jeudi 12 juin 2014

Femmes entre capacité et identité

Ceci ne sera pas une analyse détaillée du livre de Agacinski auquel mon titre fait évidemment allusion (Femmes entre sexe et genre). Il s'agira plutôt d'une critique des positions politiques qui en sont la conclusion. Je m'explique.
Ce livre défend une thèse fort simple, ou plutôt rappelle une chose d'une banalité évidente, mais qui a été perdue de vue à cause de l'originalité des thèses sur la construction sociale du genre. Ces thèses doivent leur célébrité à Judith Butler, avec son Trouble dans le genre, mais aussi à Monique Wittig, avec son célèbre "Les lesbiennes ne sont pas des femmes".
Pour résumer brièvement les discussions, les partisans de la construction sociale affirment que personne ne nait homme ou femme, que la biologie ne suffit pas à déterminer notre identité sexuelle. C'est la société, par un système d'inculcation plus ou moins violent, qui finit par imposer un sexe aux individus. On trouve ainsi chez Butler l'idée d'une performativité du genre, l'idée selon laquelle il nous faut à chaque instant jouer notre rôle d'homme ou de femme, tel un acteur de théâtre, afin de rester dans les stéréotypes attendus par la société.
Je ne distingue pas sexe et genre, justement parce que les partisans de la construction sociale refusent le découpage entre sexe naturel et genre social, et affirment que le sexe aussi est une construction sociale. Il s'ensuit de ce type de propos que la binarité des sexes n'a rien d'un fait de nature, mais vient de la société. Il se pourrait que plusieurs autres sexes apparaissent, à mesure que la société devient plus tolérante, plus ouverte. On trouve aujourd'hui des revendications politiques en faveur d'un troisième sexe qui puisse être reconnu par l'administration. 
Agacinski, elle, rappelle que le point central de la différence des sexes n'est pas une différence d'apparence ou de comportements sociaux, mais une différence dans la capacité d'engendrer. Il y a deux sexes, et seulement deux, parce que la reproduction sexuée vivipare suppose le mélange de gamètes mâles et femelles, autrement dit, l'apport par un mâle de spermatozoïdes, la fécondation des ovules de la femelle, puis la croissance de l'embryon au sein du ventre de la femelle. On pourrait donc bien, si on le veut, admettre une pluralité d'identités, reste que les mécanismes de la reproduction supposent la binarité. Il n'y a pas de troisième sexe, qui ne pourrait correspondre qu'à un cas de stérilité. Un sexe non fonctionnel est une apparence de sexe, mais n'est pas un sexe (ceci vaut notamment pour les transsexuels). 
En résumé, Agacinski oppose le sexe comme identité (elle admet très bien que cette identité est construite par la société; les gender studies restent intéressantes de ce point de vue), et le sexe comme capacité (qui est fixée par la biologie). Les identités sont plurielles, les capacités reproductives ne vont que par deux. Les identités sont psychologiques et sociologiques, les capacités sont biologiques.

Cependant, il me semble que le livre d'Agacinski devient très insuffisant sur toutes les conséquences qu'il tire de ce rappel de bon sens. Il se contente de répéter ad nauseam qu'il faut lutter contre la marchandisation du corps de la femme, le mot "marchandisation" fonctionnant comme une incantation magique pour diaboliser tout ce à quoi il est attaché. Or, d'une part, rien ne prouve que marchandiser soit mauvais en soi. Je marchandise mes talents de philosophe auprès d'un public de jeunes et je m'en porte très bien. Et d'autre part, cet usage du mot accolé à n'importe quoi finit par produire du vertige plutôt que de la conviction. Que peuvent donc avoir en commun la marchandisation du ventre d'une mère porteuse, la marchandisation des organes génitaux d'une prostituée, la marchandisation des ovules d'une donneuse, etc? Le point commun se réduit à un transfert d'argent en échange d'un certain service. Mais alors, pourquoi ne dit-on pas que la serveuse qu'elle marchandise ses bras, que la caissière aussi, etc? 
De plus, l'objectif (en soi tout à fait louable) qui est la défense des intérêts des femmes a des conséquences conceptuelles absurdes : on a l'impression que seules des femmes peuvent être marchandisées! Du coup, une prostituée femme est marchandisée, mais un prostitué homme ne l'est pas. Une femme qui donne des ovules est marchandisée, mais un homme qui donne son sperme ne l'est pas. Bref, l'argument de la marchandisation me paraît tomber dans la plus complète confusion.



