mercredi 13 janvier 2016

Utilité et nécessité en épistémologie

Je voudrais dire un mot de l'épistémologie pragmatiste, et essayer de montrer en quoi elle a raison, et quelles sont ses limites. L'épistémologie pragmatiste se caractérise d'abord par une opposition totale à une approche cartésienne, fondationnaliste, dans laquelle tout ce qui est dit doit être fondé sur des preuves indubitables. Mais le pragmatisme n'adopte pas non plus le cohérentisme, ou du moins pas sous sa forme habituelle. Car il ne suffit pas qu'une croyance s'accorde avec l'ensemble de nos croyances pour qu'elle soit vraie (le cohérentisme étant la doctrine épistémologique pour qui la non contradiction avec l'ensemble de nos croyances est une condition nécessaire et suffisante pour la vérité d'une croyance). Le pragmatisme est plutôt une approche contextualiste. Dans celle-ci ce qui demande à être justifié et ce qui peut être tenu pour fondé est relatif à un contexte historique. En 1905, Einstein a besoin d'apporter des arguments pour justifier la relativité restreinte. En 2015, un scientifique n'en a plus besoin, il peut utiliser cette théorie comme un acquis et développer d'autres théories reposant sur elle. Le front des propositions à démontrer a donc évolué pour des raisons historiques, et on n'attend de personne qu'il puisse redémontrer tout ce que l'humanité entière a découvert. Mais si quelques brèches apparaissent un jour dans la théorie de la relativité restreinte, il pourrait redevenir utile de justifier pourquoi nous tenons cette théorie pour fondée. 
Ce type d'épistémologie pragmatiste a pour précurseur Wittgenstein, dont les indications qu'il a données dans De la Certitude ont servi de socle. En effet, pour Wittgenstein, toute enquête suppose bon nombre de phrases qui sont mises à l'abri du doute et qui servent de fondement à la pratique de vérification. Ces phrases forment une sorte d'arrière-plan, elles ne sont d'ailleurs presque jamais formulées, mais sont implicitement rendues vraies par nos pratiques. Ces propositions ne pourraient pas être mises en discussion, parce qu'elles sont utiles à toute procédure de vérification, de sorte que, douter d'elles, c'est faire s'effondrer tous les moyens que nous avons pour les discuter. Par exemple, quand nous faisons une expérience de physique et lisons un résultat sur un chronomètre, nous supposons que le chronomètre est fiable, que le temps s'écoule régulièrement, que nos yeux nous montrent bien le phénomène à étudier, etc. Le contextualisme ne fait qu'élargir à une culture entière des remarques de Wittgenstein qui portent plutôt sur des pratiques individuelles. Chaque culture a son lot de certitudes hors de doute, qui ne sont pas des vérités ultimes et peuvent bien être discutées (ce qui marque cette approche comme anti-cartésienne), mais elles sont pour un temps mises de côté afin de s'attaquer aux problèmes que cette culture estime d'importance.
 Le contextualisme, malgré les apparences, n'est pas un relativisme. Il ne dit pas que ce qui est vrai pour une époque pourrait être fausse pour une autre. Il parle plutôt de ce qui a besoin d'être prouvé, ce qui n'en a pas besoin, etc. En d'autres termes, ce sont les notions humaines de vérification, de doute, de certitude qui sont relativisées, et non pas les notions métaphysique de vérité et de fausseté. Ce qui est vrai l'est à toute époque et en tout lieu. Il semble impossible de faire dire le contraire à Wittgenstein, qui d'ailleurs, est souvent tenté par la naturalisation des certitudes (par naturalisation, je veux dire que ces certitudes dépendraient d'une "histoire naturelle", donc de notre constitution physique, de nos besoins, etc.) Mais chaque époque utilise ses propres méthodes pour atteindre la vérité, a son propre domaine de vérités tenues pour certaines, a son propre lot de propositions problématiques.
Ce qui peut tout de même sembler relativiste, c'est seulement l'idée selon laquelle un individu peut être justifié de croire ce qu'il croit, alors même qu'il croit quelque chose de faux. En effet, si les certitudes de base de sa culture sont erronées, et que lui même construit une théorie cohérente et argumentée à partir de ces certitudes, alors cet individu est justifié, bien que dans l'erreur. C'est cela qui choque un absolutiste "traditionnel", pour qui on ne peut être justifié que si on croit quelque chose de vrai absolument parlant, et pas seulement quelque chose de cohérent par rapport à sa culture. Je voudrais justement défendre cette position absolutiste traditionnelle, même si j'accepte l'essentiel de cette approche pragmatiste.

