'est pourquoi le son émis n'est pas une action du piano, et que le son perçu n'est pas un symbole. Alors que dans le langage, celui qui parle doit se rapporter à une norme, y obéir en devinant ce qu'elle dicte dans la circonstance (puisque aucun constat factuel ne peut nous le dire), puis agir, c'est-à-dire énoncer une phrase. L'interlocuteur perçoit alors une phrase qui a un sens, parce qu'elle es soumise à une certaine norme. Puisque le mot "eau" doit être utilisé pour désigner H20, l'interlocuteur sait de quoi veut parler le locuteur, à la condition, bien entendu, que le locuteur ait respecté la norme. Là encore, vérifier que l'autre a bien parlé n'est pas quelque chose que l'on peut prouver physiquement. On peut certes montrer un fait (par exemple, en effectuant une hydrolyse), mais cela ne suffit pas, puisqu'il faut encore que les individus partagent la même idée de ce que veut dire la norme, et ce qui compte comme une preuve valide de ce que la norme est respectée (dans cet exemple, il faut que chacun accepte la technique de l'hydrolyse comme nous mettant vraiment en présence d'hydrogène et d'oxygène).

Pour résumer en peu de mots : Si une chose est causalement liée à une autre, le lien entre les deux n'est qu'un lien physique, et pas symbolique. L'effet n'est pas une action du sujet, mais un phénomène causal. Et ce sujet n'en est donc pas un, il n'est pas libre, il est juste un objet soumis aux mécanismes naturels. La causalité naturelle n'a pas l'idée de sujet (de personne), de liberté, d'action, et de symbole.
Si par contre une phrase est prononcée, alors elle peut être correctement utilisée, ou pas (vraie ou fausse pour une phrase descriptive). Donc elle possède des normes qui en fixent le bon usage. Or, une norme n'est jamais seulement un fait physique; il faut encore qu'un sujet reconnaisse ce fait physique comme ayant valeur de norme. Cette reconnaissance suppose la liberté. Personne ne peut être contraint à reconnaître une norme, tout simplement parce que c'est un non sens (semblable au droit du plus fort).
Donc parler, c'est choisir ses mots, c'est être libre. Donc la conception naturaliste de l'homme est réfutée.

samedi 10 novembre 2012

Le fou, le méchant, et le solitaire

Il est assez courant, et pas complètement injustifiable, de réduire la morale aux règles permettant aux hommes de vivre en commun de manière pacifiée, harmonieuse. Est bonne une règle morale qui prescrit des actions qui favorisent la concorde au sein d'une communauté, est mauvaise une règle qui fragilise cette communauté, qui pousse les hommes à se nuire entre eux. Le bien, c'est la communauté, le mal, c'est l'individu. Quand l'individu agit au service de sa communauté, il fait le bien, quand il agit pour lui-même au détriment de sa communauté, il fait le mal.
On reprochera à cette conception de la morale d'être trop partielle, et de ne pas tenir compte du rapport à soi, de tout ce que l'individu doit faire pour vivre bien, pour être heureux. En d'autres termes, on pourrait distinguer morale et éthique, et admettre la conception de la morale présentée ci-dessus, en insistant sur le fait que l'homme est aussi soumis à des exigences éthiques, celles qui lui permettent de mener une vie de qualité, en réalisant toutes ses potentialités. J'accepte cette remarque. Il ne suffit pas de respecter les quelques règles permettant la vie en commun (être sincère, ne pas agresser les autres, ne pas les voler, etc.) pour avoir une réponse complète à la question "comment vivre?". On peut même faire un pas supplémentaire, comme le fait Ricœur, dans Soi-même comme un autre. Ce pas consiste à subordonner la morale à l'éthique, en affirmant que ces règles morales permettant la vie en communauté ne tirent leur validité que d'un désir plus fondamental, celui, justement, de vivre avec les autres. Ricœur résume ceci dans la formule suivante : "la visée éthique est la visée de la vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes". Puisque chaque homme veut une vie personnelle riche, des rapports affectifs sincères, et un système politique juste, alors chacun doit se plier aux règles morales qui permettent de réaliser ce but. Mais la morale n'aurait plus aucune validité, si l'individu n'avait pas ce désir fondamental d'appartenir à une communauté.
Je voudrais montrer ici, en quelques mots, le cas de quelques individus qui, volontairement ou pas, n'ont pas cette visée éthique d'une vie partagée avec les autres, et qui pour cette raison, vivent, selon la formule de Nietzsche, par-delà bien et mal. 