Je voudrais donc reprendre la discussion, et apporter un peu de clarté à ce sujet. Mon point de départ est ce qui me paraît incontestable. Il y a une binarité des sexes, parce que les hommes mettent leur semence dans le ventre des femmes, et que les femmes portent pendant neuf mois les enfants issus de la fécondation. Un homme ne peut pas féconder un autre homme, une femme ne peut pas féconder une autre femme, et personne ne peut se féconder lui-même. La reproduction sexuée suppose deux individus de sexe différent, et c'est même ce qui la différencie de la multiplication par clonage, qui a cours chez les êtres unicellulaires. 
Or, cette différence biologique a des conséquences sociales connues depuis bien longtemps. D'abord, les mâles ont volontiers tendance à chercher de multiples partenaires. Mais ce goût se paie par l'incertitude concernant la paternité biologique. Bref, les hommes voudraient à la fois la liberté de copuler, et en même temps la garantie que les enfants sont bien les leurs (je ne m'étends pas là dessus, car cela soulève des problèmes spécifiques). Quant aux femelles, la problématique est différente, puisqu'une fois fécondée, la recherche d'un partenaire sexuel perd tout intérêt. Par contre, il lui faut dorénavant faire particulièrement attention à sa santé, manger un peu plus, et obtenir une sécurité supplémentaire pour porter l'enfant et l'élever dans des conditions convenables. Car autant le mâle a neuf mois pour fuir, après la conception, autant la femelle n'a pas cette possibilité de fuir. Autrement dit, elle est obligée d'assumer la charge de l'éducation de l'enfant, alors que le mâle n'a pas cette obligation (j'écarte, un peu arbitrairement peut-être, le cas de l'infanticide, parce que celui-ci demande quand même des capacités psychologiques largement au-dessus du commun des humains).
Pour résumer, la situation des hommes est globalement plus enviable que celle des femmes, parce qu'ils ne subissent jamais de situation de dépendance. Se reproduire ne les empêche jamais d'être libre et autonomes. Alors qu'une femme devient dépendante quand son ventre l'empêche de travailler, et quand elle doit passer une très grande partie de son temps à s'occuper d'un enfant. C'est ce simple fait qui doit nous obliger à concevoir des politiques favorables aux femmes : parce qu'elles subissent une dépendance que ne subissent pas les hommes, il faut qu'un ensemble de mesures politiques permettent aux femmes de retrouver leur autonomie, si elles le veulent.
L'enjeu du féminisme est ici : faire en sorte que la perte de liberté des femmes, due au fonctionnement de leur appareil reproductif, soit compensée par la société. On vient de le rappeler, les femmes sont, d'un point de vue biologique, plus dépendantes que les hommes. Mais la société peut faire en sorte que les femmes retrouvent de la liberté. La pilule permet aux femmes d'avoir librement des rapports sexuels sans risquer la dépendance liée à la grossesse. Un congé payé permet de finir sa grossesse sans se retrouver sans argent. Une crèche permet continuer à exercer son activité professionnelle. Et on peut trouver encore d'autres exemples. Tous ces exemples doivent être analysés selon le même point de vue : comme la compensation sociale d'une inégalité naturelle. Les femmes sont naturellement plus dépendantes, donc la société fait un effort supplémentaire pour les rendre aussi autonomes que les hommes. D'ailleurs, nul besoin d'un principe de justice pour légitimer cette compensation d'une inégalité, il suffit de faire appel au simple intérêt de la société, qui a besoin de se perpétuer. Si on veut aller plus loin, et en même temps rejoindre des principes très classiques, on dira qu'une société est juste si elle accorde des libertés égales pour tous. Pour que les femmes soient aussi libres que les hommes, il faut leur accorder des services et des prestations liés à la nature de leur biologie. Une société qui refuserait de faire ces efforts maintiendrait les femmes dans une situation d'infériorité.
Autant une société n'a pas à compenser les handicaps qui sont les conséquences de choix individuels, autant la reproduction est différente, car elle est nécessaire (du moins, il y a nécessité conditionnelle). Elle fait l'objet d'un choix, mais d'un choix obligée si la société veut exister. Donc, cela signifie que le fait d'enfanter doit être assisté exactement comme on pourrait le faire pour un handicap purement accidentel, ou causé par un acte illégal.
En résumé : la capacité d'enfanter a un coût en termes de libertés. Or la société n'existe que si les femmes enfantent. Il est donc juste que la société garantisse aux femmes autant de libertés que si elles n'enfantaient pas, c'est-à-dire vivaient comme les hommes. 