Comme mon titre l'indique, je voudrais introduire la distinction entre utilité et nécessité. Par utilité, j'entends ce qui doit être fait afin d'atteindre efficacement une fin donnée. Par nécessité, j'entends ce qui doit être fait absolument parlant, quelle que soit notre fin par ailleurs. En épistémologie, il est nécessaire de croire et de dire ce qui est vrai. C'est l'exigence fondamentale, inconditionnelle. On peut parfois retarder l'élimination de théories fausses parce qu'on ne sait pas encore par quoi les remplacer, mais il est nécessaire qu'à terme, toute théorie fausse soit remplacée par une théorie vraie. Rien d'autre n'est nécessaire.
Ceci veut dire que toutes les valeurs épistémologiques, comme la simplicité, l'élégance, la fertilité, l'exposition à la réfutation, sont certes utiles et souhaitables, mais pas nécessaires. Une théorie vraie mais affreusement compliquée et stérile peut être conservée pour la seule raison qu'elle est vraie (alors que, évidemment, une théorie magnifiquement construite mais fausse doit être rejetée). 
J'en viens maintenant au cœur du propos : chaque culture tient certaines choses pour solides, d'autres pour à l'abri du doute, d'autres pour discutables, d'autres pour franchement indéfendables, etc. Il est utile, pour une scientifique, de donner des arguments pour prouver (ou au moins soutenir) tout ce que ses interlocuteurs ne tiennent pas encore pour certain. Mais il est inutile de le faire lorsque ces mêmes interlocuteurs tiennent quelque chose pour déjà évident. Or, on voit bien qu'il est pourtant nécessaire de tout prouver, afin de ne croire que ce qui est vrai. Pourtant, tout prouver serait souvent inutile, parce que les individus ont certes pour devoir de ne croire que le vrai, mais ce devoir ne précise pas comment ils doivent s'y prendre. Rien ne leur interdit de chercher le vrai sur une question disputée, quitte à négliger une question que toute leur culture néglige aussi, au lieu de se concentrer sur les prétendues banalités.
Allons même plus loin. Il est hautement probable que la plupart des prétendues banalités d'une culture soient bel et bien des banalités. Il y a sans doute de fausses banalités, mais elles seront probablement très rares. De sorte que, chercher à les découvrir va demander un temps et une énergie considérables. Alors que, selon toute probabilité, là où une culture exige des preuves, c'est que le risque d'erreur est assez élevé. De sorte que chercher des preuves sur ce terrain est beaucoup plus rentable. Il est donc utile de se consacrer aux questions disputées, bien plus utile que de parcourir le vaste domaine des banalités en vue de découvrir enfin une erreur.
Pour apporter une nuance, il faut quand même dire que la recherche scientifique est spécialisée. Plus des individus se consacrent à certaines questions disputées, plus il devient utile de parcourir des secteurs moins rebattus. A la limite, il devient infiniment utile de scruter les banalités si personne d'autre ne le fait. Et de fait, les scientifiques sont naturellement aimantés par les secteurs des sciences dans lesquels les controverses sont vives. On n'assigne pas des scientifiques à contrôler compulsivement des évidences. Pourtant, dans l'absolu, notre devoir de ne croire que ce qui est vrai rend nécessaire le fait de pouvoir prouver tout ce que nous croyons. Mais ce devoir n'est jamais exercé n'importe comment, il est exercé de manière plus utile, plus rentable.
Ainsi, le devoir universel de chercher la vérité se télescope avec la condition historique et temporelle des hommes. Les hommes vivent dans une société donnée, et ils ne vivent qu'un temps limité. Il est donc utile qu'ils se consacrent aux questions que leur société rend les plus urgentes, et celles qui leur paraissent réalisables à l'échelle de leur vie relativement courte. Il faut donc pouvoir dire, ce que fait très bien le pragmatisme, qu'ils sont justifiés de se consacrer à certaines tâches épistémologiques, même si cela les amène à tenir des choses pour fausses. Mais il faut quand même garder un second niveau d'exigence dans lequel on est jamais justifié de croire ce qui est faux. Le premier niveau est pratique, et c'est l'épistémologique pragmatiste qui le prend en charge. Il est pratique parce qu'il est relatif à l'adéquation des moyens et des fins. A ce niveau, le devoir fondamental est d'être le plus efficace possible. Le second niveau est théorique. Dans celui-ci le devoir fondamental est de ne croire que ce qui est vrai. Pour nous humains, l'activité théorique reste une activité pratique. Si nous étions des dieux éternels, les choses seraient différentes. Un dieu éternel ne cherche pas la vérité, elle est déjà toute présente à lui. mais pour nous humains, l'activité de connaissance reste indissolublement liée à des considérations d'efficacité. Il est donc, au nom de raisons pratiques, justifiable de temporairement laisser de côté des choses discutables dans l'absolu si c'est pour se consacrer à discuter des points qui paraissent plus à notre portée. 

