lundi 16 juillet 2012

Les mondes possibles sont-ils possibles?

Je ne souhaite pas donner de noms tant la liste serait longue, mais il y a dans la philosophie contemporaine une certaine facilité, voire du dilettantisme, dans l'usage de cette notion de monde possible. C'est évidemment une métaphore très utile. En effet, quand on veut expliquer ce qu'est le sens des termes conceptuels, par opposition à leur référence dans notre monde (à savoir l'ensemble des choses réelles passées présentes et futures qui sont des instances du concept en question), il est très commode de recourir à ces notions. On dira donc que le sens d'un terme conceptuel est sa référence dans chacun des mondes possibles, ou, autrement dit, que le sens est une fonction qui, à chaque monde possible, associe des objets dans ce monde. De cette façon, on dira que la notion d'animal rationnel a pour sens une fonction qui à notre monde associe l'ensemble des bipèdes sans plume, moins les poulets déplumés, et aux mondes possibles associe l'ensemble des êtres qui peuvent raisonner et penser, et qui pourraient avoir diverses apparences physiques. Ainsi, les mondes possibles servent de représentation imagée de notre capacité à faire varier mentalement les propriétés des objets, afin de déterminer s'ils tombent ou pas sous un concept donné. Chaque monde apporte donc un nouveau cas, dans lequel l'objet étudié perd ou gagne une propriété, puis on se demande si l'objet peut encore être désigné par le terme conceptuel en question.
Ce n'est pas après la métaphore que j'en ai. Après tout, cette métaphore consiste simplement à imaginer une petite fiction dans lequel on place un objet, afin de vérifier ce que l'on peut dire à son sujet. Ce qui par contre est très dangereux, c'est l'usage heuristique d'une telle notion, c'est-à-dire son usage en tant que méthode pour apprendre ce qui est possible ou pas. Je n'ai rien contre ceux qui veulent mettre en récit leurs connaissances sur les possibilités des choses, mais il me semble vraiment dangereux de vouloir établir quoi que ce soit à partir de telles fictions. Qui pratique ceci? Kripke, par exemple, prétend montrer dans La logique des noms propres que l'identité du mental et du physique est fausse, simplement grâce à des réflexions sur les modalités. Chalmers, dans La conscience expliquée, prétend montrer grâce à la fiction des zombis, à savoir des êtres d'apparence humaine mais dépourvus d'expérience vécue intérieure, que la conscience phénoménologique est irréductible aux faits physiques. Je ne veux surtout pas dire que ces arguments sont faux. Je veux dire, plus radicalement, que je ne vois même pas comment on peut comprendre quoi que ce soit à de tels arguments. Personne ne peut braquer son télescope sur un monde possible, c'est pourquoi ce que l'on peut en dire est parfaitement dépourvu de condition de vérité.
Expliquons nous plus précisément. A mon domicile, il y a un magnifique vase en verre. J'y fais très attention, parce qu'il est fragile. S'il tombait de trop haut, il se casserait. En parlant ainsi, j'emploie des énoncés conditionnels contrefactuels, puisque je parle de ce qui se passerait, si mon vase tombait. Ces énoncés contrefactuels sont équivalents au terme dispositionnel "fragile", que j'utilise pour décrire mon vase. Goodman, dans Fait, fiction et prédiction, soutient la primauté du terme de disposition sur les énoncés contrefactuels correspondants, mais je ne souhaite pas rentrer dans ces discussions, et les tiendrai pour équivalents. Ce qui m'intéresse est la manière dont on est parvenu à savoir qu'un vase est fragile. Autrement dit, par quel moyen est-on parvenu à savoir qu'il y a un grand nombre de mondes possibles dans lesquels mon vase a fait une petite chute, et s'est cassé? Évidemment, braquer son regard sur les mondes possibles ne sert à rien. Pour savoir que mon vase est fragile, il faut savoir les choses suivantes : dans le passé, de multiples vases en verre ont été cassés en faisant une petite chute. Or, mon vase est aussi un vase en verre, il appartient à la même catégorie conceptuelle. Donc, appartenant à la même catégorie, toutes les propriétés appartenant aux vases en verre appartiennent aussi à mon vase. Les vases en verre du passé étaient fragiles, donc le mien aussi l'est.
Ainsi, fixer des propriétés dispositionnelles, c'est-à-dire déterminer l'état d'un objet dans les mondes possibles, consiste seulement en deux opérations :
1) connaître l'histoire passée d'objets tombant sous un certain concept
2) pouvoir déterminer qu'un nouvel objet tombe sous ce concept-ci
La capacité d'employer des termes de disposition repose donc seulement sur une bonne connaissance de l'histoire, et sur notre capacité générale de reconnaître des objets. Notre connaissance du possible (puisque les termes de disposition : fragile, soluble, courageux, généreux, etc. sont des termes parlant du possible) dépend donc entièrement de notre connaissance de l'histoire réelle. On sait ce qui est possible en sachant ce qui a été le cas, mais on ne l'invente jamais par une pure réflexion de philosophe en cabinet. Et quiconque rétorquerait que le scientifique peut savoir que le vase en verre est fragile simplement en observant sa structure moléculaire, et sans le lâcher dans le vide, se verrait répondre que le scientifique a forcément testé la corrélation entre structure moléculaire et fragilité sur de multiples autres objets, avant de l'étendre à mon vase en verre.
Mais il reste une autre objection, sérieuse celle-là. Il a été dit que l'usage des termes dispositionnels demande de nous l'usage des capacités de reconnaissance ordinaires. Or, ces capacités emploient des considérations modales (liées au possible). Savoir qu'un certain objet est un vase en verre, c'est connaître le sens de ce terme général, et savoir qu'il inclut mon vase, avec sa forme unique, sa couleur, ce type de verre, etc. L'objection m'accuse donc de n'avoir encore rien expliqué, puisque l'usage des termes modaux de disposition demande encore l'usage de notre capacité modale de reconnaissance. Il se pourrait donc après tout qu'il faille expérimenter sur les mondes possibles, pour reconnaître correctement les objets.