J'ajouterai pour commencer une remarque de bon sens, qui pourtant n'est pas systématiquement faite dans les discussions politiques. Un ensemble est une chose, une communauté en est une autre. Un ensemble est une entité abstraite, qui réunit l'ensemble des individus qui ont une certaine propriété en commun. Cette réunion est aussi abstraite que l'ensemble qu'elle forme, il s'agit d'une pure opération intellectuelle, qui n'affecte pas réellement les choses qui sont réunies. On peut définir l'ensemble de toutes les choses rouges, l'ensemble de tous les nombres pairs, l'ensemble des présidents de la république française, etc. Une communauté est par contre une entité concrète, qui réunit matériellement ou institutionnellement des choses. La communauté a donc un effet réel sur les choses qui lui appartiennent. Un tas de pierre est une regroupement spatial de pierres. La communauté nationale est un ensemble d'individus vivant sur le même territoire, ainsi que quelques individus qui ont émigré mais ont gardé leur nationalité. Une réunion d'entreprise est une séance de discussion de tous les membres de cette entreprise en un lieu et un temps donnée, avec un thème de discussion défini à l'avance. 
Bref, il faut toujours distinguer les entités abstraites et les entités concrètes. Un ensemble est abstrait, une communauté est concrète. Et mon propos, bien entendu, va être de présenter le cas d'individus qui peuvent appartenir à des ensembles, mais pas à des communautés. Il y a un ensemble des fous, mais pas de communauté des fous; de même pour les méchants; de même pour les solitaires. 

I Le fou
Commençons donc avec les fous. En termes psychiatriques plus précis, nous parlerions de psychose, c'est-à-dire de trouble causant une perte ou une altération du "sens de la réalité et de soi" (d'après le DSM IV). La définition de la psychose implique une différence avec d'autres troubles, que l'on qualifie parfois de névroses (quoique le terme n'apparaisse plus dans le DSM IV), et qui n'altèrent pas ce rapport à la réalité. En clair, il y a une différence marquée entre celui qui se prend pour Napoléon, et celui qui se lave les mains dix fois par heure. Le premier souffre d'une psychose qui lui fait perdre le sens de la réalité, alors que le second souffre d'un trouble obsessionnel compulsif qui ne l'empêche pas du tout de comprendre le caractère inapproprié de son comportement.
Quel est donc le problème avec les fous? Cette idée d'une perte du rapport à la réalité masque le véritable enjeu. Car elle laisse penser qu'il y aurait vraiment un monde réel, le seul et unique, dans lequel vivent les gens normaux. Or, c'est plus compliqué que cela. Je veux bien penser que les mers, les forêts, les animaux sauvages appartiennent au monde réel, objectif, ne dépendant pas de nous. Mais le monde des humains n'est pas ainsi. Il est fait de blocs de pierres que l'on prend pour des villes, de gens habillés en bleu que l'on prend pour des policiers, de panneaux que l'on prend pour des "sens interdit", de bruits faits avec la bouche que l'on prend pour des voix, etc. Autrement dit, ce que l'on appelle la réalité est largement une construction humaine, qui pourrait bien être, absolument parlant, aussi délirante que les idées d'un fou.
Ainsi, la différence entre le fou et les hommes normaux n'est pas du tout relatif au contenu des représentations qu'ils ont. En termes de contenu, il est impossible de les distinguer. La différence est que les hommes normaux sont capables d'entrer dans un monde commun, d'entrer dans les représentation des autres, et d'y participer. Nos parents, nos professeurs, nos amis, nous expliquent le sens des choses, et nous les comprenons, nous interagissons avec elles, nous introduisons parfois nous-mêmes de nouvelles institutions auxquelles les autres peuvent participer. Le monde des hommes normaux n'est pas normal, il est avant tout un monde commun. Ce que l'on appelle le sens de la réalité n'est pas la capacité de saisir quelque chose qui serait là objectivement, il est la capacité de participer aux fictions des autres. Un homme est normal s'il arrive à comprendre les idées délirantes d'un autre, à y prendre part. Un homme est fou s'il n'arrive pas à participer aux idées des autres, ni à faire participer les autres aux siennes. Dans un billet précédent (Sur une expression : "partir dans son délire") j'avais déjà signalé que l'on passe pour fou tant que l'on ne parvient pas à faire accepter aux autres nos pensées. Je ne fais ici que tirer les leçons de ce post : le fou est moins quelqu'un qui délire, que quelqu'un qui n'arrive pas à faire délirer les autres avec lui, quelqu'un qui délire tout seul.
Ainsi, le fou est quelqu'un qui ne peut pas vivre en communauté, parce qu'il ne peut pas partager de monde commun. La folie n'est pas perte de contact avec la réalité, mais incapacité à partager un monde. Je n'accepte donc pas ces aphorismes sur le sage perdu au milieu d'un peuple de fous. Vivre ensemble demande de se coordonner avec les autres. Ceux qui y arrivent ne sont pas fous, peu importe ce qu'ils croient par ailleurs.