En conclusion, je résume les acquis de la discussion:
1) Au point de vue théorique, notre devoir est de croire, partout et toujours, ce qui est vrai, et seulement ce qui est vrai.
2) Parce que nous sommes des êtres mortels inscris dans une culture qui a une histoire, la recherche de la vérité est pour nous une pratique.
3) Au point de vue pratique, notre devoir est de faire ce qui semble le plus efficace, compte tenu de nos désirs et des informations disponibles. 
4) Dans l'activité de connaissance, il est souvent utile de se reposer sur les certitudes communément admises, même si elles sont dans l'absolu discutables, parce que c'est le seul moyen de soulever des questions importantes.
5) Puisqu'il est souvent utile de tenir pour vrai ce qui est potentiellement faux, nous sommes souvent justifiés de le faire.
6) Notre devoir pratique d'efficacité de la recherche peut donc suspendre temporairement notre devoir théorique de ne croire que ce qui est vrai.
Indirectement, j'espère avoir montré la place qu'il convient d'accorder à l'épistémologie pragmatiste. L'épistémologie cartésienne traditionnelle a raison sur le point suivant : le devoir purement théorique de chercher le vrai est fondamental, et passe avant toute autre considération, tant qu'on se situe bien dans le champ théorique. Mais ce devoir a des conditions d'exercice, qui sont spécifiées par le pragmatisme. A l'impossible, nul n'étant tenu, le pragmatisme indique ce qui est possible et impossible, pour nous humains, dans la recherche de la vérité. Il précise aussi ce qui est souhaitable ou inutile. Mais à aucun moment, l'utilité ne passe avant la vérité. Car l'utilité est l'efficacité à obtenir la vérité, cela n'aurait donc aucun sens de donner à cette efficacité plus d'importance qu'à la vérité! Personne ne donne plus d'importance aux moyens qu'à la fin!

6 commentaires:

  1. 1) est bien évidemment faux. Nous n'avons pas l'obligation de ne croire que ce qu'on sait être vrai. On peut aussi bien sûr croire tout ce qui est suffisamment probable ou vraisemblable. Tout le monde accorde que le croyable est plus étendu que le certain, même Descartes, même en matière purement théorique, hors de tout nécessité pratique !

    Pour que ton problème ait un petit peu de sens, il faut introduire une circonstance précise de division du travail scientifique : au sein d'une discipline (ou d'un secteur de cette discipline) dont je suis spécialiste, je suis supposé n'admettre que ce que je sais être vrai.
    La question que tu soulèves se pose alors seulement dans le cas où je reçois mes principes d'un autre secteur de la discipline dont je ne suis pas spécialiste, ou éventuellement d'une autre discipline. Si l'on suppose qu'il serait peu commode d'entreprendre de les vérifier avant de commencer mon propre travail de chercher, peut-on dire que j'enfreins le devoir que tu mentionnes ?

    La réponse est simplissime : Non, évidemment !!! ces principes sont alors des hypothèses, et les conséquences que j'en tire sont des implications, dont la vérité est conditionnelle. Mais ce sont tout de même des vérités.

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    1. Tu as mal lu 1. Son problème n'est pas d'être faux, mais plutôt de n'être pas praticable. Car j'ai écrit "notre devoir est de croire, partout et toujours, ce qui est vrai", et non pas ce que tu dis "ce qu'on sait être vrai". Tu subjectivises 1. Or, il ne faut pas, car tous les points suivants visent justement à montrer la solution pratique pour suivre un devoir qui est en soi impraticable. Et cette solution pratique pratique à accorder le droit aux gens de croire des choses douteuses ou fausses, dans la mesure où cela libère du temps pour se consacrer à des recherches. En d'autres termes, c'est au nom de raisons pratiques qu'on s'accorde une dérogation à un devoir d'ordre théorique. Le cas de la spécialisation est en effet pertinent, mais c'est plus large que cela.