Mais ce serait une erreur de le croire. Où donc, réside l'erreur? Elle consiste à prendre l'effet pour la cause. Les réflexions sur les mondes possibles ne sont pas les causes de notre capacité de reconnaître des objets. Nous ne construisons pas des fictions pour nous aider à reconnaître les choses. C'est au contraire parce que nous avons une capacité de reconnaître que nous pouvons reconstruire rationnellement cette capacité sous la forme de fictions dans les mondes possibles. Les mondes possibles sont les effets de nos capacités conceptuelles, et absolument pas les causes. Si nos capacités de reconnaissance n'étaient pas plus fondamentales que les mondes, nous ne pourrions de toute façon rien faire de ces mondes. Celui qui ne sait pas si une chaise peut avoir trois pieds (ou bien s'il s'agit alors d'un tabouret) ne résoudra pas sa difficulté en menant l'enquête dans les mondes possibles. Il y verra de multiples formes de chaises et de tabourets, mais ne parviendra pas à dire, dans nombre de cas, s'il s'agit de chaises ou de tabourets. Ici, seule une définition faisant autorité dans sa comnunauté, ou bien une autre personne compétente, peut le renseigner. Mais si son sens immédiat de reconnaissance lui fait défaut, aucune réflexion purement interne ne pourra l'aider à répondre.
Ceci revient-il à dire que le travail philosophique de clarification conceptuelle serait impossible, et que la discussion philosophique ne pourrait jamais être argumentée? Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. L'analyse philosophique a tout son rôle. Nos concepts sont bien embrouillés, et il reste du travail pour les démêler, épurer ce qui est en trop, éviter les contradictions, tenir compte des données empiriques pour proposer des révisions. Il ne s'agit donc pas de nier la possibilité de réfléchir sur les concepts, mais il s'agit de nier l'idée que l'on puisse découvrir quelque chose que l'on ne savait pas déjà. La fiction des zombis n'a de valeur que si tout le monde la trouve évidente. Si quelqu'un doute, et ne sait pas vraiment si elle est solide ou pas, alors mieux vaut tout abandonner, et passer à autre chose. Il en est de même dans les expériences de pensée scientifiques : si quelqu'un les conteste, il faut ou bien les réaliser, ou bien passer à autre chose, mais l'insistance est inutile. Une dernière remarque, importante, doit être faite : il est aussi possible de fabriquer des fictions afin d'imposer un changement d'usage d'un terme, ou de préciser un terme restant vague. Là encore, l'égalité régnant dans l'usage des langues, si les autres locuteurs ne sont pas d'accord, rien ne peut être fait.
D'où la conséquence philosophique : quand il y a des difficultés conceptuelles, il est exclu de les résoudre au moyen d'un appel à des mondes possibles. Il peut bien arriver que l'on emporte l'adhésion des autres, mais cela n'est jamais un argument, et l'adhésion ne serait rien de plus que de la chance. Quand un concept est délicat, polémique, comme celui de pensée, il est totalement inepte d'espérer emporter la discussion en inventant des fictions dans lesquelles la pensée est séparée du corps. Les fictions ne vont jamais plus loin que nos capacités de les écrire.


