lundi 9 décembre 2013

Le bonheur réside-t-il dans le cumul des plaisirs?

Une vie heureuse est certes faite de bons moments. Plus ces moments sont nombreux, plus la vie est bonne. Une vie faite de moments intenses, mais entrecoupés de très longs moments d'ennuis, ou de souffrance, est toujours moins enviable qu'une vie plus riche, où les bons moments sont plus fréquents. Ceci, personne ne le contestera. Pourtant, je voudrais montrer dans cet article que cette conception du bonheur comme résultant d'une somme de bons moments ne marche pas, si on cherche à rendre cette conception suffisamment rigoureuse.

Dès lors qu'il est question d'évaluer la valeur d'une vie, ce qui est le but de la notion de bonheur, il nous faut disposer d'une unité de mesure. On appellera plaisir cette unité. Je laisse de côté toutes les critiques possibles portant sur l'unité de cette notion. Il me semble en effet absurde de regrouper sous ce même terme des activités aussi différentes que manger une tarte aux pommes, rire avec ses amis, jouer au football, ou lire un roman. J'aurais tendance à limiter la notion de plaisir à celui qui est de nature organique, corporel. Néanmoins, je ne tiendrai pas compte de cette objection, et ferai comme si on pouvait tenir le plaisir pris à toutes ces activités pour homogène.
En effet, il est nécessaire que les différents types de plaisirs puissent être additionnés, et c'est pourquoi leur homogénéité est importante. Nous parvenons ainsi à une théorie de la mesure du bonheur par le plaisir. Chaque moment de vie est évalué selon le plaisir qu'il suscite, et la quantité de plaisir est ensuite additionnée aux autres quantités de plaisir que chaque autre moment de vie nous a apportées. Il ne reste plus qu'à mettre en rapport la quantité effective de plaisir pris durant notre vie, avec la quantité possible de plaisir, pour évaluer si notre vie est heureuse ou malheureuse. L'idéal est la vie dans laquelle chaque moment de vie est occupée par l'activité qui produit le plus de plaisir. Cet idéal est sans doute inaccessible, mais sert de repère. En voyant tout ce que nous aurions pu faire, sans l'avoir fait, nous avons une idée de la valeur de notre vie.
J'en viens maintenant au point le plus crucial. Pour que ce calcul des plaisirs puisse être fait, il est nécessaire d'adopter une thèse atomiste, ou réductionniste, c'est-à-dire une thèse qui considère que la valeur du tout est égale à la somme de la valeur des parties. Autrement dit, la quantité de plaisir produite par une activité est la même quelles que soient les autres activités de la personne, cette quantité est indépendante du contexte. Ceci s'oppose donc à l'idée que l'intensité du plaisir serait variable selon ce que l'on a fait avant, ce que l'on pense faire après, de la manière dont nous nous fixons un projet de vie, etc.
Pour que la réfutation d'un tel atomisme ne soit pas trop facile, cette conception doit s'enrichir de considérations marginalistes. Il lui faut une théorie équivalente à ce que l'on trouve en économie sous le nom d'utilité marginale décroissante; sauf qu'ici, on ne parle pas d'utilité mais de plaisir. On admettra donc que le plaisir pris à une activité décroît progressivement avec le temps et la répétition. Cette petite sophistication me paraît acceptable sans modifier le fond du débat, et c'est pourquoi il faut en tenir compte. D'ailleurs, malgré le jargon issu de l'économie du XIXème siècle, c'est une très vieille idée, que l'on trouve chez Platon, ou Épicure : le plaisir est compensation d'une peine, donc sa puissance décroît au fur et à mesure que la peine disparaît. Si l'on poursuit l'activité plaisante au-delà de la suppression de la douleur, cette activité cesse d'être plaisante, et peut même devenir douloureuse. Le plaisir de manger est un paradigme : celui qui mange au-delà de la faim n'a plus de plaisir, et finit même par avoir la nausée...
Je résume : le bonheur est fait d'un cumul des plaisirs. Plus la somme est élevée, plus nous sommes heureux. Il nous faut donc toujours choisir, entre deux activités, celle qui est la plus plaisante. Et puisque le plaisir décroît avec le temps, il nous est nécessaire de changer parfois d'activité. Néanmoins, tant que le plaisir d'une activité n'est pas devenue inférieur au plaisir d'une autre, il n'y a aucune raison de changer.