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    2. Je ne comprends pas cette réponse.

      Ce qui est vrai n'est pas ce qui est rouge. J'ai le devoir de m'arrêter au feu rouge même si je ne l'ai pas vu, mais je n'ai pas le devoir de croire ce qui est vrai mais dont j'ignore si c'est vrai, si c'est ce que tu veux dire, comme l'existence de Dieu ou du yéti(mais c'est complètement absurde).

      Tu sais bien de toute façon que "je sais que c'est vrai" et "c'est vrai" ont grosso modo le même sens, il n'y a pas une once de subjectivité là-dedans.

      Les gens, tous les gens, ont bien évidemment le droit de croire des choses douteuses et fausses, même seulement pour eux. Il n'y a que toi pour le leur refuser, et on ne sait même pas pourquoi.

      Par contre, il est exclu, dans une situation de communication publique ou d'enseignement, de faire passer pour certain une simple conjecture à laquelle on accorde foi, par exemple.

      Mais on peut se demander aussi si l'on peut faire passer pour certain son propre résultat théorique, si on le déduit de principes qu'on a reçu mais pas prouvé soi-même. C'est le cas que j'ai envisagé.

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    3. La vérité est bien une norme. Et elle n'est pas optionnelle, dès lors que l'on se lance dans une entreprise de connaissance (on a par contre le droit de faire autre chose, et de se bercer de mensonges). En commençant à rechercher la vérité, on se donne donc une norme qui dit que nous devons adhérer à tout ce qui est vrai, et rejeter tout ce qui est faux. Navré d'être si trivial. Si la vérité est le but de la recherche, alors la vérité sert de critère de réussite de cette recherche, et un critère de réussite est justement une norme.
      Quant au fait qu'il peut paraître incroyable de devoir croire le vrai même si on ignore si c'est vrai, cela n'a rien de bien particulier. En morale aussi nous avons le devoir de bien agir, même s'il arrive que nous ne sachions pas comment bien agir. Ce type d'ignorance ne détruit pas les normes (un peu comme le fait le principe "devoir implique pouvoir"), mais est au contraire essentielle, puisque ce type de normes n'existe que dans un contexte de recherche.

      Tu commets un peu la même erreur que Thierry, qui est d'oublier qu'il existe des devoirs épistémiques qui ne sont pas du tout des devoirs moraux, de même que Thierry a, à tort, immédiatement réduit la notion d'utilité à l'utilité sociale. Or, il existe une utilité pour la science qui n'est pas une utilité pour la société. De même, il y a une norme épistémique (croire le vrai) non réductible à une norme morale (faire le bien).

      Enfin, concernant les contextes de communication, cela demanderait un travail assez fin, car il y a des normes morales (ne pas mentir, dissimuler ce qu'on sait) et d'autres qui sont plutôt épistémiques (être de bonne foi, se rendre aux arguments d'autrui, etc.).

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  2. J'ai du mal à saisir ce que tu veux montrer. Il y a quand même des phrases fausses : "Pour nous humains, l'activité théorique reste une activité pratique" (pourquoi parler de la science made in god ?!) "l'activité de connaissance reste indissolublement liée à des considérations d'efficacité". Tu devrais te renseigner sur ce que font réellement les scientifiques : la valeur sociale d'une connaissance n'arrive que tardivement, lorsqu'il s'agit de commercialiser une invention (cette mise en valeur n'est sans doute pas le fait des scientifiques : c'est un autre métier). Tu ne distingues jamais le scientifique pur et dur, l'ingénieur, les laboratoires de R&D. On a un peu l'impression que t'as un siècle de retard, comme Courtial dans Mort à Crédit : l'air des inventeurs géniaux, à la fois théoriciens et praticiens, est révolu.
    Tu négliges une source pourtant intéressante pour examiner les justifications que donnent les scientifiques de leurs travaux : il s'agit des projets ANR. Deux choses sont à examiner : quelles valeurs mobilisent-ils ? Sont-ils si attentifs aux retombés sociales (j'imagine que c'est variable selon les disciplines : un historien n'a rien à vendre) ? D'autre part, il faudrait interroger leur pensée de derrière : est-ce que ces vitrines sont fidèles à la réalité du travail scientifique ? (sont-ce des prétextes pour obtenir un financement - quelles sont alors les valeurs mobilisées ? - ou sont-elles authentiques ?).