Ainsi, toutes les discussions sur l'identité sexuelle, sur la reconnaissance des orientations sexuelles minoritaires, sur la manière dont il faut élever les enfants, etc. n'ont à peu près aucun rapport avec le féminisme, et avec la dépendance liée à la capacité d'enfanter. Il s'agit, si on veut, d'une pure question d'égalité, mais certainement pas de liberté. Les homosexuels ne sont pas moins libres que les hétérosexuels. Ils sont seulement mis en situation d'infériorité sociale, de discrimination. De même, que l'infirmière (femme) soit moins bien payée que le médecin (homme) est une question d'égalité et pas de liberté. Je n'insiste pas, tout ceci est bien connu, et de nombreuses féministes se sont demandées pourquoi la moitié d'entre elles passaient leur temps à défendre les homosexuels plutôt que les femmes.
Et que deviennent tous les arguments sur la marchandisation? Ils s'effondrent aussi. Car marchandiser son corps signifie avoir besoin d'argent, mais n'est pas un signe de dépendance, ni n'entretient cette dépendance (du moins, cette dépendance est celle de la condition de tous ceux qui doivent travailler pour vivre, cf. L'argent est-il un instrument de domination?). Ce n'est pas du tout parce que les femmes doivent porter des enfants qu'elles sont obligées de se prostituer, ni de servir de mères porteuses. C'est seulement parce qu'elles doivent gagner leur vie comme chacun qu'elles utilisent leurs capacités biologiques pour y arriver. Mais il n'y a rien d'immoral à cela. Cela ne créé pas de dépendance. Se prostituer ne rend pas plus dépendant que travailler dans un supermarché. Il en est de même des mères porteuses : si elles sont correctement rémunérées, on ne peut plus parler de dépendance.



Le féminisme est donc la doctrine politique qui cherche à défendre non pas l'égalité des identités sexuelles, mais la liberté d'utilisation de ses capacités de reproduction. Certes, égalité et liberté se croisent, car être moins libre, c'est être inférieur, donc inégal. Mais c'est bien un manque de liberté qu'il s'agit de compenser : c'est en donnant de la liberté qu'on retrouvera, en conséquence, de l'égalité. La victoire du féminisme signifie que les femmes peuvent enfanter si elles le veulent, et seulement si elles le veulent. 

8 commentaires:

  1. Les "conséquences sociales" que tu prétends tirer du "fait" de la différence biologique correspondent à une psychologie évolutionniste de bazar. Monsieur est volage, son but est de répandre ses gamètes à tout vent. La fidélité est un concept incompréhensible pour monsieur. Brûlez toute la littérature qui prouve le contraire. Madame aime les enfants, mais pas le sexe. Madame est biologiquement déterminée à prendre soin de son enfant, mais pas monsieur, bien sûr. Monsieur n'a pas d'"obligation", parce qu'il a un pénis. Madame est "dépendante". Dépendante de quoi ? De "la société" ? De Monsieur, bien sûr !

    Par ailleurs, tu sembles avoir complètement intériorisé l'obsession nataliste de l’État français : "la société" n'existe pas si les femmes n'enfantent pas. Donc "la société" doit prendre en charge la grossesse. Et si la société n'était pas une personne ? Et si les personnes qui la composent se moquaient complètement de la démographie de "la société" dans un siècle ?

    Cet article fleure bon le préjugé atavique.
    "de nombreuses féministes se sont demandées pourquoi la moitié d'entre elles passaient leur temps à défendre les homosexuels plutôt que les femme". Comme on le sait, les homosexuels ne sont que des hommes !!!!!!!!

    Le dernier paragraphe est complètement aberrant. Es-tu au courant que de nombreuses féministes n'ont jamais voulu avoir d'enfant ??? Qu'elles n'étaient pas des hommes pour autant ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. PS : c'est justement pour éviter de subir le poids de ces prétendues "conséquences sociales" tirées par la société (et non par la nature) de la différence des organes que le féminisme s'est constitué ! Pour éviter de se retrouver enfermé dans les tâches d'éducation des enfants et de bonne tenue du foyer. L'argument contre les revendications féministes en matière sociale ou politique a toujours été le suivant : la place des femmes est au foyer parce que la nature les y destine. Il est pour le moins étrange de prétendre définir le féminisme par cet argument machiste.