J'en viens maintenant à la critique.
Cette théorie atomiste aboutit assez curieusement non pas au pluralisme, mais au monisme. En effet, si, à chaque instant, il faut choisir l'activité qui suscite le plus de plaisir, notre vie risque d'être exagérément monotone. Admettons, en bon platonicien, que faire de la philosophie soit notre plus grand plaisir. Alors, toute notre vie doit y être consacré, et toutes les autres activités humaines doivent être abandonnées. On ne conservera des activités extra-philosophiques que celles qui sont nécessaires pour rester en vie : manger, boire, dormir. Tout le reste ne présente plus d'intérêt. En effet, lire un roman est plaisant, mais moins que lire Platon. Donc, il faut abandonner ce roman et lire le philosophe grec. Voir ses amis est plaisant, mais toujours moins que discuter du pragmatisme de James avec un spécialiste de cette question. Etc. Ainsi, c'est le fait d'évaluer chaque activité séparément, et non par sa place au sein d'une vie, qui produit cette monotonie. Puisque nous devons toujours prendre l'activité la plus plaisante, et puisque le classement ne varie pas (il est fixé indépendamment de la tournure que prennent nos vie), alors nous faisons toujours la même chose.
Or, il me semble que cette indépendance par rapport au contexte est indéfendable, justement parce qu'elle aboutit à nous faire choisir des vies exagérément unifiées. La thèse du plaisir marginal décroissant n'est pas suffisant pour capter cette idée. Et même, je dirais qu'elle est fausse dans bon nombre d'activités. Autant elle marche très bien pour ce qui relève du corps, autant elle marche plutôt mal pour les choses de l'esprit. Plus on fait une activité, plus on devient habile, compétent, plus nous comprenons ce que nous lisons ou voyons, et plus nous tirons de plaisir à poursuivre cette activité. Qu'on ouvre donc un livre de philosophie la première fois de notre vie : on y trouve des idées intéressantes, mais au prix d'une grande souffrance, et les propos ne font pas écho à grand chose en nous. Au contraire, avec plus de lectures à son actif, nous faisons des ponts avec beaucoup d'autres textes, nous lisons facilement, nous avons le plaisir de la compréhension. Il me semble donc que le plaisir est croissant, et non pas décroissant.
Je reviens au thème de l'unification de nos vies. Une vie humaine possède plusieurs dimensions. Il me semble que l'on peut en isoler trois : une dimension corporelle, une affective, et une intellectuelle. Mon opposant accepterait ceci, mais ajouterait qu'il faut choisir la dimension qui nous apporte le plus de plaisir. Si nous aimons la philosophie, il faut en faire le plus possible, et négliger son corps et ses affects autant qu'il est possible (donc, ne pas dépasser le point où cette négligence diminuerait le plaisir pris à la philosophie). Or, il me semble que c'est une erreur. Parce que cela revient à dire que deux dimensions sur les trois qui constituent l'humanité peuvent être abandonnées totalement, ou réduites à de simples moyens en vue de la troisième, plus plaisante. Cela me semble inacceptable. Chacune de ces trois voies doit être prise, et aucune vie ne serait heureuse si elle oubliait l'une d'elle. Autrement dit, il faut choisir le pluralisme plutôt que le monisme, la diversité des biens plutôt que le même bien ultime en permanence.
Présentée ainsi, ma défense du pluralisme est encore arbitraire. Pourquoi faudrait-il adhérer à ce que je propose? C'est justement le refus de l'indépendance au contexte qui est le meilleur argument. En effet, comment ne pas voir que chaque choix de vie a un effet sur les autres dimensions de nos vies? S'isoler pour réfléchir, c'est toujours renoncer aux plaisirs du corps et aux sentiments sociaux. Avoir des amis, c'est toujours renoncer aux plaisirs du corps, et à la pensée. Passer son temps à entretenir son corps se fait aussi au sacrifice des relations humaines et de l'intelligence. On ne peut jamais vraiment cultiver les trois à la fois, on ne peut que passer rapidement de l'un à l'autre (le festin avec ses amis, pris en discutant de sujets sérieux me semble l'activité qui se rapproche le plus de cet idéal. C'est pourquoi, plus une activité devient exclusive, monomaniaque, plus nous passons à côté d'excellents moments, donc plus notre vie perd sa valeur. Mais le manque ne naît pas du temps qui passe (comme dans la théorie du plaisir marginal décroissant), il naît du fait que nous faisons des choses qui relèvent d'une autre dimension de la vie. On peut vivre heureux sans faire de philosophie, si, par exemple, nous écrivons de la littérature. Par contre, le fait de s'enfermer chez soi pour écrire des livres rend le besoin de voir des amis d'autant plus fort. C'est donc bien en cela que l'indépendance par rapport au contexte doit être abandonnée. Les dimensions de la vie sont en interaction, plus nous investissons dans l'un, plus le plaisir pris aux autres augmente. Donc, plus nous devenons monomaniaques, plus nous gâchons nos vies. Plus nous maintenons l'équilibre entre ces composantes, plus nous sommes heureux.