8 commentaires:

  1. Oussia, tu fais du Bergson sans le savoir !
    Tu as une prémisse assez lourde : le possible se déduit de la variété des états passés d'une chose, il n'est rien d'autre qu'un regard projectif d'une connaissance rétrospective. Mais qui te dis que ton vase est fragile au point de se briser à la moindre chute ? Ta présomption à le ranger parmi les objets fissiles que tu estimes bien connaître (c'est un vase, et comme tout vase, ça se casse facilement). D'une part il peut ne pas se briser (chance ou composition particulière), d'autre part (et surtout) son caractère fissile peut n'avoir jamais fait l'objet d'une expérience de ta part : ce vase a l'air fragile (1) dont il va se briser (2) s'il tombe. Le possible est ici attribué par l'imagination. Il n'y a donc pas qu'une faculté de reconnaissance : le possible n'est pas qu'une reproduction de notre savoir actuel. Je crois donc que le monde du possible est beaucoup plus lâche (et vaste) que tu ne l'imagines (la fiction n'est pas qu'un monde parallèle, dont certains paramètres ont été modifiés).

    Il y a une limite à mon argument : ce qu'on pense possible dépend toujours d'un état donné de nos connaissances (il faut que ce soit vraisemblable, comme tu le remarques in fine). Toutefois, ça me semble suffisant pour refuser l'idée selon laquelle n'est notre reconnaissabilité qui constitue le possible (comme une des ses modalités). En outre, personne n'a jamais soutenu l'inverse de "Les mondes possibles sont les effets de nos capacités conceptuelles, et absolument pas les causes" (ce serait vraiment farfelu, ou plutôt tellement invérifiable que ça ne vaudra rien).

    Dans l'ensemble, je ne suis pas sûr que ce j'avance modifie ton argumentaire : il pèche bien plutôt par son abstraction (ma critique en prend prétexte) dans la mesure où tu exposes un modus operandi assez grossier, de sorte que ta critique prétend démonter toutes ses applications. Il eût bien mieux valu (ça aurait résisté à mes petites attaques) que tu examinasses un texte incriminé afin d'en montrer l'absence de valeur argumentative (puis de généraliser ensuite, en guise de conclusion).

    Ne prends donc pas ma contribution comme une attaque frontale : je doute simplement de la portée de ta critique (telle qu'elle est établie), alors même qu'elle semble justifiée (je veux donc dire qu'elle ne convaincra pas les partisans des mondes possibles).

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    1. Tes diverses remarques moqueuses vont me permettre de clarifier mes intentions. 1) Ce post est une réflexion sur le thème des concepts. 2) Quand on étudie les concepts, le mieux est de partir d'exemples simples : les chaises, les vases, etc. Mon ambition est donc de m'interroger sur ce que l'on peut découvrir des chaises et des vases en se livrant à ce jeu des fictions dans les mondes possibles. Cela répond à l'accusation de trop grande généralité : mon souci est notre "sens modal général", et pas une de ses application. Si on veut des cas précis, j'ai fais référence à cette longue tradition depuis Descartes, qui consiste à employer des réflexions modales pour étudier les rapports de l'âme et du corps.
      Sur le fond, la comparaison avec Bergson est inadéquate, et elle te fait justement commettre une confusion. Je n'envisage pas la modalité en terme prospectifs. Le possible n'a pas de lien direct avec le futur. La fragilité, par exemple, est une disposition, un état présent du vase, et non pas une probabilité forte qu'il se casse à l'avenir. Du coup, ton argument selon lequel le vase peut ne pas se casser ne tient pas. Par contre, je refuse en effet que l'imagination suffise à attribuer des dispositions. Seule l'inclusion de l'objet dans une catégorie générale possédant cette disposition peut nous autoriser à attribuer celle-ci à cet objet. Bref, je pense que l'originalité de ma thèse réside ici : attribuer une propriété dispositionnelle est tout à fait semblable à attribuer une propriété actuelle, non dispositionnelle (comme être transparent, être en verre, etc.). Peut-être écrirai-je aussi un post dans lequel j'expliquerai que toutes les propriétés actuelles sont en fait des propriétés dispositionnelles.
      Dernière chose : il n'est pas trivial de dire que notre sens modal est cause et non pas effet des mondes possibles. C'est même une thèse qui demanderait davantage de justification. Car il est raisonnable de supposer que c'est en faisant de petites expériences de pensée que l'on apprend progressivement l'extension précise de nos termes conceptuels.

