mardi 3 novembre 2015

Les sanctions financières doivent-elles varier selon le niveau de revenu?

Je précise tout d'abord que je souhaite parler uniquement des sanctions infligées par l'Etat, qui ont été publiquement acceptées. Je ne discute pas ici de celles qu'un groupe privé pourrait instaurer, puisque, par principe, un groupe ou une association privée est libre de fixer ses propres règles de fonctionnement. Par contre, l'Etat est soumis à des principes de justice, et c'est au nom de ces principes que je souhaite me demander s'il est plus juste que les sanctions financières soient égales pour tous, ou bien soient variables en fonction du niveau de revenu des individus sanctionnés. Et si c'est le cas, sur quelle règle doit-on faire reposer la variation?
D'abord, à titre de constat, il faut remarquer que l'Etat n'a pas de politique générale concernant les sanctions financières. Par exemple, un excès de vitesse sera sanctionné à l'identique pour tout conducteur, quel que soit son revenu. Par contre, un retard de paiement de l'impôt sur le revenu sera sanctionné par une majoration proportionnelle à l'impôt à payer. Donc, plus les revenus sont importants, plus la sanction est forte. 
Quelle est donc la politique la plus juste? Faut-il traiter tout le monde à égalité en fixant arbitrairement une sanction identique pour tous, ou bien l'égalité consiste-t-elle à appliquer la fameuse égalité proportionnelle d'Aristote, qui consiste (ici) à faire payer plus ceux qui ont plus, et moins ceux qui ont moins?

Je voudrais montrer que la seconde option de l'alternative est la bonne.
Tout d'abord, il faut admettre la valeur fondamentale de l'égalité devant la loi. Chaque individu doit être traité par l'Etat de la même façon, sans discrimination. Les lois sont les mêmes pour tous et s'appliquent de la même façon. Cela inclut les sanctions : une sanction doit être la même pour un homme riche et pour un homme pauvre.
Evidemment, cela ne dit pas encore si "même sanction" signifie, pour une sanction financière, "payer la même somme d'argent" ou bien "payer à hauteur de ses moyens". Pour cela, il faut étudier le concept de sanction financière. Celle-ci peut-être considérée de deux manières : 
- une sanction financière est le paiement d'une prime pour obtenir un certain droit. Par exemple, on peut tenir l'amende routière pour un droit de stationner sur une place non autorisé, ou pour un droit de rouler au-dessus de la vitesse autorisée.
- une sanction financière est le paiement d'une prime afin de dissuader les individus d'adopter une certaine ligne de conduite. Par exemple, on inflige des amendes routières afin que chaque conducteur ne se gare que sur les places autorisées ou ne dépasse pas la vitesse autorisée. 
Cette dualité est connue depuis assez longtemps. Mais généralement, elle est abordée d'un point de vue essentiellement moral, en condamnant la première approche, vue comme la corruption d'une pratique politique, réduite à une simple transaction économique. Or, cette dualité peut être exploitée d'une autre manière. Tout d'abord, j'accepte l'idée que la sanction financière est bien un moyen de dissuasion, et non pas l'achat d'un droit. Ce qui le montre, c'est que nous changerions le montant de la sanction, en l'alourdissant, si nous trouvions qu'elle n'a pas assez d'effet dissuasif. Mais nous ne le changerions pour gagner plus d'argent (car après tout, il faut parfois baisser le prix d'une chose pour en vendre davantage et ainsi s'enrichir). C'est donc la dimension de sanction qui sert à fixer le prix, et non pas des intérêts économiques. La sanction est donc bien un moyen de dissuader et de punir, et non pas l'achat d'un droit. 
Or, si la sanction était l'achat d'un droit par les individus auprès de l'Etat, la justice exigerait que la prime payée soit ma même pour tous, au nom du principe de l'égalité devant la loi. Par contre, si la sanction est un moyen de dissuasion, c'est plus subtil. Ce qui doit être égal, c'est la force de dissuasion, l'effet que cela a sur chaque personne. Or, puisqu'il y a des écarts de richesse entre individus, une amende de même valeur n'aurait pas la même force sur une personne riche et sur une pauvre. L'effet serait très fort sur la pauvre, et presque nul sur la riche. Donc la sanction serait forte sur le pauvre, et faible sur le riche, ce qui est injuste. Il faut que la sanction soit aussi forte sur le pauvre que sur le riche. On ne peut arriver à cela qu'en faisant varier la sanction en fonction du niveau de richesse. La justice exige que le riche paie davantage que le pauvre, afin que l'effet dissuasif de la sanction soit la même pour les deux.
Reste à calculer la manière exacte dont il faut faire varier le prix de la sanction. On pourrait appliquer un barème proportionnel, qui retiendrait un pourcentage fixe de la fortune, ou bien un barème progressif, qui consiste en un pourcentage croissant avec l'augmentation de la fortune. La réponse la plus juste me semble être le barème progressif, parce que l'argent a une utilité marginale décroissante. Plus on a de l'argent, moins il a d'utilité, donc plus on est prêt à le céder en échange de biens, de services, ou d'un droit à commettre une action interdite. C'est pourquoi, pour compenser ce phénomène d'utilité marginale décroissante, il faut pratiquer un taux de sanction croissant. Un taux proportionnel ne permettrait pas de corriger ce phénomène, puisqu'il suppose que l'utilité marginale de l'argent est constante, ce qui n'est pas le cas. 