Ainsi, notre image du bonheur doit être changée. Elle n'est pas une somme, mais un équilibre. La difficulté de la vie bonne n'est pas forcément dans le fait de vivre des moments agréables, mais plutôt dans le fait de garder un bon rapport entre les différents types d'activités. C'est la qualité de l'équilibre qui fait l'intensité de chaque moment, on ne peut pas évaluer celle-ci indépendamment de celui-là. Bien entendu, comme je l'annonçait au début de cet article, plus la balance est chargée de bons moments, plus nous sommes heureux. Mais le bonheur total ne consiste pas seulement à charger la balance, mais à s'assurer de son équilibre. Si elle ne l'est pas, même ce qui serait, absolument parlant, une bonne chose, devient nuisible. 
Le bonheur est un juste milieu entre deux extrêmes : d'un côté l'absence totale d'unité, une vie qui part dans tous les sens, qui s'affole donc de la perte du sens; de l'autre l'excès d'unité, une vie monotone, qui oublie les multiples dimensions de la vie humaine, et réduit tout à l'une d'entre elles.


8 commentaires:

  1. Je pense que le fait de réduire le bonheur à une somme de plaisirs bien équilibrés suppose d’avoir une conception très mécaniste de l’homme.
    La clé du bonheur ne se situe dans la pensée mais dans le ressenti émotionnel. La plupart des hommes ont tendance à se construire des bonheurs illusoires par la pensée. Néanmoins certains ont appris à déchirer ce voile d’illusions en ressentant leurs émotions sans se laisser gouverner par elles et en observant les pensées associées à ces émotions. Le bonheur est déjà présent en chaque être humain mais beaucoup n’en sont pas conscient tellement ils sont aveuglés par leurs pensées. Pour accéder au bonheur, il faut donc plutôt ressentir que penser, se fier à ses intuitions plutôt qu’à ses certitudes. L’homme vertueux est celui qui est capable de ressentir ses affects et de les comprendre de façon intuitive ce qui lui permet de vivre en harmonie avec son environnement et les personnes qui lui sont proches. Cette vertu ne lui permet pas d’accéder au bonheur, cette vertu est le bonheur lui-même.
    « La béatitude n'est pas la récompense de la vertu : c'est la vertu elle-même. » Spinoza

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    1. Spinoza ne serait pas d'accord avec l'affirmation qu'il faut donner la primauté aux émotions (au ressenti) par rapport à la pensée, car pour lui, les émotions sont seulement de la pensée encore obscure, confuse. Une fois que l'on pense vraiment bien, il ne reste aucune émotion. La vertu consiste justement à penser bien, donc à ne rien ressentir.

      Mais si on laisse Spinoza de côté, c'est vrai qu'il reste une bonne question, celle qui consiste à se demander si le bonheur est davantage d'ordre psychologique, celui d'une bonne disposition d'esprit face aux choses qui nous arrive, ou si le bonheur est davantage d'ordre biographique, à savoir le fait d'agir et de vivre de bonnes choses.
      Mon article penche évidemment pour l'approche biographique, puisqu'il se demande en bref s'il vaut mieux additionner de manière atomistique des bons moments, ou s'il faut tenir compte de manière plus holistique de l'équilibre entre les différents moments de notre vie. Par contre, concernant l'approche psychologique, c'est délicat. Je vois deux possibilités :
      1) la psychologie n'existe pas, ou n'a aucun intérêt; elle n'est qu'un reflet intérieur des évènements extérieurs qui nous arrivent.
      2) la psychologie a bien un effet sur le bonheur. C'est en gros ce que soutiennent toutes les philosophies inspirées par les orientaux. Mais on trouve cela aussi dans le stoïcisme, l'épicurisme. C'est peut-être vrai (je ne compte pas me ridiculiser en donnant des leçons de sagesse au Bouddha, à Epicure, ou à Sénèque); mais alors, la philosophie ne peut pas grand chose sur une telle question. C'est une question empirique.