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  2. Mes remarques ne sont pas moqueuses : le ton peut-être (et encore). A la limite, je suis proprement dans la polémique, mais parce qu'il y a raison à polémiquer !

    A mon avis, la généralité du modus operandi, tel qu'il est exposé par tes soins, ne permet pas de l'invalider. En appeler à la thèse des zombies ou bien à "cette longue tradition depuis Descartes, qui consiste à employer des réflexions modales pour étudier les rapports de l'âme et du corps" ne me convainc pas car c'est élusif : lorsqu'on prend pour objet la méthode d'une école de pensée, il convient de s'attacher aux applications d'une méthode (ainsi, critiquer Descartes comme le fait Bachelard, dans Le nouvel esprit..., en s'appuyant sur le seul Discours, est inapproprié). Mais comme cette critique supposerait une réécriture de ton post, il est évident qu'elle n'est pas centrale.

    Quant au possible, Bergson (c'est au début de la Pensée et le mouvant) ne l'adosse pas au futur, même si un tel usage est permis : le possible est le décalque du passé, c'est-à-dire d'une variété d'états qui ont été actualisés (ta thèse est strictement bergsonienne, et ce n'est pas polémique).

    En vérité, ton exemple est un peu trop ad hoc : "par quel moyen est-on parvenu à savoir qu'il y a un grand nombre de mondes possibles dans lesquels mon vase a fait une petite chute, et s'est cassé?" Tu veux dire : comment sait-on que le vase est fissible, quel que soit le monde dans lequel il est ? Ta réponse par la reconnaissance de sa catégorie conceptuelle est la seule possible : c'est parce qu'on postule qu'il est comme tous les vases qu'on le qualifie ainsi (il n'est absolument pas nécessaire d'en avoir fait l'expérience). J'ai du mal à voir comment on pourrait connaître cette qualité hors d'une reconnaissance catégorielle ; précisément : comment la méthode des mondes possibles permet d'arriver à ce résultat en contournant cette reconnaissance ? (si c'est ça qui ne va, dis-le et montre où est le problème).

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    1. Je pensais faire fond sur un savoir partagé au sujet de Descartes. Voici donc son argument exact : puisque l'on peut avoir une idée claire et distincte de l'âme indépendamment du corps, alors l'âme et le corps sont réellement distincts. C'est ce que j'ai appelé un raisonnement modal : on passe de la possibilité de la distinction, à la distinction réelle. Kripke, dans La logique des noms propres, emploie un argument quasiment semblable.

      Ensuite, tu me demandes de justifier la thèse que je souhaite rejeter. Exercice très stimulant. Voilà ce que mon adversaire dirait : je dispose de connaissances suffisantes de mécanique; j'étudie convenablement la structure physique du vase en verre; je construis une simulation par ordinateur dans laquelle j'insère toutes les données disponibles. Je lance la simulation, et observe sur mon écran que le vase se casse s'il est lâché d'une hauteur de 25 cm ou plus(par exemple). J'en conclut que le vase est fragile. Ici, la simulation a permis de tester le fragilité du vase, sans du tout mentionner de catégories conceptuelles, ni le passé des vases en verre. Je n'ai eu besoin que de connaissances générales en physique, et de l'étude d'un seul objet.