II Le méchant
Vient ensuite le cas du méchant. Ici, Platon a déjà tout dit dans le Lysis. Seuls les hommes bons peuvent avoir des amis et vivre ensemble, parce qu'ils s'aident mutuellement. Par contre, quelqu'un de mauvais est quelqu'un qui nuit aux autres, notamment pour en tirer un profit personnel. C'est pourquoi une telle personne ne peut pas avoir d'amis, et ne peut pas vivre avec d'autres hommes.
La conclusion platonicienne a quelque chose de contre-intuitif. Il nous semble que même les bandits arrivent à avoir des amis, et qu'ils peuvent aussi former des bandes. Mais justement, ils n'y arrivent que parce qu'ils cessent parfois d'être des bandits. Quand le mafieux retourne dans sa famille, il n'égorge pas sa femme parce qu'elle a trop salé la soupe, et ne vole pas dans la tirelire de son fils pour résoudre ses problèmes d'argent. Il doit donc, de temps en temps, se comporter en personne normale, voire bienveillante. De même, lorsque des bandits commettent des délits et des crimes en bandes organisés, ils sont bien obligés de respecter entre eux un code moral qu'ils se dispensent d'appliquer envers les personnes extérieures. Ici aussi, il leur faut donc devenir de hommes bons envers les membres de leur communauté, pour que celle-ci persiste.
Par conséquent, en supposant qu'un individu soit radicalement méchant, c'est-à-dire qu'il ne se permette jamais la moindre bienveillante envers quiconque, et commette une mauvaise action chaque fois qu'elle lui est utile, alors il n'aurait plus ni famille, ni bande. De nombreux films montrent comment des voleurs au sein d'une bande cherchent à éliminer les autres membres pour ne pas partager le pactole. Ces films mettent donc en scène des méchants radicaux, qui ne sont jamais bons, même envers leurs proches. A la fin, il ne peut donc rester qu'une seule personne, celle qui a éliminé les autres. Ou bien, s'ils ne se sont pas tués, ils vivent chacun dans un état de conflit, de guerre permanente. 
Les méchant non plus ne peuvent donc pas vivre en communauté, puisque leur objectif, faire tout ce qui est bon pour eux, même si c'est aux dépends des autres, est incompatible avec la vie sociale, qui demande toujours une part de sacrifice. Remarque très importante : le méchant radical, en réalité, n'est pas immoral, à la différence du méchant ordinaire qui lui l'est, parce qu'il est doux avec sa famille et ses amis, et méchant avec les autres. Le méchant ordinaire se contredit lui-même, il traite différemment des personnes alors qu'il ne peut pas justifier cette différence de traitement. En soi, un membre de la bande a les mêmes droits qu'une personne extérieure, donc il devrait être traité de même. En ne le faisant pas, le méchant ordinaire se contredit, donc est immoral. Par contre, le méchant radical, lui, est décidé à ne pas vivre en communauté. Il n'a que faire de l'idée de Ricœur selon laquelle la vie bonne serait une vie avec les autres. C'est pourquoi, n'ayant pas la même visée éthique, il n'est pas non plus soumis aux règles morales usuelles, qui servent à vivre en paix avec les autres. C'est pourquoi le méchant radical vit par-delà bien et mal. Il n'est pas immoral, mais amoral, en dehors de la morale. La morale ne le concerne pas, parce que l'objectif de la morale, la vie en paix avec les autres, ne le concerne pas non plus. (Bien entendu, cela n'empêche pas une communauté de se défendre contre de tels individus, s'il en existait, ce dont je doute. N'étant pas soumis à la morale, la lutte contre eux serait semblable à la chasse aux bêtes sauvages, plutôt qu'à la punition légale). 