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  2. Spinoza ne dit pas que la compréhension de nos émotions les annulent mais que cela nous permet de ne pas se faire gouverner par elles. Selon lui il faut rendre nos émotions intelligentes. La compréhension d'une colère ne l'élimine pas mais permet de ne pas se laisser emporter par elle et de s'en servir de manière positive. La pensée arrive tout juste à masquer nos émotions, à nous faire croire qu'elles ont disparu. Mais nos émotions sont présentes en nous en permanence car elles sont intimement liées à notre corps. Nous ne sommes pas de purs esprits, nous sommes des corps qui font parti intégrante de la nature.
    Epicure, Shopenhauer, Spinoza et Nietzsche ont bien compris que la philosophie occidentale classique était trop réductrice et qu'il fallait explorer les philosophies orientales selon lesquelles on ne peut accéder à la sagesse par la pensée. La pensée enferme l'esprit de l'homme dans des carcans conceptuels qu'il prend pour la réalité. La pensée n'est que l'écho du passé , elle est le fruit de nos conditionnements, de nos expériences passées, elle n'est jamais neuve.
    Le problème c'est que, dans nos sociétés occidentales, on vénère la pensée comme le veau d'or.
    Je pense que le bonheur passe par une libération de la pensée entraînant une dissolution de l'ego qui fait parti de la pensée. Mais ceci ne peut s'expliquer puisqu'une explication utilise la pensée. La méditation de pleine conscience et le zazen sont des pratiques qui permettent d'accéder à un niveau de perception du monde inatteignable par la pensée. Le bonheur peut donc être atteint par une pratique non intellectuelle.
    Je ne dis pas qu'il faut arrêter de penser mais qu'il convient plutôt de considérer la pensée comme un outil dont il faut savoir se passer.
    Le surhomme que Nietzsche appelle de ses voeux est peut être un être illuminé qui a su se libérer des chaînes de la pensée.
    Après tout, la philosophie est l'amour de la sagesse, pas celle de la pensée.

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    1. C'est vrai que, tant que nous restons des hommes, nous sommes toujours en partie passifs, donc gouvernés par nos émotions. Les hommes ne peuvent pas être des pensées pures. Par contre, sur l'idée que la pensée ne supprimerait pas les émotions, cela me semble psychologiquement faux (ce qu'en pense Spinoza ne m'intéressant pas spécialement ici). Je crois qu'il n'y a pas de meilleur exemple que la colère pour expliquer ceci. Une fois qu'on connaît la raison de sa colère, c'est que l'on a l'esprit suffisamment tranquille pour ne pas se laisser emporter. La colère retombe à mesure que la pensée reprend ses droits. De même, la peur disparaît une fois que l'on connaît bien la chose qui nous menace et que l'on peut évaluer sa dangerosité.
      Ensuite, il faut quand même dire que certaines émotions semblent avoir une raison inconsciente, et ne disparaissent pas simplement par la pensée consciente. L'exemple typique est celui des phobies diverses et variées : peur de la foule, peur d'animaux peu dangereux, etc. Ici, un travail psychologique est nécessaire, pour comprendre le lien de cette peur irrationnelle avec d'autres pensées.

      La critique philosophique de la philosophie fait partie des grands classiques...
      Donc, pour défendre la philosophie sur le point qui nous concerne, je dirais ceci. Les philosophes partagent tous l'idée que leur activité a de l'intérêt, une utilité. Sinon, ils feraient autre chose qu'écrire des livres. Il leur faut donc croire que certains discours, certaines connaissances, ont un effet pratique. Certaines pensées sont libératrices, elles nous libèrent de la crainte, de l'incertitude, du malheur causés par une pensée qui nous égare. Dans l'idée de sagesse, il y a l'idée d'un savoir et d'une pratique, c'est-à-dire d'une théorie qui a un effet pratique. C'est ce qui différencie la philosophie des techniques de méditations, qui elles, ne sont que des pratiques, rien de plus. Je ne les critique pas, je dis seulement qu'elles ne sont pas en concurrence avec la philosophie. La méditation de pleine conscience peut apporter une grande paix d'esprit, de la disponibilité, etc. mais pas de la sagesse. La sagesse est plus exigeante. Elle est la compréhension de la vérité sur l'existence humaine. Bref, être sage, c'est penser avant tout.

