jeudi 18 novembre 2010

A quoi sert le profit?

Tous ceux qui étudient un peu l'histoire des idées sont surpris de croiser une grande doctrine, le libéralisme, qui non seulement présente une pluralité de sens, ce qui est le cas de bien des mouvements philosophiques et politiques, mais des sens qui paraissent profondément opposés. Entre le libéralisme, doctrine qui promeut la liberté individuelle, et qui promeut un système politique dans lequel un individu peut choisir et mettre en pratique ses propres valeurs, sans être arrêté par les autres ou par un pouvoir tyrannique, et le libéralisme tel qu'on l'entend dans son sens plus courant, à savoir l'apologie de l'argent roi, du grand marché libre d'exploiter les travailleurs clandestins et de jouer sur le chomage et la délocalisation pour faire baisser les salaires, il y a plus qu'une différence, il y a une quasi opposition. Le premier est revendiqué par presque tous, excepté quelques communautaristes religieux. Le second est conspué par presque tous, et l'on ne rencontrera presque personne pour faire l'apologie de l'argent et du libre marché. Pourquoi deux choses aussi différentes peuvent-elles se trouver regroupées sous le même terme?

Parce qu'en réalité, il y a un lien assez fort entre ces deux conceptions du libéralisme, lien si fort que l'on peut se demander si on peut conserver le premier tout en abandonnant le second. La question restera donc posée : peut-on vraiment être un libéral au sens politique d'une liberté des individus à vivre comme ils l'entendent, sans être en même temps un libéral au sens économique, à savoir quelqu'un qui soutient que tout doit être fait pour entretenir la croissance des entreprises, et un marché le plus efficient possible?

Ce lien est le suivant. Il est dans l'idée même du libéralisme que l'Etat ou la communauté, et plus généralement autrui, ne doit pas chercher à imposer sa propre conception du bien à autrui. Chacun doit être libre de fixer lui-même le but de sa vie, la manière dont il souhaite l'occuper. Cela consiste aussi bien dans le droit de choisir sa profession, que dans ses opinions politiques, ou religieuses, ou même le droit de s'assembler avec d'autres hommes. L'Etat libéral ne choisit pas le travail de ses citoyens, il ne leur impose pas un parti unique, ni n'interdit les regroupements. Autrement dit, l'Etat ne détermine pas lui-même la fin ultime, le plus grand bien des individus, et laisse à ses individus le droit de le choisir. L'Etat ne donne que les moyens à chacun de réaliser ses fins personnelles.
Or, cette liberté de choisir ses propres fins est naturellement porteuse de la valorisation du seul objet qui n'est jamais lui-même une fin (quoi qu'on en dise), mais qui est un pur moyen, à savoir l'argent. Si aucune fin ne peut être imposée aux autres, alors l'Etat, mais aussi l'entreprise, n'ont pas à dire à l'individu ce qu'il devrait faire. Par contre, l'Etat, et l'entreprise peuvent lui imposer une chose : le devoir de chercher à gagner le plus d'argent possible, parce que l'argent est la seule chose qui ne porte pas en elle-même de fin, mais qui (croit-on, et c'est sans doute là que réside l'erreur) ouvre la voie à toutes les fins. Autrement dit, on ne se mettra jamais d'accord sur la fin ultime (l'amour de Dieu, la vérité absolue, la jouissance sensuelle, etc.), par contre, on doit pouvoir se mettre d'accord sur quelque chose qui permet d'atteindre toutes ces fins, à savoir l'argent.

En conclusion, c'est bien parce qu'à la question "a quoi sert le profit?", il n'y a aucune réponse définie, mais que l'on suppose (à tort, je le répète) qu'avec ce profit, chacun pourra se mettre en route vers ce qu'il considère comme étant son plus grand bien, que l'argent se retrouve valorisé par le libéralisme. L'argent est la seule valeur sur laquelle tout le monde peut se mettre d'accord, parce que l'argent permet toutes les fins, et n'en impose aucune. Valoriser la liberté et valoriser l'argent, c'est donc, en ce sens, la même chose.

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