L'Etat devrait donc aussi vite que possible rendre variables toutes les sanctions financières qu'il inflige. Toutes celles qui sont à prix fixe risquent en effet d'être tenues pour de simples primes à l'achat d'un droit, ce qu'elles ne sont pas, de toute évidence. En effet, établir un prix fixe, c'est nécessairement encourager les individus à s'enrichir afin de pouvoir payer ces amendes, alors que le but des amendes n'est pas d'encourager à s'enrichir, mais à dissuader les individus de commettre de mauvaises actions. Les sanctions proportionnelles, bien que moins inadaptées, ne sont pourtant pas encore à la hauteur. Les sanctions progressives sont les seules justes. 

2 commentaires:

  1. Childebert l'Adopté6 novembre 2015 à 21:16

    Une sanction ne saurait être un prix pour obtenir un droit ! Si je gare ma voiture sur une place réservée, et même si je paye toutes les amendes qu'on veut bien m'imposer, ma voiture finira à la fourrière. Si je m'oppose, on m'enferme et si je résiste violemment on finira peut-être par me tuer sans que mes meurtriers ne soient pas poursuivis. Tel est l’État.

    Mais introduisons un peu de relativisme : tout dépend sans doute de la "gouvernementalité" qu'on considère, celle de notre cher premier ministre est celle de HOBBES, en majuscule (https://www.facebook.com/manuelvalls/posts/940155439398134), la tienne est visiblement la gouvernementalité libérale, mais je ne crois pas que le vocabulaire de la "sanction" lui convienne. Il n'y a que des incitations dans ce monde-là.

    Enfin, l'argent n'a pas une utilité marginale décroissante. Vois Frankfurt, Equality as a moral ideal.

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  2. Disons qu'un libéral supprimerait le mot sanction et le remplacerait pas incitation. Si le changement de terme ne produit aucun problème conceptuel, alors c'est permis. Justement, je suis d'accord pour dire que cela en produit un : la sanction est faite pour dissuader et pas seulement inciter, et l'Etat utilise toujours la force pour contraindre ceux qui ne se sentiraient pas incités. Mais à première vue, la comparaison n'est pas absurde.

    Concernant le relativisme, ok, mais là encore, dans les limites de ce que les différentes institutions et pratiques sociales peuvent permettre. Il me semble que cela ne laisse pas énormément de marge.On a un peu de mal à voir les amendes routières en termes de gestion politique de l'illégalisme. Des policiers qui ne mettraient des amendes qu'aux petites voitures abîmées, pour maîtriser la classe populaire... Absurde.

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