      Supprimer
    2. On peut évidemment ironiser sur le fait qu'il s'agit de clichés, il n'empêche qu'ils sont vrais. Les hommes fréquentent des prostitués, rechignent à avoir et à s'occuper des enfants. Les femmes sont plus fidèles, et parlent du bonheur d'avoir des enfants. Bien sûr qu'il y a des des exceptions, qui ne remettent pas en cause les tendances de fond. Les femmes qui ne veulent pas d'enfants sont très rares.
      Savoir si ces comportements sont naturels ou sociaux ne me paraît pas non plus une question si difficile que cela. En effet, quand une société est complètement incapable d'agir de manière puissante et à peu près systématique sur les pensées et les comportements d'un individu, alors les qualifier de naturel semble pertinent. Or, aucun type d'éducation ne permet aux femmes de ne pas désirer d'enfant, et aucun type d'éducation ne rend les hommes spontanément fidèles à leur femme, et dévoués pour leur progéniture. Ces attitudes sont donc naturelles, et seuls des mécanismes sociaux contraignants permettent d'en limiter les conséquences.
      Chez les hommes, ces mécanismes sociaux sont le mariage, et l'obligation d'assumer sa paternité. Il s'agit de dispositifs contraignants, qui viennent limiter la liberté. Chez les femmes, ce sont les allocations, crèches, etc. qui permettent de ne pas trop perdre en liberté, lorsqu'elles font des enfants.

      Vient ensuite la question de la politique nataliste. Ton argument sur la personnification n'est pas convaincant. Je peux très bien admettre qu'un individu se fiche pas mal de la démographie française. Par contre, tous les autres français, eux, ne se fichent pas que cet individu fasse des enfants. Parce que chacun, pour avoir une vie humaine (c'est-à-dire en société, partageant une langue et une culture), a besoin des autres. Autrement dit, profiter de ce que nous apportent les autres, sans leur rendre ce qu'ils nous ont donné, me paraît immoral. Nous avons eu besoin des autres, donc nous devons donner aux autres ce qu'ils attendent à leur tour de nous, à savoir des enfants.
      En complément, je précise que tous ceux qui n'aiment pas la vie sont évidemment dispensés de ce devoir d'enfanter, et qu'il serait même immoral de faire des enfants tout en pensant que la vie est une peine. Mais à partir du moment où nous aimons la vie, et aimer la vie suppose nécessairement des contacts avec d'autres humains, alors le devoir d'enfanter me semble s'imposer.

      Il faudrait ensuite parler un peu des exceptions. Le problème est inverse pour les hommes et les femmes. Une femme qui ne veut pas d'enfant a un avantage évident par rapport aux autres femmes. Elle n'a donc pas besoin d'aide, du moins dans l'état actuel de nos sociétés. Il lui suffit de vivre comme un homme. Par contre, les hommes qui sont des exceptions, et qui ont un fort désir d'enfant, sont dans une situation plus délicate que leurs homologues. Car la législation, et les traditions juridiques les maintiennent dans une situation d'infériorité (plus de mal pour adopter, pour obtenir la garde d'un enfant en cas de séparation, pour obtenir un congé parental, etc.)

      Supprimer
  2. "quand une société est complètement incapable d'agir de manière puissante et à peu près systématique sur les pensées et les comportements d'un individu, alors les qualifier de naturel semble pertinent"

    Je ne peux pas accepter cet usage du mot "société" qui en fait un agent supérieur aux individus et capables de les influencer dans un sens ou dans un autre.
    Quoi qu'il en soit, tout cela est tout à fait grossier, on est bien en peine de déterminer ce qu' "agir" veut dire ici. J'imagine que tu penses à l'éducation des enfants, mais c'est incroyablement primaire de penser que la nature est ce qui reste quand on soustrait tout ce qui a été "inculqué" à des enfants supposés passifs. Je ne veux cependant pas entrer dans un débat psychologique.

