vendredi 6 mars 2015

Il n'y a pas de livre de la nature

Galilée, dans L'essayeur, est auteur d'une célèbre affirmation : "La philosophie est écrite dans ce livre gigantesque qui est continuellement ouvert à nos yeux (je parle de l'Univers), mais on ne peut le comprendre si d'abord on n'apprend pas à comprendre la langue et à connaître les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langage mathématique, et les caractères sont des triangles, des cercles, et d'autres figures géométriques, sans lesquelles il est impossible d'y comprendre un mot. Dépourvu de ces moyens, on erre vainement dans un labyrinthe obscur."
On en retient généralement l'idée que le grand livre de la nature est écrit en langage mathématique. Je ne vais pas ici discuter l'idée que les mathématiques seraient le bon langage pour les sciences de la nature (j'en ai déjà parlé ailleurs, cf. les tags mathématiques). Je voudrais plutôt m'attaquer à l'idée que la nature est une sorte de livre dans lequel on pourrait lire les propositions vraies à son sujet. Je vais soutenir que la nature n'est pas un livre du tout, qu'il n'y a rien à y lire, et que les seuls livres qui existent sont ceux qui ont été écrits par des humains à destination des humains.

Tout d'abord, je dois apporter une explication. On pourrait me reprocher de me lancer dans de grandes discussions alors que Galilée n'a fait que proposer une métaphore, une image. Il n'a pas voulu dire que la nature est un livre, mais que la nature est comme un livre. Je ne nie pas que l'intention de Galilée soit de proposer une métaphore. Par contre, je voudrais montrer que bon nombre de conceptions philosophiques prennent cette métaphore au pied de la lettre, et aboutissent à des difficultés rédhibitoires. Je m'explique.
Que contient la nature? Elle contient des objets, qui ont des propriétés, et qui changent en fonction des rapports de causalité avec d'autres objets. Elle contient aussi des êtres vivants, qui évoluent plus spontanément, et interagissent entre eux et avec les autres objets. Il y a enfin des humains, qui sont  à la fois des choses, des êtres vivants, et des humains, et qui ont en plus la capacité de bavarder, de se donner des ordres, de décrire la nature, etc. Je m'excuse du caractère rudimentaire de la description, mais je n'ai pas besoin de plus. La nature est donc l'ensemble des choses et de ce qui leur arrive.
Venons-en maintenant aux livres. Un livre est un support écrit. C'est donc, en tant qu'objet matériel, une chose de la nature. Et par objet matériel, j'inclus la disposition spatiale des tâches d'encre sur les feuillets du livre. Les livres servent à beaucoup de choses, mais entre autres, ils nous donnent des informations sur la nature. Un homme qui lit un livre sur l'Espagne, par exemple, saura trouver un moyen de transport pour s'y rendre, saura quels endroits visiter, saura maîtriser quelques expressions courantes pour communiquer avec les habitants, etc. Bref, un livre sur l'Espagne décrit ce qu'est l'Espagne, et en plus, nous donne quelques conseils pratiques pour y vivre. 
Mais l'Espagne est-elle un livre? Évidemment non! Faut-il plutôt dire qu'il y a un livre sur l'Espagne? Évidemment oui! Ce que fait un livre, c'est donc établir une sorte de relation entre lui, et l'objet naturel dont il parle. Il n'y a pas de livre de la nature, puisque la nature n'est pas un livre, mais il pourrait y avoir un livre sur la nature, si un livre pouvait décrire en détail tout ce qu'on y trouve. Ce que cela montre, c'est que les choses de la nature n'ont pas de signification. Elles ne désignent rien. Elles existent, c'est tout. Par contre, les livres, eux, portent sur quelque chose, donc ils ont une signification. 
Mais, rétorquera-t-on, je me contredis. En effet, je prétends que :
1) les choses de la nature ne signifient rien. 
2) les livres signifient quelque chose. 
3) les livres sont des choses de la nature.
Ces trois propositions ne peuvent pas être vraies ensemble. Il faut bien que l'une soit fausse. Puisque je n'ai encore jamais entendu de philosophe prétendant que les livres en général ne signifient rien, cela implique que la fausse prémisse soit 1 ou bien 3. Contester 3 semble nous amener vers une conception surnaturelle de la pensée humaine, qui flotterait au-dessus de la nature. Contester 1 nous mène du côté du naturalisme, et plus précisément du côté de l'analyse naturaliste de la signification.

