dimanche 27 mai 2012

Relativisme et culturalisme

Le relativisme est la doctrine selon laquelle ce qui est vrai pour l'un, pourrait être faux pour l'autre, ou ce qui est bien pour l'un, pourrait être faux pour l'autre, parce que le vrai et le bien se disent toujours relativement à un lieu, un temps, et une personne donnés, et non pas absolument.
Quant au culturalisme, c'est la doctrine selon laquelle l'humanité est répartie en grands groupes qui partagent chacun des croyances, des techniques, des arts, des institutions différentes.
A première vue, le culturalisme est le principal défenseur du relativisme. Car les cultures étant fort différentes, il nous paraît difficile de soutenir que certaines cultures sont massivement dans l'erreur, et que seule la nôtre (évidemment!) est dans le vrai.

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Mais regardons les choses de plus près. Voici un petit argument anti-relativiste  :

Toutes les croyances d'une culture ou bien sont déjà logiquement cohérentes entre elles, ou bien devraient l'être à terme. Une culture n'est pas faite de petits îlots de croyances indépendantes. [C'est le point qu'il faut admettre et qu'on pourrait encore contester]

Toutes les cultures partagent entre elles un nombre assez important de croyances. Parmi ces croyances partagées figurent nécessairement les principes logiques de base. S'ils semblent ne pas être respectés par les autres, on préfèrera toujours changer d'interprétation plutôt qu'y renoncer [C'est une des conditions de la compréhension mutuelle. Quine et Davidson l'appellent principe de charité et c'est incontestable, parce que tout désaccord se fait toujours sur fond d'accords, sinon, on ne saurait même pas sur quoi on est en désaccord, donc si on est vraiment en désaccord].

Donc, puisque par hypothèse chaque croyance a des rapports logiques avec toutes les autres, alors chaque fois que des cultures sont en désaccord sur une croyance, il est toujours possible de montrer que l'une des deux cultures  n'est pas logiquement cohérente avec une autre de ses croyances (celles qui sont communes aux deux cultures).

Donc, à terme, toutes les cultures doivent partager exactement les mêmes croyances. Tout désaccord est une inconséquence. [Il est facile de voir ce que ceci implique pour la morale, qui est le sujet le plus sensible pour le relativisme. Pour soutenir la relativité de la morale, celle-ci doit être un petit îlot indépendant des autres croyances, ou bien doit être elle-même un archipel  de croyances indépendantes].

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De l'argument, je retiens ceci : si l'on admet l'existence de cultures, alors ces cultures doivent avoir un minimum de délimitation. Les liens logiques participent à fixer ce minimum. Nos techniques sont articulées à nos sciences, le droit est articulé aux techniques, la morale est articulée au droit, etc. Les cultures, si elles existent, forment donc un bloc.
Mais alors, si ces blocs existent, ils ont quelques points de contact, et s'ils ont quelques points de contact, ils doivent tous être totalement cohérents entre eux. Par conséquent, si les cultures existent, on ne peut pas être relativiste.
Inversement, supposons que les cultures n'admettent même pas de liens logiques en leur sein. Dès lors, une culture sera constituée de multiples domaines autonomes, ayant leurs propres règles de fonctionnement. Mais alors, il n'y a plus de différence entre un de ces domaines au sein de notre culture, et les cultures des autres. Les autres cultures sont parfaitement équivalentes à ces petits domaines indépendants. Donc, s'il y a des domaines indépendants au sein de notre culture, alors il n'y a tout simplement plus de culture du tout, mais une multiplicité d'activités sans lien les unes avec les autres.
Mais s'il n'y a plus de culture parce qu'elles sont atomisées en une multiplicité d'activités, alors le relativisme est faux là encore, car nous n'avons plus aucun critère pour rapprocher telle et telle activité. Il n'y a plus d'incohérence, mais seulement des différences. La logique générale permettant la discussion a disparu, car chaque petit domaine a sa propre logique.


Ainsi, soit le culturalisme est vrai, mais alors le relativisme est faux, soit le culturalisme est faux, mais alors le relativisme est encore faux. L'idée que le culturalisme puisse soutenir le relativisme repose donc sur une erreur.
Quant au culturalisme, soit il est vrai, et il y a des blocs culturels, mais ces cultures doivent toutes être identiques, donc il n'y a qu'une seule culture et le culturalisme est faux. Soit le culturalisme est faux, donc il y a une pluralité de petits domaines culturels indépendants, donc le culturalisme est vrai. Ainsi soit il est vrai alors il est faux, soit il est faux, alors il est vrai. Autant donc éviter de parler de cultures.

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