      Nietzsche ne critique pas si massivement la pensée. Nietzsche en fait, comme pour le reste, une généalogie. Il ne se demande pas la valeur de la pensée, mais pose d'abord la question qui? Qui a besoin de penser? Sont-ces des faibles qui ont besoin des autres pour survivre, ou qui ont besoin d'inventer la morale pour se protéger des autres? Ou bien sont-ces des forts, qui expriment tout simplement ce qu'ils sont, c'est-à-dire des penseurs? Car il y a une pensée qui n'est pas seulement réaction aux problèmes de la vie, mais expression de sa volonté de puissance. Et nous voilà revenu à Spinoza, pour qui l'homme qui pense exprime son essence.

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  3. Pour tous ceux qui aspirent au bonheur, je conseille la lecture des deux livres suivants :
    Etre heureux avec Spinoza (Balthasar Thomass)
    Du bonheur, un voyage philosophique (Frédéric Lenoir)

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  4. Au coeur du cerveau humain se trouve le cerveau limbique qui produit les émotions. Il est composé d'un tissu neuronal différent de celui du cerveau cortical responsable du langage et de la pensée. En outre les cerveaux limbique et cortical n'ont pas le même fonctionnement biochimique. De fait le cerveau émotionnel (ou limbique) fonctionne souvent indépendamment du néocortex (ou cerveau cortical). Le langage et la cognition n'ont sur le cerveau émotionnel qu'une influence limitée : on ne peut pas commander à une émotion d'augmenter ou de disparaître de la même façon qu'on peut commander à son esprit de parler ou de se taire. Les désordres émotionnels sont la conséquence du dysfonctionnements du cerveau émotionnel. Ces dysfonctionnements ont souvent pour origine des expériences douloureuses vécues dans le passé qui se sont imprimées de façon indélébile dans le cerveau émotionnel. La principale tâche du psychothérapeute est de reprogrammer le cerveau émotionnel en sorte qu'il soit adapté au présent au lieu de continuer à réagir à des situations du passé. A cette fin, il est plus efficace d'utiliser des méthodes qui passent par le corps (méditation, TCC, EMDR, cohérence du rythme cardiaque, etc ...) et influent directement sur le cerveau émotionnel plutôt que de compter sur le langage et la raison. Néanmoins, certaines pensées peuvent avoir une influence bénéfique sur le cerveau émotionnel : des pensées amoureuses, affectives, d'autosatisfaction, ...
    Mais la pensée doit avoir la sagesse de reconnaître qu'elle n'est pas le seul moyen d'accès au bonheur. Heureusement car sinon toute personne qui n'est pas philosophe serait condamnée au malheur. De plus un grand nombre d'intellectuels dotés d'une pensée très développée ont eu des vies très malheureuses qui les ont parfois poussé au suicide.
    La sagesse n'est pas la compréhension de la vérité sur l'existence humaine, les concepts de compréhension et de vérité n'étant que des inventions de la pensée.
    La sagesse est une illumination indescriptible qui ne peut être atteinte par la pensée. C'est un état d'accomplissement vécu par le corps, pas une invention de la pensée. La pensée n'est qu'un outil parmi d'autres dont dispose le corps pour accéder au bonheur, à condition qu'elle soit utilisée de manière adéquate.