III Le solitaire
Enfin, une dernière figure d'individu ne pouvant pas vivre en communauté est celle du solitaire. Le solitaire illustre au mieux la différence entre ensemble et communauté. Il existe un ensemble des solitaires, à savoir l'ensemble de tous ceux qui vivent seuls, sans dépendre de quiconque. Par contre, il ne peut pas exister de communauté des solitaires, parce que celle-ci s'abolirait elle-même, en changeant immédiatement le statut de ses membres. En effet, si les solitaires décidaient de vivre ensemble, alors ils ne seraient plus solitaires. En cela, les solitaires sont aussi une menace pour toute communauté. Celle-ci ne vit que par les liens qui se tissent entre les individus. Si ces liens se distendent, que les individus ne mettent pas des choses en commun, alors le monde s'effrite.
La solitude a beaucoup à voir avec l'individualisme, mais s'en distingue néanmoins sur un point crucial, qui explique d'ailleurs pourquoi les solitaires sont en fait des figures absolument exceptionnelles (au sens qualitatif et quantitatif). Dans nos sociétés, nous appelons solitude le fait de n'avoir pas d'époux, pas d'amis, peu ou pas de collègues de travail. L'allégorie du solitaire serait un écrivain au sein d'une grande ville dont il ne connaît personne, pas marié, sans famille, passant ses journées à lire, en attendant de rares clients dans sa petite librairie, et occupant ses nuits à écrire. En réalité, cet homme n'est pas véritablement solitaire, mais plutôt individualiste. Car il a bien des relations avec les autres, mais ces relations sont impersonnelles. Il écoute les autres par texte interposés, il reçoit quelques clients, monte dans quelques transports en commun, paie ses impôts à la collectivité ainsi que sa facture d'électricité. Autrement dit, il profite du monde commun, sans pour cela avoir besoin de nouer des relations personnelles : toute notre société est construite pour que de tels individus puissent correctement vivre. Le chauffeur de bus ne transporte pas que ses amis, la compagnie d'électricité ne fournit pas non plus que la famille de ses employés, les clients qu'il reçoit dans sa librairie ne le connaissent pas personnellement, etc. On peut bien sûr trouver que la vie de cette écrivain est un peu triste, terne, mais d'un point de vue socio-politique, cette absence d'amis ne lui posera aucun problème particulier. 
L'individu est une figure bien utile à nos sociétés. L'individu peut rester très tard à son travail, parce que personne ne l'attend à la maison. Il peut se déplacer sur simple demande, puisque rien ne l'attache particulièrement à son lieu de vie. Il est facilement manipulable, car sa situation est beaucoup plus précaire que ceux qui peuvent compter sur leur famille ou leurs amis pour les soutenir en cas de coup dur. Il ne participera pas beaucoup aux manifestations et mouvements de lutte sociale, faute, là encore, d'être poussé par ses relations personnelles (nombre d'études montrent que le niveau d'abstention aux élections dépend beaucoup du niveau de relations sociales). Le vrai solitaire, lui, est subversif. Car il ne profite pas des avantages de l'Etat et de la vie communautaire. Il vit seul dans une grotte, ou dans sa yourte, ou dans le hameau qu'il a construit lui-même. Son indépendance est absolue, là où l'individu a toujours des liens de dépendance très forts, quoiqu'ils soient impersonnels. La généralisation de la solitude aboutirait à la destruction de toute communauté, alors qu'il existe des communautés d'individus, ce que l'on appelle des sociétés (selon la célèbre distinction entre gemeinschaft et gesellschaft).