Je pense que tout le monde comprend que la métaphore de Galilée tombe évidemment du côté de l'analyse naturaliste de la signification. Pour Galilée, il y a un lien de signification entre la description scientifique de la nature, et la nature elle-même, mais surtout (c'est l'essentiel), ce lien de signification fonctionne dans les deux sens : la nature signifie sa description autant que la description signifie la nature. Pourquoi Galilée se permet-il ce genre d'affirmations? Mon intention n'est pas d'explorer plus en détail la théorie médiévale des ressemblances et analogies. Je renvoie au début de Les mots et les choses de Foucault, qui décrit brièvement ce mode de pensée. En deux mots, ce qui la caractérise est une conception causale de la signification. Pour elle, les significations sont des réalités naturelles, qui entretiennent des liens causaux avec les réalités dont elles sont le signe. C'est ce qui donne au magicien son pouvoir : en manipulant le symbôle, il manipule la chose même. En bref, cette conception est tout bonnement la pensée magique. La pensée magique est une double thèse : les mots ont un pouvoir causal sur les choses, les choses ont un pouvoir référentiel sur d'autres choses. 
Or, on retrouve cette pensée magique dans les écrits des prétendus naturalistes contemporains, dont le chef de file est, au moins pour les questions sémantiques, Milikan (on pourrait citer aussi Dretske et Dennett). Milikan défend une théorie nommée téléosémantique, dans laquelle la signification d'un mot ou d'un énoncé est fixée par une relation naturelle, relation qui est caractérisée en termes évolutionniste. Plus précisément, chaque énoncé a une fonction adaptative : il informe sur les prédateurs, sur les sources de nourriture, sur la présence d'un partenaire sexuel, etc. et cette relation naturelle de l'expression à la situation naturelle fixe le sens de cette expression. Milikan a la théorie la plus sophistiquée, mais l'idée sous une forme simple se trouve déjà chez Dennett (voir sa théorie du thermostat qui signifie la température de la pièce, dans La stratégie de l'interprète).
Qu'est-ce que cette conception a de magique? Pour elle, la relation de signification est une relation naturelle, elle est une situation de fait. C'est-à-dire que c'est le livre, ou la phrase, qui, étant donnée sa constitution matérielle (les traces d'encre, l'onde sonore, etc.), est en relation de signification avec une certaine situation naturelle. Une phrase, ou un livre est vrai, s'il est dans la bonne situation naturelle par rapport aux choses dont il parle, et il est faux s'il est dans une relation différente. Il n'est nulle besoin d'hommes, de conventions, de décisions, d'intention commune de parler la même langue, de reconnaissance qu'une phrase est bien utilisée ou pas, qu'il s'agit de la même langue ou d'une langue différente, etc. Rien de tout ceci n'est nécessaire. Il suffit qu'une chose physique soit physiquement connectée à une autre pour que la première signifie la seconde. Bien entendu, on peut ajouter des humains aux descriptions naturalistes, mais on ne retint des humains que des mouvements physiques, des cerveaux, des nécessités adaptatives, etc.Donc, cela ne change rien. Ce qu'il faut ajouter pour changer quelque chose, ce sont des intentions et des conventions, et c'est justement cela dont les naturalistes veulent faire l'économie.
Voilà ce qui est absurde : tout le monde comprend bien que signifier une chose n'est pas équivalent à covarier avec une chose. La fumée "signifie" le feu parce qu'elle apparaît chaque fois qu'il y a du feu. Mais le mot "feu" ne signifie pas le feu de la même façon que la fumée signifie le feu. Le mot "feu" n'a pas de relation physique particulière avec le feu. Parfois, quand les humains ont peur des incendies, (pour des raisons évolutionnistes!) il crient "au feu!", mais il leur arrive de parler du feu quand il n'y a pas le feu, pour des raisons très différentes et dans des contextes très différents. Bref, contre les conceptions naturelles de la signification, il faut dire que parler du feu n'est pas quelque chose qui arrive au feu. Signifier n'est pas une action accomplie sur la chose signifiée. Cette chose ne subit rien du tout, il ne lui arrive rien. Quant au mot, il n'a aucun pouvoir magique particulier, ni pouvoir surnaturel. C'est une réalité naturelle tout à fait ordinaire et détachée des autres, sans lien causal particulier avec les choses dont il parle. Ainsi, on parle parfois de la théorie causale de la référence. J'espère avoir montré qu'une telle théorie est toujours une théorie magique de la signification. Croire que signifier, c'est causer, c'est avoir une conception étrangement surnaturelle de la signification.

