mardi 16 décembre 2014

Concepts empiriques et idéalités mathématiques

Je reprends ici les discussions du post précédent. L'enjeu était de montrer que le recours à des idéalités mathématiques est inutile, et repose sur une comparaison trompeuse avec les objets naturels. Je voudrais soutenir mon propos par une étude plus détaillée de ce qu'est un concept.

Soit une maison. 
Le concept d'une maison pourrait être : 
1) les caractéristiques structurelles, ou formelles, permettant la reconnaissance de la maison.
2) la fonction de la maison, en l'occurrence, y habiter.
3) la série des procédures permettant de construire la maison.
Bien entendu, ce concept étant empirique, et de plus, soumis à des contraintes culturelles et technologiques fluctuantes, le concept de la maison évolue et est en partie flou. Par exemple, il serait inenvisageable en Europe de construire une maison sans installer l'électricité, mais on pourrait admettre qu'une maison sans électricité en soit une. De même, la fonction d'une maison peut être détournée ou bien se rapprocher de la fonction d'autres structures (la différence entre une maison et un château n'est pas évidente : on peut habiter dans les deux de la même façon). Cependant, on a quand même trois manières bien distinctes de comprendre le concept d'un objet.
Tant que l'on est dans le domaine empirique, il existe toujours un lien, lui aussi de nature empirique, entre ces trois aspects possibles d'un concept. Étant donné une procédure de construction, il est possible de déduire la forme que prendra l'objet final. Autrement dit, la procédure donne la structure. De même, connaissant la structure, il est plus ou moins possible de comprendre la fonction. Ici, il y a évidemment plus de liberté, mais les propriétés structurelles ont quand même toujours un rapport avec la fonction. Les éléments structurels les plus essentiels d'une maison sont le toit et les murs. La raison est bien sûr que ce sont eux qui protègent du froid, du vent, etc. Je précise bien que tous ces liens sont empiriques, même le lien entre procédure de construction et structure, qui pourtant peut paraître de nature quasiment logique. Par exemple, dans une maison, il faut mettre du ciment à chaque couche de briques, de pierres, ou de parpaings. Que le ciment durcisse et permette à la maison de s'élever solidement est une vérité empirique. L'effet structurel du ciment n'est pas une vérité logique.

Mais venons-en maintenant au monde des idéalités mathématiques. Comment caractériser les concepts que l'on utilise en mathématiques? On a toujours considéré que les meilleurs entités pouvant prétendre au titre d'idéalité mathématiques sont les entiers naturels. Prenons donc le 2 (j'imagine que tout le monde voit à quel point le simple fait d'écrire "le 2", et j'ai hésité avec "le deux", défie les usages). Quel est son concept? Je reprends mes trois caractérisations ci-dessus :
1) la structure. Je peux certes reconnaître par leur structure deux pommes, deux personnes, etc. mais pas le 2, car le 2 ne se perçoit pas par les sens, ce qui m'interdit d'en voir la structure. Est-ce que je peux le voir par l'esprit? Non, car bien que ce soit une notion très facile à manipuler, il n'est pas du tout clair pour moi de savoir quand mes pensées portent sur le 2 lui-même, et pas sur autre chose comme deux choses pensées, l'opération d'ajouter deux à autre chose, un ensemble quelconque comprenant deux éléments, etc. 
2) la fonction. Je crois qu'il est presque impossible de répondre à la question de savoir à quoi sert le 2. Je pense que cette question n'a aucun sens. Le 2 est le résultat d'opérations arithmétiques, il est aussi un entier que je peux ajouter, retrancher, multiplier à d'autres entiers, etc. Mais ceci n'est pas une fonction du 2, mais seulement des opérations qui contiennent le 2 à titre de composant définissant la nature de ces opérations. 
3) les procédures. Enfin, les choses deviennent ici plus claires! Car il est très facile et compréhensible de caractériser le 2 par les procédures de construction. Il y a en beaucoup, et tout le monde les connait : 1+1 ; 4-2, 2*1, etc. Toutes ces procédures, en nombre infini bien sûr, en reviennent au même, puisqu'elles sont toutes des procédures aboutissant au même résultat.
Que peut-on déduire de ceci? Que ma conception selon laquelle les mathématiques ne parlent de rien, mais sont des règles relatives à la quantification (et à la construction de figures) ont l'évidence de leur coté. Car personne n'arrive à dire très clairement quel genre d'objets sont désignés par les termes mathématiques, et comment on peut connaître ces objets. L'intuition intellectuelle n'a jamais été très intuitive, c'est le moins qu'on puisse en dire. Par contre, quand on caractérise un terme mathématique par l'ensemble des procédures qui y mènent, on retrouve les opérations mathématiques habituelles et le mystère disparaît. Le terme sert seulement à fixer une identité aux procédures. Chaque fois que des procédures sont équivalentes, alors elles doivent produire le même terme. J'ai ici pris l'exemple des nombres entiers, mais on pourrait en dire autant des courbes représentant une fonction. La courbe permet de comprendre facilement ce que fait une fonction, si deux fonctions ont approximativement les mêmes tendances, ou pas. La fonction ne dessine donc pas de courbe dans le ciel des idées, nous avons simplement là une technique de représentation permettant de comparer des procédures de construction. 