Alliance étonnante à première vue, que celle du fou, du méchant, et du solitaire. Je ne veux pas nier leurs différences. On soigne les fous, on traque les méchants, on tolère les solitaires, et cela semble justifié. Pourtant, tous partagent ce trait de ne pas pouvoir, ou de ne pas vouloir, vivre dans un monde commun. Tous sont des figures intrinsèquement dangereuses, puisqu'elles sont des menaces contre ce à quoi nous tenons (nous hommes normaux). Ceci peut, en partie, expliquer ce mélange de crainte, d'incompréhension, et d'admiration que provoque nos contacts avec eux.

mercredi 7 novembre 2012

Introduction à la pensée simple

Je me permets un jeu de mot sur le titre d'un des ouvrages d'Edgar Morin, dont l’œuvre a pour projet la défense et l'illustration de la pensée complexe, c'est-à-dire de la pensée qui tisse entre eux les multiples savoirs dont nous disposons, et qui ne se satisfait pas de leur émiettement en autant de disciplines cloisonnées. Morin, dans son livre sur la pensée complexe, comme dans les autres, essaie de montrer que tous les termes opposés (cause et effet, nature et culture, individu et société, etc.) ont des relations dialectiques, de rétroaction, que chaque élément d'un système contient en lui-même la totalité de la structure, que comprendre un texte suppose de comprendre l’œuvre entière dans laquelle il est inséré, etc. La pensée complexe s'oppose donc à tout réductionnisme, à la tentative de réduire au simple ce qui est complexe. Ainsi, comprendre un homme, ce n'est pas tenter de naturaliser la psychologie et la sociologie, et réduire l'homme à un dispositif biologique; c'est au contraire présenter les enchevêtrements de toutes les disciplines, donc de tous les aspects de l'homme. Telle propriété physique produira tel phénomène social; en retour, tel phénomène social entraînera telle modification morphologique, etc.
Mais la pensée complexe ne se réduit pas au refus du réductionnisme. Elle est aussi la tentative de penser dans son unité, dans sa globalité, la totalité des faits humains et naturels. On trouve donc en permanence chez Morin cette exigence paradoxale de prise en compte des différences, des singularités, en même temps que celle de l'universalité, du cosmopolitisme, et de la synthèse des différences. Le refus de l'émiettement des savoirs correspond à cette exigence d'une pensée qui puisse saisir d'un regard, de haut, la totalité du savoir. Chez Morin, ce sont principalement la théorie des systèmes et la théorie de l'information qui fournissent les cadres théoriques permettant l'unification des savoirs. 
Telles sont donc les deux aspects que je retiendrai de la pensée complexe : 1) refus du réductionnisme 2) exigence d'unité. Je voudrais ici défendre la pensée simple, c'est-à-dire réductionniste, et pluraliste.