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  3. Ta thèse, c'est ça qui nous intéresse est "attribuer une propriété dispositionnelle est tout à fait semblable à attribuer une propriété actuelle". D'abord il faut récuser un des deux éléments : connaître l'histoire d'une catégorie n'est pas nécessaire pour savoir l'appliquer ni la reconnaître. Je n'ai pas besoin d'avoir vu un vase ou un verre tomber pour savoir que ton vase est fragile, donc fissible. Et je peux même n'avoir jamais vu un objet se briser à la suite d'une chute pour savoir ce que ça signifie (si tu ne me crois pas, quand j'irai chez toi, je ferai tomber ton vase en arguant du fait que je ne savais pas qu'il était fragile/fissible : tu me gronderas avec raison, quelle que soit ma connaissance des vases). Donc accorder des propriétés, c'est reconnaître qu'un objet X appartient à une classe d'objets qui le spécifie : est-ce à dire que le possible se résout en "notre connaissance de l'histoire réelle" ? Je ne le crois pas car le possible est connu par l'usage qu'on fait ou qu'on nous a fait faire (par exemple en lisant) du sens des mots : je sais qu'il est possible que je dérive au large si je fais du surf non parce que j'ai vu un surfeur dérivé un jour, mais parce que, surfant, je sais que je me place parmi les objets soumis aux courants marins. C'est en ignorant totalement cette réalité, ou en en faisant fi, que je peux dire que je ne savais pas que j'eusse dériver. Bref, il y a bien reconnaissance (dispositionnelle), mais par confusion consciente des objets : telle situation étant donnée, donc en vue d'une action anticipée, je me pense dérivable parce que je me vois soumis à des lois "locales" qui ne s'appliquent pas toujours à moi (mais valent dans la situation dans laquelle je me mets). Dès que j'agis dans le monde, j'anticipe des interactions qui m'obligent à prendre en compte l'horizon légal de mon action : il est bien fait appel à la seule logique (le principe de non contradiction associé à une connaissance fine des différents milieux de vie). Bien sûr il faut une reconnaissance, mais elle n'est justement pas une re-connaissance : quand je confond des objets entre eux (catégoriser), je ne rejoue pas un scénario déjà joué, c'est-à-dire que ce n'est pas ma prudence (ou mon expérience) qui me permet de m'y retrouver, mais ma capacité à m'adapter à un nouvel environnement, à savoir anticiper les résultats d'interactions virtuelles : je dois connaître les objets mais aussi, en un sens, ce dont ils sont capables et ce dont je suis moi-même capable à leur égard. Bref, on invente pas le possible, mais on ne le reproduit pas pour autant : notre connaissance du passé n'épuise pas le possible (d'ailleurs il faudrait en ce cas expliquer cette connaissance du passé) parce que celui-ci s'appuie sur une légalité qui ne se réduit pas aux cas passés. On m'apprenait, enfant à rentrer dans la paume de ma main la lame d'un ciseau : c'est parce que je savais bien la chair humaine tranchante sans être amateur d'anatomo-physiologie (sans avoir lu 1- une lame trancher quoi que ce soit 2- un ventre transpercé par une lame) que je savais qu'il y avait quelques raisons à justifier cette prudence. Ce que je veux dire est ceci : le possible est plus que la variété des états actualisés, notre imagination nous permet de savoir ce qui est possible et ne s'en tient pas à une description d'états donnés (le possible, ce n'est pas une liste, c'est une série qui n'est pas terminée).

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    1. Si je comprends bien cette longue tirage, elle correspond justement à l'argument que mon adversaire aurait pu déployer contre moi. Je renvoie donc à la remarque précédente, et à la réponse qui l'accompagne.

      Sans répondre ici-même dans le détail, on pourra rappeler que le problème ici discuté est analogue au problème du Hume. Hume a remarqué que seule notre connaissance du passé produit en nous l'idée de la causalité, et que cette connaissance du passé ne suffit pas à fonder un lien nécessaire entre cause et effet.
      Ici, il s'agit de dire que seule notre connaissance du passé produit notre sens du possible, donc que l'on ne trouve dans ces possibles rien de plus que ce que l'on connaît déjà par ce passé. Comme chez Hume, la conclusion est sceptique : nous n'avons pas de connaissance du possible, comme nous n'avons pas de connaissance du nécessaire (concernant le domaine des objets empiriques).

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  4. Enfin, la thèse selon laquelle les mondes possibles causent notre sens modal n'a pas besoin d'être écartée pour justifier son contraire : on est d'accord pour dire qu'elle est absurde. Regarde ta proposition "Nous ne construisons pas des fictions pour nous aider à reconnaître les choses", mais personne ne fait oeuvre de fiction pour ensuite reconnaître une richesse dispositionnelle des objets qui l'entourent, c'est absurde car pour fictionner, il faut déjà pouvoir qualifier les choses d'une certaine manière : même en SF, les choses ne sont pas si différentes qu'actuellement, et si elles le sont, l'auteur prend soin d'expliquer en quoi consiste la propriété nouvelle.

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    1. Que la fiction ait une valeur cognitive n'est absolument pas une idée absurde. La question est de savoir si du faux découle seulement le faux (auquel cas la fiction est cohérente, donc est informative) ou bien s'il en découle n'importe quoi (auquel cas la fiction est un charabia où tout peut être dit). Je soutiens que l'on peut dire n'importe quoi, en phase avec les logiciens qui déclarent ex falso sequitur quodlibet.
      Cependant, je ne vais pas rejeter les écrivains de fiction de ma cité idéale, ni punir de mort qui se livrerait à des réflexions sur les monde possibles. Même le n'importe quoi a un rôle; il créé des conventions, il invente (plutôt qu'il ne découvre) le possible.

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