    Par ailleurs, si l'infidélité masculine est naturelle, alors la promesse faite par les époux devant monsieur le curé est un pur flatus vocis, puisque personne n'est tenu à l'impossible. Merci d'en informer l’Église.
    Tu diras sans doute qu'un trait peut être naturel sans être irrépressible. Mais s'il est répressible, alors comment prouver qu'il est naturel ? Tu dis justement que le critère d'un trait naturel est qu'il est irrépressible par "la société", donc par les individus qui la composent, semble-t-il.
    Je n'ai pas d'exemple ethnologique décisif à brandir pour réfuter ces assertions, mais on trouve de tout dans la nature, comme à La Samaritaine. Il me semble qu'au XIXe siècle en Europe en tout cas, c'était la femme qui était jugée incapable de maîtriser sa sexualité, au rebours des préjugés actuels.

    Ce qui est révoltant d'un point de vue féministe est que tu parles d'obligation pour les femmes de s'occuper des enfants, obligation que les hommes n'auraient pas puisqu'ils sont biologiquement déterminés, pour la plupart donc d'après toi, à aller voir ailleurs.
    Autrement dit, la nature qui détermine biologiquement les uns et les autres donne des obligations aux uns mais les retire aux autres !!!!!

    Non seulement c'est révoltant mais c'est assez idiot. J'imagine que tu ne voulais pas dire cela.

    L'idée d'un devoir d'avoir des enfants, que tu développes ensuite, est assez cocasse. Ce ne peut être un devoir comme celui d'aider quelqu'un qui fait un malaise dans la rue. On doit faire des enfants pour les autres, selon toi, non pour combler un besoin présent, mais un besoin futur : le besoin des générations futures d'avoir de la compagnie. Formulons-le comme un impératif catégorique à la Kant : je ne peux vouloir que mon désir de ne pas faire d'enfant soit érigé en loi universelle de la nature, car... dans ce cas les générations futures seraient toutes seules, elles seraient dépourvues de compagnie.
    Toutes seules ? Il est manifeste qu'un tel impératif est absurde. L'impératif devrait être seulement : agis de telle sorte qu'il existe au plus un individu dans la génération future ou aucun, mais pas un et un seul, car, le pauvre, il sera tout seul !
    Mais peut-être le besoin dont tu parles est celui de vivre dans une société importante en nombre, de façon à maintenir la langue et la culture nationale. C'est tout à fait différent. Ce n'est plus un devoir universalisable à la Kant : les inuits se moquent de défendre la francophonie. Ce serait un devoir dérivable de celui de préserver la culture nationale ou communautaire : mais il paraît difficile à fonder, et d'autre part, il y a d'autres façons de le remplir que de faire des enfants !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Erratum dernier paragraphe : qu'il existe au moins un individu dans la génération future.

      Supprimer
  3. Tu soulèves des débats sur la nature de la société qui n'ont pas lieu d'être. Si on ne veut pas voir la société comme une entité autonome, il suffit de considérer que ce que j'appelle société désigne l'ensemble des interactions entre humains, les autres ayant toujours une influence sur nous (qu'il s'agisse des parents, des amis, des professionnels, des médias, etc.). Et je ne vois pas non plus pourquoi je devrais préciser le sens de "agir" : je ne suis pas sociologue. Les parents punissent, les copains se moquent ou admirent, les professionnels contraignent par des règlements, les médias nous parlent de notre société, etc. Voilà ce que j'appelle "agir".

    Tu confonds le fait de désirer et le fait de passer à l'acte. Ce qui me semble naturel, c'est le fait de désirer avoir de multiples partenaires sexuels. Si aucune contrainte n'existe, alors ce désir sera réalisé. Mais dans le cadre du mariage, ce désir est contrarié. Reste qu'un désir contrarié n'est pas un désir qui disparaît.
    C'est vrai que l’Église nous demande de rester purs jusque dans nos pensées, mais tout humain raisonnable sait bien qu'il est extrêmement difficile d'y parvenir, et que la fidélité dans les actes suffit largement. Donc, pas d'inquiétude, le mariage et la fidélité n'ont rien d'impossible, mais la nature n'est pas réprimée pour autant. La plupart des hommes trouvent un compromis raisonnable : ils sont fidèles à leur femme, tout en fantasmant sur la jolie voisine d'à côté. D'ailleurs, l’Église a inventé la confession pour réguler intelligemment ce genre d'attitude.