Commençons par défendre le réductionnisme. C'est l'attitude qui consiste à expliquer le complexe à partir du simple, et expliquer des phénomènes variés à partir d'un phénomène unique. Ainsi, expliquer la structure d'un objet à partir de la position de chacun des éléments est une explication réductionniste, puisqu'elle permet de ne pas introduire la notion de forme, ou de structure, dans les notions primitives. Au lieu de cela, ne figurent dans les notions primitives que celle d'élément, et celle de position spatiale. La forme n'est qu'une notion dérivée à partir de ces deux notions primitives.
Un bon exemple d'explication réductionniste se trouve en physique : la notion de température d'un corps est réduite à celle d'agitation moléculaire moyenne. Ainsi, la température n'a besoin d'être considérée comme une notion émergente, irréductible, puisqu'elle peut être analysée en terme de mouvement des molécules. Un autre genre d'explication réductionniste se trouve dans les tentatives, en économie, d'expliquer des phénomènes qui relèvent à première vue de la sociologie ou de la psychologie, comme le vote, les choix matrimoniaux, les habitudes de consommation, etc. Un économiste cherchera donc à se passer de toute référence aux classes sociales, à l'état psychologique, au contexte politique, pour ramener les décisions à des calculs rationnels sur les coûts et bénéfices financiers de telle ou telle action. Si l'explication fonctionne, il y a alors réduction, puisqu'un phénomène qui devait jusque là être expliqué par une science extérieure peut maintenant être expliqué au moyen de l'économie.
Il me semble donc qu'en science, la nécessité d'être réductionniste va de soi. Ce n'est ni plus ni moins que la méthode scientifique elle-même. Si l'on ne craint pas de multiplier les entités sans nécessité, si l'on ne craint pas d'adopter plusieurs points de vue incompatibles sur le même objet, alors il faut renoncer à l'activité scientifique. Celui qui adopte un point de vue sur les choses cherche nécessairement à pousser ce point de vue le plus loin possible, à expliquer autant de phénomènes que possible. Et il cherche aussi à ce que ce point de vue puisse être caractérisé de la manière la plus simple possible, c'est-à-dire avec le moins de notions primitives possible. Bref, en science, on désire nécessairement la théorie la plus simple possible, qui explique le plus possible. Par conséquent, le réductionnisme doit toujours être poussé aussi loin qu'il est possible. Si l'on pouvait réduire toute la sociologie et la psychologie humaines aux lois de la mécanique quantique, la science aurait atteint son but (que ce projet soit impossible est un autre problème).

