samedi 8 septembre 2012

Dieu et le contrôle des naissances

Il existe dans la plupart des religions monothéistes une opposition très forte et constante contre la totalité des instruments de contrôle des naissance, des techniques de procréation, et même des structures institutionnelles qui s'écartent du couple constitué d'un homme et d'une femme. Je voudrais soutenir que cette coalition contre tout ce qui s'oppose à la manière dite "naturelle" de faire des enfants n'est pas pas due au hasard, et qu'elle ne s'explique pas par des causes telles que le conservatisme, la peur du changement, la peur d'une sexualité libérée ou l'homophobie. Je voudrais montrer qu'il y a une raison profondément religieuse à adopter de telles positions sur ces sujets. Tolérer de telles pratiques reviendrait à saper les fondements idéologiques sur lesquels reposent ces religions.

Qu'est-ce qu'une religion monothéiste? C'est une religion dans laquelle un seul Dieu existe, qui est ou bien tout-puissant, ou bien d'une puissance immense. Ce Dieu a prévu le cours de la nature de toute éternité, et peut éventuellement intervenir par des miracles, s'il estime que les choses ne vont pas dans la direction souhaitée par lui. Je ne veux pas entrer dans les querelles philosophiques qui cherchent à savoir si le fait d'intervenir ponctuellement dans le monde serait un signe de force, Dieu étant capable d'infléchir les lois de la nature en faisant un miracle, ou si c'est un signe de faiblesse, Dieu n'ayant pas prévu un certain évènement et devant rectifier le cours des choses au fur et à mesure, par tâtonnement. Mon intention est seulement de présenter le dieu des croyants, qui sont moins pointilleux sur de telles questions. Dieu est grand et fort, peu importe ses modalités d'action.
Pour que ce Dieu ait une quelconque importance sur les vies humaines, il lui faut donc avoir régenté nos vies, savoir comment nous allons naître, comment nous allons vivre, comment nous allons mourir, et peut-être aussi ce qui va nous arriver après la mort. Autrement dit, nous avons beau prendre des initiatives, nous lancer dans des projets, tenter d'éviter les dangers, c'est au final Dieu qui choisit si nos projets aboutiront ou pas, si nous allons vivre jusqu'à cent ans et mourir dans notre lit, ou mourir à quinze ans dans d'atroces souffrances. Dieu choisit nos vies. Je ne veux pas aller jusqu'à soutenir que les hommes n'ont aucune liberté, mais soutenir quand même que cette liberté, aussi grande soit-elle, a des bornes indépassables. Si Dieu veut s'opposer à nos grandioses projets, il doit pouvoir les détruire d'un seul coup, en nous envoyant un quelconque fléau.
Pour Dieu, nous sommes donc des créatures, du bétail, des êtres à sa disposition. Et notamment, Dieu contrôle les moments de notre vie les plus fatidiques, à savoir le moment de la naissance, et celui de la mort. S'il a prévu des évènements avec grand soin, alors ces deux là en font partie.

Maintenant que l'on a brièvement décrit la nature des religions monothéistes, intéressons nous à la condition de l'homme moderne, à savoir les hommes tels qu'ils vivent depuis environ deux cents ans, et tout particulièrement les quelques décennies qui nous précédent. Les hommes ont été, du point de vue technique, extraordinairement créatifs. Ils ont été capables de produire de la lumière artificielle, des machines pouvant conserver le froid même à température ambiante, ils ont inventé des médicaments pouvant guérir ou vacciner contre un très grand nombre de maladies, se déplacer à grande vitesse ou communiquer instantanément sur de longues distances. Bref, selon le célèbre mot de Descartes dans la sixième partie du Discours de la Méthode, les hommes se sont rendus "comme maîtres et possesseurs de la nature". Nous connaissons les lois de la nature, nous savons les utiliser à notre profit, et nous n'avons plus du tout besoin d'invoquer le nom de Dieu pour faire réussir nos projets, dans la vie courante. Quand nous tombons malades, nous prenons un cachet, nous ne faisons pas une prière. Par conséquent, il est manifeste que nous sommes devenus les maîtres de nos vies, et ne dépendons plus de Dieu.
Ceci a été une première atteinte aux religions monothéistes. Descartes devait bien le pressentir, c'est d'ailleurs pour cela qu'il a écrit "comme maîtres et possesseurs" et non pas simplement "maîtres et possesseurs". Car pour lui qui était croyant, il était évident que seul Dieu est maître et possesseur de la nature, et certainement pas les hommes. Les hommes peuvent bien se comporter comme s'ils l'étaient, mais ne peuvent pas l'être réellement. Pourtant, comment ne pas voir qu'il est inévitable que les hommes, à force de vivre comme si Dieu n'était pas maître de la nature, doivent bien finir par imaginer que Dieu n'existe pas, ou bien est totalement retiré du monde, ce qui est quasiment synonyme. Car un Dieu qui ne fait rien, qui n'intervient jamais, qui ne punit jamais les méchants ni ne récompense les justes, est un Dieu trop abstrait pour emporter encore l'adhésion.