    Les femmes n'ont pas d'obligation, au sens précis du mot, de s'occuper des enfants. Elles ont simplement (en majorité) un très fort désir de le faire, et c'est pourquoi l’État doit faire en sorte que ce désir ne les pénalise pas sur les autres plans où elles pourraient s'investir, se réaliser.
    C'est d'ailleurs pourquoi faire des enfants doit avoir une fonction sociale, qui justifie que l’État intervienne. Mais ça me paraît difficile à nier.

    Enfin, dans la discussion sur le devoir de faire des enfants, tu introduis des considérations temporelles, qui à mon sens n'ont pas lieu d'être (générations futures, etc.). Il suffit d'affirmer que chacun veut trouver un monde peuplé d'individus, donc attend des autres qu'ils se reproduisent. Or, si chacun attend cela des autres, il est juste que chacun participe aussi, et ne repose sur les autres pour tirer profit du plaisir d'avoir des relations humaines, sans payer sa part, à savoir élever des enfants. Ce problème a donc la même structure que celui du passager clandestin. Élever des enfants est un coût, avoir des relations avec les autres est un bénéfice. Récolter les bénéfices sans vouloir payer le coût est immoral.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. 1° Les interactions n'agissent pas sur les gens ! Cela ne veut rien dire. Dans interaction, il y a action. Il n'y a pas de société qui agit sur les gens ou les fait agir. Les gens agissent.

      2° Ton post initial parlait bien d'action, et pas seulement de désir...

      Je ne vois pas pourquoi tu acceptes de colporter ces clichés, en l'absence de tout argument empirique. Les comportements sexuels sont tellement divers et variables ! L'argumentation sur le mode "tout le monde sait que" est tout à fait malhonnête.

      3° Tu ne tiens pas compte de ma remarque. Il faut préciser ce que tu veux dire par la phrase : "chacun veut trouver un monde peuplé d'individus". Je l'ai trouvé "peuplé" d'individu, et j'en suis fort aise. Mais je ne peux pas jurer que la compagnie humaine est plus agréable à dix qu'à sept milliards. Est-ce le plaisir de la compagnie dont tu parles ? La satisfaction des besoins dits primaires ? Des autres besoins ? La transmission de la culture ?
      C'est toi qui introduit des considérations temporelles, puisque tu dis que "chacun veut TROUVER..." Tout ceux qui sont nés l'ont déjà trouvé peuplé. Ce serait donc un devoir pour les générations futures.

      Supprimer
    2. 1) La phrase "la société agit" est compatible avec le plus pur individualisme. Il s'agit tout simplement d'une formule pour parler de l'ensemble cumulé de toutes les interactions individuelles. Admettre des présupposés holistes demande davantage qu'employer ce genre de phrases.

      2) Pour donner quelques indications empiriques (non chiffrées, toutefois) : les prostituées sont presque toujours des femmes ayant pour clients des hommes; les sites internet d'adultères n'arrivent quasiment pas à faire adhérer les femmes; tous les clubs libertins ont du mal à faire venir les femmes, etc. Bref, dans toutes les pratiques sexuelles non liées à une relation stable, ce sont les hommes qui sont massivement demandeurs, pas les femmes.
      Bien entendu, il faudrait me répondre que ces moeurs sont d'origine sociale et non pas naturelle. Mais face à des attitudes si constantes et si dures à modifier, je trouve que ce serait inadéquat de parler d'origine sociale.
      Quant à la différence entre les désirs et les actions, il ne faut pas trop la durcir. Un désir, c'est un certain effort que l'on accomplit pour réaliser un acte. Quand trop de choses s'opposent à nous, le désir semble n'être qu'une pensée intérieure. Quand les résistances sont surmontables, le désir et l'acte viennent ensemble.

      3) Sur le devoir d'enfants. Les générations ne sont pas des strates parallèles et sans point de contact. Notre vie est ce qu'elle est parce que s'y côtoient les générations, donc parce que les autres continuent à enfanter alors même que nous sommes là. Il ne s'agit donc pas d'ajouter une nouvelle strate d'individus sans contact avec la nôtre. C'est pour cela que c'est très gênant de parler de génération future. Il n'y a pas de génération future. Il n'y a que des jeunes, des moins jeunes, et des vieux. Nous-mêmes, nous serions tristes dès à présent si aucun jeune ne naissait, mais que nous finissions notre vie au milieu de gens de notre âge. Pas besoin de penser au dernier homme tout seul (qui est une fiction qui repose sur l'idée des strates successives).

      Supprimer