On peut maintenant en venir au pluralisme. A première vue, le pluralisme s'oppose frontalement au réductionnisme. Le pluralisme défend la multiplicité des points de vue, alors que le réductionnisme demande que l'on envisage tout selon le même point de vue. Il y a en effet une tension. C'est que la simplicité, objectif des sciences, a plusieurs dimensions. La première a été examinée dans le paragraphe précédent : est plus simple qu'une autre une théorie qui contient un plus petit nombre de concepts primitifs. La seconde dimension de la simplicité est relative à l'énoncé des lois et explications scientifiques. Je ne veux pas formuler de modèle général et précis de ce qu'est une explication scientifique, pour la raison qu'il me semble ne pas y en avoir. Il n'y a pas de point commun entre une équation-bilan d'un phénomène d'oxydo-réduction et un chapitre tiré d'un ouvrage sur les représentations contemporaines de la famille. Une explication est simple dans la mesure où elle laisse de côté autant de paramètres que possible, donc que les paramètres agissant sur le phénomène à expliquer sont en nombre aussi petit que possible. Si l'explication de notre représentation de la famille ne mobilise que les notions juridiques et morales relatives au mariage, à la parenté, etc. et quelques notions d'économie, l'explication est (relativement) simple. Par contre, s'il faut aussi mentionner toute l'histoire humaine, que même les considérations biologiques ont leur importance, alors l'explication devient complexe. Presque tout agit sur le moindre phénomène, donc l'explication de celui-ci devient quasiment infinie.
La pensée complexe, justement, se nourrit de ce genre d'affirmations selon lesquelles tout agit sur tout, que tout est toujours plus compliqué que cela en a l'air. Mais c'est justement ce que les sciences doivent éviter de dire. Chaque fois que l'on étudie un phénomène, on cherche absolument à détecter des invariances, donc des aspects qui peuvent être mis entre parenthèses. Ces invariance sont nommées symétries. Bas Van Fraassen, dans Lois et symétrie, a justement mis en avant ce fait que les sciences cherchent moins à formuler des lois des phénomènes, lois qui associeraient quantitativement deux grandeurs physiques ou plus (typiquement,, la loi de Newton sur le rapport entre masse, force, et accélération), qu'à découvrir des invariances, c'est-à-dire des paramètres qui n'ont pas d'effet sur les lois en question. Ainsi, la loi de Newton est invariante par translation de lieu ou de temps, par changement de la nature des objets en question, elle reste valide dans tout référentiel en mouvement uniforme, on pourrait aussi dire qu'elle est indépendante du statut social de l'observateur qui fait la mesure, etc. Autrement dit, la valeur d'une loi physique de mécanique est qu'elle ne dépend pas de beaucoup d'autres paramètres physiques, et surtout, qu'elle ne dépend pas du tout des paramètres étudiés par les autres sciences.
C'est ce point qui me semble très important, et qui nous ramène au pluralisme. Pourquoi y a-t-il plusieurs sciences? Il y a plusieurs sciences parce que chaque science s'efforce sans cesse de trouver des paramètres qui n'ont pas d'effet sur elle, et ce faisant, elle crée un espace pour de nouvelles sciences. La pensée magique peut bien croire qu'une pierre chute plus vite quand elle est lancée par un mage que par une homme ordinaire. Mais la science montre sans contestation possible que les catégories sociologiques n'ont pas d'effet sur les lois de la mécanique. Donc, en le montrant, on divise les sciences en physique et sociologie, chacune disposant d'une autonomie théorique. A l'une les mouvements des corps, à l'autre les statuts sociaux, mais il est manifeste que la première science n'a pas besoin de la seconde et que, tant que la réduction n'a pas été effectuée, la seconde n'a pas non plus besoin de la première. L'activité scientifique produit donc du pluralisme. Plus on veut simplifier les explications, plus en renvoie à l'extérieur les paramètres non pertinents. Et ces paramètres permettent à de nouvelles sciences de naître, en les prenant pour objets.
Ainsi, il faut défendre autant que possible la séparation des disciplines scientifiques. C'est le signe que les scientifiques arrivent à trouver des symétries, des invariances dans leurs explications des phénomènes, c'est-à-dire des phénomènes qui ne relèvent pas de leur domaine, et qui n'ont aucun effet sur lui. Quand Aristote établit les catégories que nous utilisons encore largement aujourd'hui, la logique, la métaphysique, la physique, la psychologie (qui s'appelle aujourd'hui biologie), l'éthique, la politique, il n'éclate pas le savoir indument. Il délimite au contraire des domaines dont il a pu comprendre que chacun a son autonomie, et n'exigera pas que l'on s'intéresse aux autres pour pouvoir avancer. Je ne conçois pas de travail plus admirable que celui-ci : établir des pluralités autonomes et irréductibles, qui soient (relativement) simples à étudier. "Tout est dans tout" implique la mort de la pensée. La pensée ne marche que si elle peut abstraire, mettre à l'écart, donc donner son autonomie à certains domaines. 

Les sciences ont donc bien deux exigences en tension. La première exige la réduction de toutes les sciences à une science tenue pour fondamentale. La seconde exige de limiter le nombre de paramètres pertinents dans l'explication, et donc de négliger tout ce qui est négligeable. La première tend vers une théorie englobante et unifiée, la seconde tend vers l'éclatement des théories. Mais ces deux exigences sont des exigences de simplicité, non de complexité. C'est parce que l'on veut des explications simples que l'on pluralise les domaines scientifiques, en rejetant dans d'autres domaines tout ce qui n'est pas pertinent. C'est parce que l'on veut un petit nombre de principes que l'on réduit cette pluralité, en ramenant la diversité des notions à un petit nombre issu si possible de la même science.
Ainsi, la pensée complexe, qui tisse les savoirs entre eux, ne me semble correspondre à aucune méthode assignable. Cela ne veut rien dire. La seule démarche consistant à unifier les sciences est la démarche réductionniste. Unifier, c'est réduire, et rien d'autre. Morin est un réductionniste déguisé. On ne peut refuser le réductionnisme que si l'on est capable de montrer que certaines sciences ne peuvent définitivement pas être réduites à d'autres, donc que la pluralité des sciences est justifiée. Ceci n'est pas hors de portée, l'argumentation philosophique montrant, me semble-t-il que le sens, ou le mental, n'est pas susceptible d'être réduit à des notions physiques. Un bruit avec sa bouche n'est pas une parole, un tas de briques n'est pas une maison.