Nous tenons donc la véritable explication de l'opposition contemporaines aux techniques de procréation, de contrôle des naissances, etc. Car si Dieu a déserté le champ de la vie de tous les jours, il n'a pas encore complètement déserté ces deux moments fondamentaux que sont le moment de la naissance, et celui de la mort. Je ne dis rien sur la mort, l'analogie étant assez facile à faire. En se rendant maîtres des naissances, grâce à la domination des techniques scientifiques, des techniques institutionnelles, et à la rationalisation des comportements, nous chassons de nouveau Dieu d'une des dernières choses sur lesquelles il avait du pouvoir. 
Dieu et la technique sont des ennemis fondamentaux. Plus la technique a du pouvoir, plus l'homme prend le contrôle sur le monde, plus Dieu en est chassé. Dieu contrôlait encore les naissances, parce que l'on voulait que cette activité soit laissée aux hasards, aux rencontres, à l'amour qui est un sentiment difficile à contrôler. Or, tout ce que l'homme ne contrôle pas, Dieu le contrôle. Le mariage d'amour est contrôlé par Dieu parce que la raison technique de l'homme ne le contrôle pas. De même, la conception de l'enfant sans le moindre calcul, ni le moindre outil de contrôle est aussi quelque chose qui est dû au hasard, donc à Dieu. Dieu est dans le monde ce que les athées imputent au hasard; c'est pourquoi la mythologie du coup de foudre, de l'amour, et même du désir d'enfant conviennent très bien aux religieux. Car eux interprètent ces choses comme les marques de l'intervention divine : Dieu a fait que ces personnes se rencontrent, puis se marient, puis aient un enfant, etc. Par contre, si les hommes reprennent le contrôle de leur vie, choisissent rationnellement leur partenaire et le moment où ils vont avoir un enfant, s'ils vont même jusqu'à s'assurer de la viabilité de l'embryon (cf. le diagnostic pré-implantatoire), l'enfant n'est plus celui que Dieu a voulu, mais celui que les hommes seuls ont voulu et ont conçu. Cet enfant ne sera plus la créature de Dieu, mais le produit d'une décision humaine. Et en reprenant à Dieu le contrôle des naissances, après avoir pris le contrôle du reste de la vie (le moment de la mort étant lui aussi à notre contrôle presque total, puisque l'euthanasie est plus ou moins tolérée, et que les techniques de maintien artificiel de la vie sont très puissantes). Il ne reste plus rien à Dieu. 

Ainsi, un croyant devra nécessairement choisir entre Dieu et le contrôle des naissances. Cela peut étonner un philosophe que le préservatif et la fécondation in vitro soient des arguments plus puissants contre le monothéisme que n'importe lequel des arguments contre l'existence de Dieu. Pourtant, puisque Dieu est conçu comme le maître de la nature, chaque fois que nous humains devenons les véritables maîtres de la nature, c'est Dieu qui est chassé de la place où il régnait jusque là. Il existe bien entendu des croyants qui sont favorables au contrôle des naissances, mais il faut malheureusement dire qu'ils sont dans une posture contradictoire. En cette matière, ce sont ceux que l'on traite d'intégristes qui ont raison; à moins que chacun soit prêt à adhérer à un Dieu totalement abstrait, grand architecte des lois générales de l'univers, et laissant aux hommes toute liberté pour interférer dans le cours de l'univers. Mais il n'est pas possible de concilier un Dieu proche de nous, contrôlant ce qui se passe dans nos vies, avec notre tendance moderne à tout vouloir calculer et rationaliser et nos techniques puissantes de contrôle de la vie. C'est la religion ou la technique, mais pas les deux.
 Quant aux athées, ils ne s'opposeront pas vraiment à la rationalité technique, parce que, pour eux, réduire la part du hasard dans nos vies n'a pas une très grande importance. Tout au plus trouveront-ils qu'il n'est pas très "romantique" de choisir un donneur ou une mère porteuse sur un catalogue, ou de trier les embryons pour garder un enfant en bonne santé. Mais je tenais quand à faire le lien avec les croyants. Spinoza disait Dieu ou la nature. On pourrait ajouter Dieu ou le hasard. Les croyants opposent la technique à Dieu, les athées opposent la technique au hasard.

4 commentaires:

  1. Je ne suis pas certaine que les croyants soient en masse contre ces techniques, ce sont plutôt les institutions religieuses qui sont contre et sans doute pour les raisons que tu évoques.
    Il me semble que l'idée de contrôle plaise à tous les hommes, même aux croyants, et je ne pense pas que la foi véritable puisse être affectée par les aventures de la technique.
    Le hasard des athées n'est pas éradiqué totalement par la technique, les techniques de fécondation in vitro (FIV), par exemple, ne fonctionnent pas de manière égale sur toutes les femmes, les couples peuvent toujours se dire que c'est Dieu ou le hasard qui empêche la FIV de "prendre", ou qui fait que ça marchera à la troisième fois et pas avant!
    A partir du moment où la technique permet un certain contrôle des naissances, les institutions religieuses ne devraient même pas intervenir en sa faveur ou contre celui-ci, mais, comme elles sont obligées de reconnaitre la possibilité d'y recourir et leur succès général (pour la contraception, par exemple), elles devraient juste essayer de sauver la présence divine dans ces opérations: pourquoi pas les effets secondaires de la pilule (cancers...) comme châtiment divin, ou bien la pénibilité des traitement FIV comme réalisant l’adage « tu enfanteras dans la douleur ».
    Je ne pense pas que Dieu ni l'idée de hasard soient évacués par la technique, on peut toujours leur refaire un "nid", en mettant en avant l’ironie foudroyante de la puissance divine « pauvres mortels, vous avez cru pouvoir échapper à mon pouvoir, voyez ce à quoi vous vous exposiez en vérité ! ».

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  2. Ce que tu dis est à la fois vrai et tiré par les cheveux. Certes, le développement des techniques n'est pas une réfutation définitive de Dieu, et il est toujours possible de croire en lui, si on est prêt à le repousser dans les marges, comme tu le fais. Mais les gens ont du bon sens, une idée qu'il faut sans cesse corriger avec des ajustements ad hoc a tout l'air d'une idée fausse.

    J'ajouterais que, dans le schéma idéologique actuel, les religions sont condamnées. Car si elles pensent que les techniques les menacent, c'est qu'elles pensent aussi (sans le dire, bien sûr) que l'homme peut s'assurer une domination complète de la nature, donc que Dieu n'existe pas. Dire que tous les prétendus croyants sont aujourd'hui incroyants n'a rien d'original. Beaucoup avant moi ont remarqué que les croyants d’aujourd’hui refuseraient les miracles et les prophètes (cf. Dostoïevski dans Les frères Karamazov; Dreyer dans Ordet, pour citer les premiers qui me viennent à l'esprit).
    Bref, à notre époque, l'idée que la technique est toute-puissante règne, et cela est incompatible avec la religion. D'ailleurs, les écologistes aussi pensent qu'elle est toute puissante, puisqu'elle a le pouvoir de détruire la planète.

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  3. Les religions actuelles sont menacées, pour les raisons que tu as dites; mais on peut aussi voir la technique comme le révélateur des croyants véritables, qui, eux, résisteront à ses avancées.

    Les institutions religieuses, loin de se sentir menacées, devraient donc se réjouir des progrès techniques, qui écrèmeraient progressivement les croyants véritables...(si on suppose évidemment qu'elles ne cherchent pas d'abord un pouvoir qui serait basé sur le nombre de fidèles),la technique ne contreviendra jamais aux révélations, ne pouvant amener aucun démenti sur ce terrain-là, mais seulement aux croyances selon lesquelles Dieu aurait le monopole de la maîtrise de nos vies.

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    1. Tu intellectualise beaucoup la croyance, en cherchant à fixer une croyance qui passe à travers les mailles de la technique, et maintenant de la science historique. Certes, on peut toujours faire le récit d'évènements invérifiables, et pousser les autres à y croire.
      Mais ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel de la religion réside dans une posture éthique, une disposition d'esprit, faite de confiance dans l'avenir, d'abandon de soi, de refus de tout vouloir contrôler. La religion s'oppose à la technique parce qu'elle s'oppose au volontarisme. C'est pourquoi il me semble que les gens qui acceptent de laisser faire le hasard sont au fond très proches des religieux. Je pense que cette attitude est défendable. Alors que tenir des fables pour des faits est absolument délirant.

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