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    1. Merci de soulever tant de questions importantes.
      Concernant la neurologie, il est vrai que son étude est très importante, car des problèmes d'ordre cérébraux peuvent avoir des conséquences psychologiques et fausser notre rapport à la réalité. C'est ainsi que certaines personnes sont submergées d'émotions qui n'ont aucun rapport avec (ou sont démesurées par rapport à) ce qu'elles vivent. D'autres entendent des voix, etc. Bref, dans tous les cas de trouble psychologique, l'étude du cerveau est un préalable.
      Par contre, il me semble qu'il ne faut pas attendre de la neurologie des réponses à des questions d'ordre conceptuel sur le fonctionnement de la pensée, dans son fonctionnement normal. J'insiste sur la différence entre le normal et le pathologique, car autant le physique peut expliquer le mental dans les cas pathologiques, autant il ne l'explique plus dans les cas normaux, qui peuvent être expliqués selon une approche purement mentale. Pour reprendre l'exemple classique du Phédon, si on demande pourquoi Socrate reste assis, il faut répondre qu'il ne souhaite pas s'enfuir de prison, et non pas que les muscles de ses cuisses sont contractés. Par contre, si on veut expliquer pourquoi il est couché, ce qui est pathologique, on répondra que la ciguë a paralysé tous ces muscles.
      Ce n'est pas la neurologie qui nous apprend à distinguer raison et sentiment, ni à comprendre leur articulation. C'est la philosophie, assistée de la psychologie. On peut donc comprendre, en première personne, qu'il ne suffit pas d'une décision rationnelle pour avoir une émotion (on ne peut pas "décréter" d'être en colère), par contre, chacun comprend bien qu'en pensant à certaines choses, ou en se mettant dans certaines situations, on peut produire en nous certaines émotions. Les émotions ne sont donc pas directement contrôlables, mais elles le sont indirectement. Ceci, ce n'est pas l'étude neurologique qui nous l'apprend, mais l'introspection.

      Venons en ensuite à l'importance de la pensée pour le bonheur. A part si on est stoïcien ou spinoziste, il me semble qu'il est vraiment difficile de soutenir qu'il suffit de savoir pour être heureux. Il faut vraiment être audacieux pour soutenir que la pensée est condition suffisante du bonheur. Par contre, je crois qu'on peut dire qu'elle est condition nécessaire. Quelqu'un qui serait heureux, mais qui ne saurait même pas pourquoi il l'est, me paraît au fond moins heureux que quelqu'un qui a aussi cette connaissance de la nature du bonheur. A tout choisir, je préfère encore la vie du philosophe malheureux qui sait ce qu'est le bonheur, et qui comprend que sa vie ne lui permet pas de l'être, que la vie de l'imbécile heureux incapable de savoir pourquoi il l'est. Si j'étais peu charitable, je dirais que c'est ce que je reproche aux techniques de méditations. Elles ont découvert un "truc" qui permet de se sentir bien, mais ne sont pas capables de relier cela à une théorie générale de ce qu'est une vie réussie.
      Concernant la nature du bonheur, c'est vrai que j'aurais tendance à dire qu'il s'agit plutôt d'une pensée, à savoir l'idée d'un accord entre le modèle de la vie bonne, et notre vie réellement vécue, et non pas d'un sentiment, qui équivaut à une sorte de bien-être, de plaisir ou de calme. Je trouve grotesque l'idée qu'on puisse être heureux par gros temps, qu'on puisse avoir une vie complètement ratée, tout en se sentant bien grâce à des techniques de méditation. Bien sûr, mieux vaut, sans doute, être ridicule plutôt que de désespérer. Mais je me fais une idée du bonheur un peu plus exigeante, plus dure, sans doute. Est heureux celui dont la vie est réussie, et qui comprend pourquoi elle l'est. Et j'ajouterai, pour polémiquer, que l'homme heureux n'a pas besoin de tout ce fatras oriental. Les retraites méditatives de Steve Jobs m'ont toujours beaucoup fait rire.

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  5. Tu es trop exigeant envers toi même. Tu t'es construit une idée du bonheur beaucoup trop stéréotypée. Lache prise. Ne te laisse par emprisonner par ta pensée et ton ego qui est partie intégrante de ta pensée. Autorise toi à changer, à être quelqu'un d'autre. Libère toi de ton attachement aux choses : concepts, êtres humains, biens matériels, ....
    Le bonheur est déjà en nous, il est caché derrière des pensées parasites qui sont le fruit d'un mental en ébullition. Pratique la méditation de manière assidue et tu ressentiras ce que la pensée ne peut décrire.
    La méditation est une pratique qui nous permet de ne plus être l'esclave de notre mental.
    J'ai conscience de faire un peu gourou mais cela me permet de sortir des schémas de pensée classique de la raison.

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