Où donc se situe la signification des livres? Elle ne se situe nulle part. Les liens de signification ne sont pas des choses à identifier quelque part. Ceci montre pourquoi le refus du naturalisme est exactement la même chose que le refus du surnaturalisme. La pensée magique est l'idée que les relations de signification sont quelque chose, ou sont quelque part. Le refus de la pensée magique signifie que les liens sémantiques ne sont nulle part, et donc, que le mieux est de ne pas parler de liens. Les choses ont une signification lorsque portent sur elles certaines exigences relatives à l'action. Avoir une signification, c'est devoir rendre compte de sa correction, ou de son incorrection. Si je lis un guide sur l'Espagne, je m'attends à ce que je trouve bien ce qu'il m'annonce. Il est vrai si mon attente est satisfaite, faux si elle est déçue. 
Tout le problème est donc de se dire que ce qui est annoncé n'est pas une réalité. Ce n'est pas évident. On a envie de se représenter une image mentale qu'on plaque sur la réalité extérieure, ou bien, de s'imaginer notre état cérébral comme corrélé à un certain état de choses extérieur. Mais tout cela n'a pas lieu d'être. Car aucun état cérébral n'a le pouvoir de signifier un état de choses tant qu'une certaine convention ne lui a pas donné ce statut de signe. Et une convention linguistique ne peut pas être un autre état cérébral, car aucun état cérébral n'a le pouvoir de poser de convention. Cela peut paraître difficile à comprendre, je l'avoue. C'est pourtant le seul moyen de ne pas avoir de conception magique de la référence (ou de la signification, peu importe ici la différence).
Il faut donc admettre que les significations des phrases et des livres ne sont rien d'autres que des exigences relatives à la réussite de certaines opérations de la vie ordinaire. D'une phrase, nous attendons qu'elle soit vraie, et, quand nous la comprenons, nous savons ce qui doit se passer si elle est vraie. Ce savoir est une compétence, et pas une chose naturelle.Parler, c'est s'engager sur ce qu'est le monde, mais ce n'est pas une chose du monde.

Retour à Galilée. La nature n'est pas écrite en langage mathématique, parce que la nature n'est pas écrite du tout. Les phrases que nos formulons ne sont pas des objets naturels. Et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'il n'y a pas de procédé général et mécanique pour déterminer le sens d'une phrase, ni a fortiori déterminer si elle est vraie. Plaquer une phrase sur un fait, ceci n'a aucun sens. Il n'y a pas de structure commune au langage et à la réalité. Cela non plus n'a aucun sens. La structure du langage, c'est la grammaire. La grammaire ne signifie rien. Quant à la réalité, il n'est même pas très facile de comprendre ce que pourrait être une structure. La réalité n'a pas de structure. C'est pour cela que la métaphysique n'est rien de plus qu'une rationalisation de la grammaire (ce qui n'implique nulle condamnation...).
Pour parler, nous avons évidemment besoin d'ouvrir les yeux et de regarder le monde, cela permet de comprendre ce que les autres veulent dire, et cela permet aussi de dire des choses vraies. Mais le monde ne nous dit pas lui-même ce que signifient les phrases que nous employons. Pour retrouver la signification, nous devons retrouver l'intention d'une personne, et non une relation naturelle. Comprendre, c'est interpréter, et non pas observer. Descombes insiste beaucoup là dessus, dans Les institution du sens, et cette idée lui vient de Peirce : la signification est une relation ternaire, et non pas binaire. Une chose signifie autre chose pour quelqu'un, et pas absolument. Pour les livres aussi, la troisième terme est nécessaire. Les livres n'existent que pour des communautés linguistiques, et pas absolument. La nature ne sera donc jamais un livre.

6 commentaires:

  1. Mais si, la nature est un livre !
    Tu n'as pas bien cerné ce qu'est la nature. Pour toi, la nature est un grand sac d'objets. Comme c'est vulgaire.
    En réalité, la nature exprime l'ordre des choses. Si l'on veut connaître l'ordre des choses et posséder la philosophie, on peut lire la nature, de même peut-être qu'en lisant la partition on peut connaître la musique.
    La partition ne signifie rien : elle exprime. De même la nature ne signifie rien du tout, mais elle exprime l'ordre des choses au moyen de triangles, cercles, etc. Ainsi la trajectoire d'un boulet de canon forme une parabole, qui exprime la composition de deux forces qui portent en sens contraire. Si je ne sais pas analyser mathématiquement ce mouvement, je loue Dieu de ne pas m'avoir placé sur la trajectoire du boulet. Si le sais, je vois dans tout phénomène naturel l'expression de forces ou de lois autrement indéchiffrables.