La nature de l'erreur du platonisme mathématique est de concevoir les mathématiques comme la nature, et de s'imaginer que l'objet construit a une antériorité sur la procédure de construction. Il est vrai que, dans l'esprit de l'artisan, l'idée du lit préexiste le lit réel, et que c'est l'idée du lit qui guide le type de procédures à mettre en oeuvre. L'idée du lit, dans ma terminologie, c'est à la fois la structure et la fonction. L'artisan veut un lit en bois, suffisamment solide pour que de lourdes personnes puissent s'y coucher, et de ceci, l'artisan tire les procédures adéquates.
Mais en mathématiques, les choses se passent d'une manière très différente. Personne ne se représente des objets avant de mettre en œuvre des procédures. Et ceci, pour la simple et bonne raison qu'il n'y a rien derrière les procédures. L'objet mathématiques a une étiquette (ou une représentation graphique), et sa procédure de construction. Mais l'étiquette n'est pas une idéalité ; la représentation graphique non plus. Ces choses-ci nous servent à réfléchir, à obtenir des points de repos dans le raisonnement. Mais ces points de repos sont des pauses dans la construction, mais pas des idéalités. Quand je fais un calcul arithmétique long et laborieux, j'ai besoin de pouvoir m'arrêter un peu pour souffler et décharger ma mémoire, et je le fais grâce à un signe. Mais ce signe, ce "2", ne contient rien d'autres que toutes les étapes de construction qui ont mené jusqu'à lui. Il n'y a rien de plus, et surtout pas de nombre entier idéal.
Dans sa Lettre à Sophie du 12 juin 1700, Leibniz parlait des "pensées sourdes", qui sont "comme dans l'algèbre où on pense aux symboles à la place des choses". Leibniz a tout à fait raison : les symboles servent d'économie de pensée. Ils nous évitent de penser à des opérations qui peuvent être extrêmement longues. Mais les symboles mathématiques n'ont pas de référence.C'est leur différence avec les concepts empiriques. Et surtout, les représentations graphiques ne représentent pas des idéalités. Elles ne représentent que nos procédures de construction, mises sous une forme plus facile à lire.

10 commentaires:

  1. L'idée qu'un concept est une procédure de construction me paraît assez ridicule.
    Qu'est-ce que la procédure de construction d'un chien ? (C'est le schème de Kant ? Prenez une sensation de quadrupède, ajoutez un peu de sensation d'aboiement, mélangez le tout)
    Qu'est-ce que la procédure de construction de la joie ?
    Qu'est-ce que la procédure de construction de l'univers ?
    Qu'est-ce que la procédure de construction d'une procédure de construction ?
    Etc.

    Pourquoi le concept de deux, de paire serait-il plus obscur et éthéré que le concept de chien ?

    Tes distinctions introductives sont en fait un rappel des quatre causes d'Aristote !

    Les mathématiques semblent pour toi se limiter à ce qu'on apprend en primaire : les entiers naturels et les courbes (mais qu'est-ce que tu entends par là : un objet géométrique ou la représentation du graphe d'une fonction de R dans R, qui est un type de fonction parmi beaucoup d'autres ? Dans ce dernier cas, la courbe est un objet pédagogique, pas mathématique !).

    Limitons-nous donc à l'arithmétique, puisque apparemment c'est ce que tu as l'air d'affectionner. Une procédure de construction des entiers naturels suppose au moins un concept de 0, un concept de successeur, un concept de nombre. Mais tu sais parfaitement tout cela.
    Et pourtant, tu as l'air de croire que la procédure de construction se suffit à elle-même. La construction est capable de se construire toute seule ! C'est le sujet-substance hégelien, qui s'engendre lui-même et tout le reste avec lui.

    Si on prend le concept de base de l'analyse (qui porte fondamentalement sur le continu) : celui de limite, ou bien l'ouvert de la topologie, je ne vois absolument ce que peut être une procédure de construction numérique les définissant.

    je dois avoir mal compris, mais j'ai beau relire ton post, je ne vois pas la lumière.

