mercredi 20 juillet 2011

Le sens des dispositions

Dans un post précédent (Être bien disposé à penser), j'avais proposé l'idée que la pensée devait être analysée en terme de dispositions. Penser à quelque chose, c'est être dans la disposition que l'on aurait si on était face à cette chose, ou bien dans un état d'attente, prêt à réagir à cette chose. Ainsi, penser à son ami en voyage à l'autre bout du monde, c'est faire comme s'il était en face de nous, se mettre dans l'état que l'on adopterait s'il était avec nous. Ou bien penser à son ami lorsqu'il revient de son voyage et que nous sommes à l'aéroport, c'est se préparer à réagir dès que nous le voyons. Ainsi, la pensée est disposition, avec les multiples sens de ce terme : à la fois puissance et virtualité. Par puissance, j'entends la préparation d'une chose à accomplir quelque chose, sans l'avoir encore exécuté, sans être encore passé à l'acte. Quand on s'attend à reconnaître son ami, on est disposé, préparé à réagir à son apparition. Et la disposition est aussi virtualité, c'est-à-dire état semblable à la situation réelle, sans que la situation soit réelle. Penser est ici affaire de fiction : on fait comme si la personne était là, comme si nous étions dans tel lieu, tel contexte, alors que nous ne le sommes pas. 
Penser a donc deux aspects : un par lequel nous nous programmons à réagir à une chose qui n'est pas encore présente, et un par lequel nous nous plaçons dans une situation différente de la situation présente. Dans les deux cas, il s'agit de se mettre dans une certaine disposition : une disposition d'attente en vue de mener à bien une recherche, et une disposition plus intellectuelle, consistant à se placer dans une situation fictive. 

Cette conception de la pensée, qui insiste sur la dimension corporelle davantage que comportementale, puisque la disposition n'est pas un comportement, mais un état du corps, soulève deux difficultés majeures, que je voudrais examiner. Premièrement, si penser, c'est se mettre dans une certaine disposition, alors il faut que l'individu soit lui-même capable de produire en lui ses propres dispositions. Car s'il ne faisait que réagir à son environnement, il serait rivé au présent, et incapable de penser à quelque chose d'absent. Bref, penser c'est toujours penser ce qui n'est pas, donc il faut que l'individu puisse en partie se couper des influences extérieures, pour déterminer lui-même son propre état corporel. Mais comment le peut-il? Quel est cet organe qui lui permet de court-circuiter la réalité, et de suivre un développement autonome? Et deuxièmement, si penser, c'est aussi disposer d'une certaine capacité de réflexivité, c'est-à-dire pouvoir nommer ses propres dispositions (cette définition de la réflexion, comme capacité de nommer ses dispositions, est inexacte, mais je m'en contenterais pour la raison que la définition précise, capacité de penser à ses propres dispositions, ne pourrait pas être comprise tant que l'on cherche justement à définir ce qu'est la pensée), alors il semble que l'homme doit posséder un sens particulier, capable de percevoir ces dispositions corporelles. Faut-il alors admettre un sixième sens, un sens interne?

Je ne serait guère long pour répondre, parce que la réponse à apporter à ces deux questions appartient davantage à la physiologie qu'à la philosophie. Comment l'homme peut-il créer en lui des dispositions? De la même façon qu'il est capable d'entretenir en lui certains états et réactions organiques indépendants du milieu extérieur. Les hommes, et les animaux, peuvent contracter leurs muscles et se déplacer même en l'absence de stimuli extérieurs, seulement déterminés par leur propre état interne. Et puisque bouger ses muscles implique aussi un certain état cérébral, il faut bien dire qu'il est du ressort des hommes et des animaux de déterminer eux-mêmes l'état de leur cerveau. Donc puisque l'organisme peut se déterminer lui-même, l'homme est tout aussi capable de produire lui-même certaines dispositions qui ne sont pas le pur effet immédiat d'une situation extérieure. 
Et comment l'homme peut-il percevoir et nommer ses dispositions? De la même manière que nous nous rendons compte que nous avons mal aux membres ou mal à la tête. La sensation de la douleur ne me paraît être rien d'autre que le sens du toucher lié aux organes internes. La plupart de nos parties corporelles ont des nerfs, sont sensibles, et ceci vaut aussi bien pour l'estomac, le cœur que le cerveau. Ainsi, ressentir l'état de son cerveau ou de son cœur, c'est être capable de discerner la disposition dans laquelle nous nous trouvons. Autrement dit, la capacité de réflexion, de penser son propre état interne, n'est rien d'autre que le sens du toucher. Nos organes sont sensibles, et c'est pour cela que nous pouvons comprendre l'état dans lequel ils se trouvent. 

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