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  2. Il y a certainement une différence à faire entre signifier et exprimer. Mais certainement pas comme tu la fais. Une partition musicale signifie au sens le plus ordinaire du mot signifier. Si quelque chose exprime, c'est plutôt la musique. Une musique peut exprimer la joie, la tristesse, etc.
    En termes plus généraux, la signification consiste à utiliser des signes conventionnels pour transmettre une information, alors que l'expression ne passe pas par des signes. Elle est la transmission directe de l'information. L'expression de la joie n'est pas un signe de la joie, c'est la joie elle-même.
    Ceci implique qu'un boulet de canon n'exprime pas une boule, c'est une boule ; et sa trajectoire n'exprime pas une parabole, c'est une parabole (tout ceci, à approximations près). J'espère que la différence avec le morceau de musique est claire : le morceau de musique n'est pas la joie, mais il exprime la joie.
    Et pour finir, une chose ne peut être expressive que si elle possède des états mentaux. Non pas parce que l'expression est le fait de signifier ces états mentaux (c'est l'erreur contre laquelle Wittgenstein s'est battu, à raison), mais parce que l'expression ne trouve son contenu que relativement à une personne, avec ses pensées, son caractère, etc.

    Enfin, je dois dire que ta distinction entre la nature et l'ensemble des choses me semble vraiment curieuse. Si tu avais dit que la science exprime la nature, ou signifie la nature, j'aurais compris. Si tu avais dit que la science exprime l'ordre des choses, aussi. Mais pourquoi plaquer cette nature entre la science et les choses. Tu donnes l'impression de faire une hypostase du modèle scientifique. J'aurais pu comprendre si tu avais adopté une approche anti-réaliste (pour qui la réalité, c'est le modèle scientifique vrai). Mais ce n'est pas le cas, puisque tu distingues la nature et les choses. On dirait une sorte de kantisme hérétique, avec des choses en soi connaissables, des phénomènes dont les catégories se seraient indexés sur nos concepts empiriques, et des sciences qui deviennent on ne sait quoi!

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    1. Tu n'as pas compris ma remarque (qui vise surtout à tenter de faire comprendre pourquoi Galilée n'est pas un pauvre idiot qui confond l'Espagne avec un guide sur l'Espagne).

      Prends l'ADN : on peut bien dire que les séquences formées à partir de A,T,G,C "expriment" le code génétique. Il y a donc bien de l'expression sans qu'il y ait présence de personnes (et c'est en fait la même chose avec la partition de musique).

      Et on peut bien dire aussi que l'ADN est une sorte de livre du vivant, compréhensible seulement pour qui en comprend le langage.

      Enfin, les gens qui se sont efforcés de décrire des mécanismes physiques généraux (comme Galilée) estiment généralement que ces mécanismes existent bien même s'ils n'apparaissent qu'"exprimés" dans les phénomènes. Rares sont les gens qui qualifient leurs découvertes théoriques de simple procédé de représentation !


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    2. Tu fais bien de parler de l'ADN, parce que c'est en effet l'exemple le plus favorable, celui dans lequel on peut avoir l'impression que la nature écrit un programme, ou une partition (c'est-à-dire une suite d'instructions) que les choses exécutent. Mais c'est tout simplement une erreur de catégorie. Car il n'y a personne qui suit les consignes, il n'y a ni réussite, ni échec. Il me semble que la métaphore du programme a été défendue par François Jacob pour des raisons qui ne tiennent qu'à lui (sa discussion sur le finalisme en biologie), et que les biologistes contemporains n'y tiennent plus trop, parce que les cellules ne lisent pas l'ADN, elles ne font que produire mécaniquement des protéines à partir des acides aminés. On a fait de la chimie pendant des siècles sans se pourrir l'esprit avec ces idées d'information, de lecture, de codage, et je ne vois pas pourquoi il nous faudrait retourner au monde magique de Galilée à cause de brins d'ADN.
      Bon, et la classification de Mendeleïev, est-ce un livre de l'inanimé? Non, c'est seulement une classification. Elle signifie quelque chose pour nous, et, si elle est vraie, elle désigne les choses telles qu'elles sont réellement. Mais elle n'exprime rien.

