dimanche 11 septembre 2011

Le principe de non contradiction

Le principe de non contradiction est l'énoncé selon lequel deux propositions contradictoires ne peuvent pas être vraies ensemble, ou bien selon lequel la conjonction d'une proposition et de sa négation est nécessairement fausse. C'est le principe logique le plus fondamental, le plus indiscuté, et très certainement la condition de tout discours, de toute pensée sérieuse (avec le principe d'identité, un peu moins célèbre mais néanmoins important, qui énonce qu'une chose est nécessairement identique à elle-même, ou bien que rien n'est différent de soi-même). Il faut bien préciser "sérieuse", car il n'est pas impossible pour un discours de se contredire, il est seulement déconseillé de le faire, et chacun cherche, de manière générale, à ne pas le faire. En cela, le principe de non contradiction est une norme du discours et de la pensée, et non pas une description de son fonctionnement. On peut penser des choses contradictoires, et on peut dire des choses contradictoires. Le plus souvent, on le fait à ses dépends, sans s'en apercevoir. Mais rien n'interdit d'imaginer quelqu'un qui affirme deux propos manifestement contradictoires dans une même phrase, ou bien quelqu'un qui croit en même temps deux choses manifestement contradictoires.
Ainsi, le principe de contradiction n'est pas une description de nos pratiques, mais une norme pour ces pratiques. S'il faut parler de loi, alors le principe de contradiction est du côté des lois civiles et morales, plutôt que du côté des lois naturelles. Les lois naturelles ne souffrent aucune exception, leur contradictoire n'a jamais lieu. Par contre, il est dans le principe même des lois civiles et morales qu'elles puissent être violées, car c'est justement la possibilité de leur violation qui les rend utiles, qui rend nécessaire leur instauration. Les hommes peuvent se tuer, donc le meutre est interdit; les hommes peuvent se contredire donc la contradiction est interdite.

Pourquoi dire ceci? Parce qu'il est tentant de penser que le principe de contradiction est un principe empirique, un principe découvert par l'expérience. Mill pensait que le principe de contradiction pouvait être découvert par le constat que nous ne pouvons pas croire une chose et son contraire; et Husserl lui répondait justement que (en dehors du fait que ce constat, même vrai, n'impliquait rien) l'on peut très bien imaginer des hommes qui soient capables de croire deux choses contradictoires. La critique, que l'on trouvera dans les Recherches logiques (Prolégomènes à la logique pure; chapitre V) est juste, mais je laisserai de côté la thèse positive de Husserl, pour discuter non plus seulement les interprétations psychologiques du principe de non contradiction, qui sont manifestement indéfendables, mais les interprétations ontologiques, qui elles, paraissent avoir plus de force.

Une interprétation ontologique du principe de contradiction est aussi une interprétation empirique, dans la mesure où elle fait de ce principe un trait de la réalité, découvert après que le sujet a fait l'expérience de cette réalité. Il faut bien noter que cela ne signifie pas que ce principe soit contingent. Il se pourrait bien qu'aucun monde ne soit possible dans lequel le principe de non contradiction n'existe pas. Donc il ne faut pas conclure de manière expéditive de l'empiricité de ce principe à son caractère contingent. Il se peut que certains faits du monde soient nécessaires. Pour ceux qui désireraient aller plus loin sur ce sujet, il faut évidemment renvoyer à La logique des noms propres de Kripke, qui distingue la nécessité et la contingence d'une part, et l'a priori et l'a posteriori d'autre part. Le premier couple de notions est ontologique, il s'applique aux objets du monde actuel et des mondes possibles; le second couple de notions est épistémique, il s'applique à notre manière de connaître ces objets du monde. Or, selon Kripke, il se peut que certaines choses du monde soient nécessaires, bien que nous ne puissions les connaître qu'a posteriori, c'est-à-dire après en avoir eu une expérience. Pour un partisan de l'interprétation ontologique, le principe de non contradiction tomberait certainement dans la catégorie du nécessaire a posteriori.
Ainsi, on ne parlera plus de propositions contradictoires qui ne peuvent être vraies ensemble, mais plutôt d'objets qui ne peuvent jamais exister et ne pas exister en même temps. Cela paraît déjà plus sérieux. Car autant on voit facilement comment se contredire, autant on voit mal comment un objet pourrait être et ne pas être en même temps. Ainsi, en constatant que ce genre d'objet n'existe pas, mais également en constatant qu'il y a beaucoup d'évènements qui s'excluent les uns les autres, on finirait par comprendre la vérité du principe de non contradiction. On voit par exemple qu'un homme ne peut pas être vivant et mort à la fois; on voit que le temps ne peut pas être lumineux et obscur en même temps, qu'une eau ne peut pas être froide et chaude en même temps (l'eau tiède n'étant ni froide ni chaude, et pas les deux à la fois). Et par le moyen de ces expériences, qui portent d'ailleurs aussi bien sur des contradictoires que sur des contraires (c'est-à-dire des couples d'opposés qui admettent des intermédiaires), on aboutirait progressivement à l'idée du principe de contradiction. Or, que le principe de non contradiction nous ait été suggéré par l'alternance du jour et de la nuit, je n'en doute pas. Mais comme définition du statut de ce principe, cette interprétation est intenable.

Pourquoi le principe de non contradiction, qui certes s'applique aux choses mais pas seulement, n'est-il pas un principe empirique, un principe découvert par une enquête auprès des objets du monde? Tout simplement parce que pour constater que deux objets contraires ou contradictoires ne peuvent exister ensemble, il faut déjà avoir pu identifier ces deux objets comme contraires ou contradictoires, et donc déjà disposer de ce principe de non contradiction (ou d'exclusion mutuelle des contraires). Autement dit, le principe de non contradiction est une vérité posée d'abord, a priori, avant toute observation empirique, parce que ce principe est indispensable pour repérer certains objets comme s'excluant l'un l'autre. La simple observation, qui ne montre pas que des objets contradictoires s'excluent, mais seulement que certains objets s'excluent, ne permet de tirer aucune conclusion quant au principe de contradiction. 
On ne vérifie donc pas par l'expérience que les objets contradictoires s'excluent, on décrète arbitrairement que ces objets sont contradictoires, puisque l'on constate empiriquement qu'ils s'excluent, et que l'on a préalablement décrété tout aussi arbitrairement ce fameux principe d'exclusion mutuelle des contradictoires, le principe de non contradiction.
Donc, certes, je ne doute pas que la décision arbitraire de retenir ce principe nous ait été suggérée par des considérations empiriques. Mais il n'empêche que ce principe n'est pas prouvé par l'observation des choses, il est au contraire présupposé pour leur observation. Personne ne peut voir convenablement la nuit et le jour se succéder s'il n'admet pas le principe de non contradiction. Ce qui est une condition d'une observation ne peut pas en même temps être prouvé par cette observation. Ce serait commettre un cercle vicieux.

Ainsi, le principe de non contradiction est une convention qui définit ce que sont des objets ou des discours contradictoires. Le principe de contradiction énonce que si une chose existe, alors la chose qui n'existe pas est son contradictoire. Il énonce aussi que si une phrase est vraie, alors une phrase qui est fausse pendant que la première est vraie est sa contradictoire.

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