    Par ailleurs, tu fais des caricatures : certains scientifiques ne prennent pas appui sur des théories admises. Tout le monde le fait. Et le rêve fondationnaliste ne correspond à rien de réel : nul, sauf Descartes dans un contexte très précis, n'a jamais chercher à prétendre dire quelque chose de vrai en étant absout de tout doute. Ce que les scientifiques cherchent à éclaircir, ce sont des mécanismes tout à fait locaux, d'où l'insistance sur les protocoles expérimentaux où une variable est isolée pour examiner son rôle. La science est alors dictée, puisque c'est ça qui t'intéresse, par l'état du savoir et les incertitudes tenant aux articles dominants : où y a-t-il une brèche possible ? Quelle hypothèse pourrait-on modifier ? On a du mal à voir en quoi ton idée de devoir est pertinente.
    Tu fais aussi abstraction d'une dimension décisive quant au pragmatisme des théories scientifiques : elles ne valent que par leur efficacité prédictive. Il y a pas mal de littérature en ce moment justement sur la question de savoir ce qui sépare différentes formulations d'un même théorie (Boyer-Kassem, Vorms).

    Globalement, tu confonds à mon avis deux choses : les principes qui guident l'activité scientifique (qu'on devrait plutôt tirer d'un examen de sa réalité et non d'une opposition abstraite cohérentisme/fondationnalisme ; au passage Einstein n'apporte pas des arguments à sa théorie en 1905 ! il pose des hypothèses une fois écartée une précédente théorie du fait de ses impasses (Michelson-Morley), c'est plus tard justement que des "arguments" (en fait des observations : encore il y a peu je crois, ce qui signifie que la mise en cause de cette théorie est d'actualité) seront apportées. Donc tu confonds les principes épistémologiques (qu'à mon avis les philosophes n'ont pas à légiférer s'ils avaient la probité de lire un peu de science - ils seraient alors peut-être lus par les scientifiques) avec une réflexion teintée de sociologie sur les sciences, ce qui te permet d'avoir un point de vue autoritaire les sciences (elles "doivent" être ainsi...). Or, il y a bien une question qu'on peut poser à la science d'un point de vue citoyen : c'est ce que fait Kitcher dans Science, vérité et démocratie (dont on peut trouver une version pdf trouée mise en ligne par sa traductrice). Ceux qui financent la science ou qui en subissent les effets ont bien un mot à dire sur ses orientations.

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    1. Cet article n'est pas consacré à l'utilité sociale des sciences. Il n'est pas question des ingénieurs et de la R&D. L'utilité dont il est question est une utilité (d'un travail scientifique donné) pour la science, pas pour la société.
      C'est par contre, en effet, l'opposition entre science "made in god" pour reprendre ton expression, et la science faite par les hommes qui m'intéresse. J'essaie de montrer que notre condition de mortel nous permet de nous dispenser de règles épistémiques, qui sont pourtant valables en général. je suis d'accord avec ton rejet du fondationnalisme, mais j'ajoute que, pour Dieu, le fondationnalisme s'impose. Si on a un temps infini, absolument tout doit être fondé.
      Concernant la dimension normative, ou peut-être même "autoritaire" de mon propos, mon raisonnement est de la forme suivante :
      1) devoir implique pouvoir
      2) nous ne pouvons pas passer un temps infini sur chaque question scientifique.
      3) nous n'avons pas le devoir de passer un temps infini sur chaque question scientifique.
      Le reste de mon propos consiste à broder un peu au sujet de 3, en indiquant que cela nous autorise à ne pas vérifier tous nos fondements, à aller directement aux tâches qui nous paraissent les plus prometteuses.
      Cependant, je ne suis pas, a priori, persuadé d'y gagner beaucoup à lire les scientifiques, et je ne pense pas non plus que les scientifiques gagneraient beaucoup à me lire. Je ne crois pas que nous nous situions au même niveau de généralité. Ces deux niveaux ont une autonomie assez robuste.

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