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    1. Réponses à tes questions : la procédure de construction d'un chien, cela s'appelle la reproduction sexuelle, et c'est justement ainsi que la biologie contemporaine définit l'espèce ; la procédure de construction de la joie est de placer une personne humaine dans une situation qui le rend joyeux ; la procédure de construction d'une procédure de construction consiste à se représenter ou à rédiger une série d'étapes classées chronologiquement dont le dernier moment est l'obtention de l'objet recherché ; la procédure de construction de l'univers, c'est (à ce que j'en sais) ce que décrit la cosmologie : le big bang.
      Et oui, le concept de paire est plus éthéré que le concept de chien, parce que le concept de paire est (pour parler comme Frege) un concept de concepts, alors que le concept de chien est seulement un concept de premier ordre. Que l'on soit nominaliste ou platoniste en ontologie, on a donc nécessairement besoin de donner une analyse spécifique des entités mathématiques. On ne peut pas dire, comme tu le fais, qu'il n'y a rien de spécial avec les nombres.

      Tu peux prendre les objets mathématiques qui te plaisent, je n'y vois pas d'inconvénients. Je veux juste rappeler que la notion de fonction est extrêmement large, et qu'elle recouvre de nombreuses choses qui n'ont pas de rapport avec les mathématiques. Cf. Frege : un concept est une fonction de vérité. Les fonctions de vérité relèvent plutôt de la langue (naturelle ou formalisée) que des mathématiques.

      Ton argument sur la procédure de construction qui se construit elle-même est nul. Tu me ressort le bon vieux débat du fondationnalisme et du cohérentisme en plein milieu d'une discussion sur la nature des concepts. A moins que tu me montres précisément pourquoi ma conception des concepts serait particulièrement touchée par ce problème de la fondation, je considère que ces deux débats n'ont rien à voir.

      Tes remarques finales sur l'analyse et la topologie sont de mauvaise foi. Bien sûr qu'on ne construit pas un ouvert avec des nombres. On a besoin de la notion de fonction, et de constructions obtenues à partir d'elle. Les mathématiques sont au fond plutôt monotones. Elles procèdent toujours ainsi : prenons ceci ; si on lui fait subir cela, alors on obtient une nouvelle chose. Prenons cette nouvelle chose, et faisons lui subir cela, et on obtient encore une nouvelle chose, etc. La topologie est entièrement construite à partir des notions de la logique mathématiques. Chaque fois qu'on leur fait subir une nouvelle opération, on baptise le nouvel objet avec un nouveau nom.

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    2. Mais la reproduction sexuelle des chiens n'est pas le concept de chien !!!!????!!! Tu m'as donné une procédure de construction du chien, mais tu ne m'as certainement pas donné le concept de chien !
      Un chien incrée n'est pas un chien ? par ailleurs, la biologie ne définit pas les chiens par la reproduction sexuelle de chiens, ni même par l'interfécondité entre chiens ! Cela serait très circulaire.
      Le big bang ne fait pas partie de l'univers ?


      Si ta thèse est que les objets mathématiques sont tous issus d'une "construction" : comment construis-tu "zéro", "successeur", "nombre" ?
      Soit tu ne les construis pas, et alors on peut bien dire que les entiers naturels ne sont pas construits, et le platonisme est raisonnable ; soit tu les construis, à partir des notions ensemblistes, et on peut encore être un platoniste des ensembles.
      Comment peux-tu vouloir construire tout à partir de rien ? C'est insensé.
      C'est toi qui parles de construction de tous les objets mathématiques, cela te paraît nécessaire pour écarter le platonisme : à toi donc de montrer qu'on peut tout construire. Inutile de dire que tu as beaucoup de travail devant toi !

      D'après ce que tu dis sur le nombre comme concept de concept, tu as l'air d'adhérer totalement au logicisme, à la définition du nombre comme classe de classe. Mais je ne vois pas ce qui t'autorise à faire passer cette thèse pour une évidence. Tout ce que tu as fait jusqu'à présent, c'est asséner la thèse logiciste.

      Je maintiens donc (essentiellement pour les besoins de la discussion) qu'il n'y a rien de spécial avec les nombres, jusqu'à preuve du contraire.

      Plutôt que supposer ta thèse déjà établie, prends la définition mathématique d'une limite, et donnes-en nous une "construction" : je serai assez intéressé par le résultat. On ne peut y aboutir, je crois, par aucune opération. (Je pense que c'est la même chose pour la topologie, quoique je ne maîtrise pas le sujet)

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    3. Un chien incréé est-il un chien? Question difficile. Et un idée verte, est-ce une idée? Bref, essayons de rester sur des exemples acceptables par tous, sinon on va se perdre dans des questions ridicules. Il en est de même pour le concept d'univers. Je crois que ni toi ni moi n'en avons de représentation suffisamment précise pour que nous puissions en parler précisément. Et concernant la définition biologique de l'espèce, cf. