vendredi 14 septembre 2012

Esquisse d'un programme... (suite et fin)

J'avais tracé à grandes lignes les principales oppositions politiques dans ce post : Esquisse d'un programme de droite et de gauche. Puis j'avais tenté de synthétiser ces différents aspects, sous les notions d'individualisme et de libéralisme, ici : Esquisse d'un programme ... (suite). Dans ce post, j'avais réservé ma prise de position pour un moment futur, espérant peut-être échapper à cet engagement.
Mais cette belle prudence a volé en éclats lors de mon précédent post (La juste part du silence). Bien que son thème soit différent, il croise de manière évidente la question politique, et sa lecture suffit pour comprendre vers quel bord je penche. Mais je souhaite quand même l'écrire en toutes lettres, parce que cela clarifiera un autre aspect de cette opposition de la gauche et de la droite. 

Je voudrais commencer par la conclusion, et d'ailleurs retrouver une vérité qui peut paraître banale : la gauche croit en la politique, la droite croit en la morale. Un lecteur habile me rappellera alors que j'ai associé la gauche à l'individualisme, et la droite au libéralisme. Ce lecteur conclura alors que ma classification échoue complètement, parce que celui qui n'admet que l'individu comme entité de base ne doit faire que de la psychologie et de la morale, et pas de la sociologie et de la politique; et parce que, d'autre part, celui qui est libéral n'admet pas la domination d'un système moral, mais au contraire permet à chacun de vivre comme il l'entend.
Pour parer d'emblée à cette objection d'incohérence, je répondrais la chose suivante : l'individualisme n'empêche absolument pas la sociologie, ni la politique, il la facilite même. Lorsque tous les individus seront parfaitement libérés des emprises communautaires, et auront donc un comportement semblable aux autres, alors la tâche de la politique sera infiniment simplifiée. Ce n'est pas sans raison que l'économie, lorsqu'elle rêve de prédictions précises et d'interventions réussies, adhère au principe de l'homo economicus rationnel et caculateur. De plus, réduit à un tel comportement, l'idée même de morale individuelle devient ridicule; l'homme ne fait que maximiser son intérêt, et la politique doit seulement être un jeu d'incitations et de punitions pour diriger les comportements, pas une leçon de morale. Quant au libéralisme, il n'est certainement pas incompatible avec la morale. Nous confondons trop souvent le libéralisme avec la domination des valeurs bourgeoises et protestantes. Que chacun doive devenir un petit individu calculateur et égoïste n'est pas une valeur libérale, mais bel et bien une valeur bourgeoise. Le libéralisme accorde à toutes les entités collectives le droit de diffuser leurs propres valeurs, il n'est jamais à l'origine d'une interdiction. Le libéralisme permet même aux groupes de ne pas être libéraux en leur sein. S'ils veulent empêcher la libre expression et la libre constitution de groupes internes, rien ne les en empêche. 

Cette longue remarque étant close, il est temps d'en venir au cœur du sujet, à savoir le choix politique à faire (notez d'ailleurs comment, en matière de morale et de politique, il n'est jamais possible de parler de son propre choix, car ce choix-là a toujours la prétention d'être aussi celui que tous les autres membres de sa communauté devraient faire; c'est pourquoi le libéralisme mal compris : "je fais ce que je veux, et vous, faites ce que vous voulez" est impossible).
J'ai dit précédemment que les petites structures, avec des relations personnelles, étaient préférables, à la fois pour des raisons humaines (on peut y faire l'expérience du silence...), et pour des raisons écologiques, parce que les grandes structures font inévitablement peser de grandes menaces sur l'environnement. Or, les petites structures, dans lesquelles chacun connaît les autres favorisent la morale, et rendent inutiles la politique. La politique n'a de fonction que pour réguler les grands groupes, dans lesquelles les relations personnelles sont impossibles, et où il faut donc que des individus et des institutions soient spécialement chargées d'accomplir les tâches nécessaires au bon fonctionnement de la communauté. Dans un État, quand un individu a faim, il s'adresse à Pôle Emploi. Dans une petite communauté, l'individu qui a faim obtient des voisins et des proches de quoi manger, et peut-être aussi dormir. Dans un petit groupe, la politique est inutile, parce que chacun prend lui-même en charge de défendre ses intérêts et ceux de sa communauté. L'idiot du village a pu survivre avant l'invention des services sociaux et de l'humanitaire.
Je dois donc me ranger du côté des libéraux, méfiants envers la politique, et lui préférant la morale. J'y range en même temps Dewey, à qui je dois ce parallèle tracé entre d'une part politique et relations impersonnelles, et d'autre part morale et relations personnelles. Nous sommes à droite. 

Cela fait encore un propos extraordinaire de ma part, dira mon lecteur. Que je prenne mes positions est une chose, mais que je range Dewey à droite en est une autre, qui peut paraître inacceptable. En effet, Dewey a eu un engagement socialiste très fort, et est incontestablement une figure historique de la gauche américaine.
Est-ce une réfutation de ma distinction entre droite et gauche? Non. Tout d'abord, je ne prétends pas décrire exactement ce que sont les convictions idéologiques de la gauche et de la droite réelles, mais seulement dire ce qu'elles devraient être. Mais ce n'est pas une réponse suffisante, car j'ai pris soin à ce que mes catégories correspondent à peu près à celles réellement utilisées. Sinon, j'aurais simplement renversé les étiquettes, et cela aurait évité la conséquence gênante d'avoir à ranger à droite les personnes historiquement de gauche, et vice-versa.
La raison est plutôt la suivante : c'est une chose de décrire un projet utopique; c'en est une autre de savoir comment y parvenir. C'est une chose de savoir ce que nous voulons à l'avenir, c'en est une autre de savoir ce qu'il faut faire, hic et nunc, pour y arriver. Dewey est donc quelqu'un qui a un projet de droite, et qui a pensé, à tort ou à raison, que la gauche historique était la plus à même d'y mener. 
Et tant qu'à évoquer les contradictions, il faut mentionner celle-ci. L'écologie politique est une contradiction dans les termes. Si l'on veut vraiment préserver la biodiversité et l'état de la planète, la meilleure chose à faire est d'éviter la politique, parce que la politique présuppose les grands groupes, et que ce sont eux qui font peser la plus forte pression sur la nature. Lorsqu'il y a politique, il y a centralisation, donc gaspillage et pollution. Pourtant, si l'on adhère au projet écologique, il me semble de bon sens de voter pour le parti politique des écologistes, puisque c'est ce groupe politique qui le défend le mieux (si quelqu'un pense qu'un autre parti politique le fait mieux, il remplacera "parti écologiste" par celui qui lui convient; l'argument fonctionne quand même). 
Autrement dit, autant dans le socialisme de Dewey que dans l'engagement écologiste, il y a une tension, mais qui n'est pas une contradiction. On soutient à court terme un parti politique, tout en voulant à long terme le dépérissement du politique.

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