      Enfin, sur l'idée que les faits particuliers expriment des mécanismes généraux, ça ne va pas. On pourrait à la limite parler d'exemplification. Je veux bien. Exemplifier est certes une notion sémantique. Mais c'en est une justement parce qu'une loi générale n'est pas quelque chose de naturel, mais de mental. Quand on dit que deux phénomènes suivent la même loi, on soutient que, ce qui existe, c'est ce dont on parle, c'est-à-dire les deux phénomènes. Mais ce que l'on dit à leur sujet n'est pas une troisième chose qui s'ajoute aux deux premières. Stop au platonisme!!

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    3. En fait, tu es totalement à côté du sujet. Pour traiter la question soulevée par la citation de Galilée, ton post aurait dû analyser le concept d'expression, tel qu'on le trouve par exemple dans la métaphysique de l'époque classique, celle de Leibniz ou de Spinoza.

      Tu décrètes qu' "exprimer" implique une intention, un vouloir-dire. Évidemment, dans ces conditions Galilée doit t'apparaître comme un demeuré qui vit dans un "monde magique".
      On a en fait déjà un peu discuté cette question, et tu n'as vraiment rien, je crois, qui permette d'appuyer ton opinion.

      Exprimer quelque chose, cela peut vouloir dire contenir une structure homologue à autre chose. Ainsi, les paraboles des boulets de canon sont l'expression mathématique de lois qui constituent l'ordre des choses (pour reprendre le lexique employé plus haut). Ou encore, la partition exprime la symphonie (même si elle a été produite par hasard par un singe muni d'un crayon... je dérive un peu)

      Ta vision de la science est complètement positiviste. Je suis très enclin à partager ce point de vue, mais il n'est pas marqué du sceau de l'évidence.

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    4. Non, je ne suis pas à côté du sujet. Nous sommes en plein dedans. Galilée, Leibniz, Spinoza, le Wittgenstein du Tractatus, les naturalistes contemporains, tous adhèrent à une conception de l'expression dans laquelle le mental est aussi bien exprimé par la nature que la nature exprimée par le mental, parce qu'ils conçoivent cette relation comme symétrique, ce qui est totalement absurde. Les choses ne signifient pas les mots! Pourtant, il suffit de croire que la nature a une structure, qu'il y a un parallélisme logico-ontologique, pour tomber dans cette erreur. Wittgenstein est si transparent là dessus, il avoue sans ciller que la nature a la même forme logique que les représentations chargées de la décrire. Du coup, quand il dit que nous nous faisons des images des faits, on ne comprend pas pourquoi ce ne sont pas plutôt les faits qui sont des images de nos pensées.
      Bref, un élément d'asymétrie est nécessaire pour caractériser la signification. Et l'asymétrie se situe dans le fait que le langage a une structure qui est appliquée à la réalité, qui, elle, n'en a pas. J'ai dit ça mille fois, mais répétons le : une structure est un protocole pour mener des opérations (ici, d'observation et d'expérimentation). Mais la nature n'est pas un protocole, et c'est pourquoi on lui applique une structure mais qu'elle n'est pas une structure.

      Sur le positivisme, soit. Mais ce qui rend cette position délicate, c'est son instrumentalisme forcené : la science est un bricolage ingénieux mais arbitraire visant à produire en sortie des prédictions vérifiables. Je ne dis pas cela. Quand une théorie scientifique est vraie, les choses sont réellement tels que la théorie les décrit. Simplement, ce que je soutiens, c'est que la structure de la théorie ne fait pas partie de ce que dit la théorie. Ce qui se passe dans le monde, c'est ce que dit la théorie, quand elle est vraie. La structure, cela ne regarde que nous, c'est notre protocole. Ce n'est pas une chose, ni un événement, ni quoi que ce soit.
      Est-ce évident ou pas? Difficile à dire. Il faut un peu d'éducation philosophique pour dire que le réel se décompose en objets et en actions tout comme le langage se décompose en noms et verbes. La thèse du parallélisme n'est pas si familière. Par contre, sous la forme de la pensée magique, c'est-à-dire la thèse que le réel signifie lui-même des choses, cette idée est assez répandue.

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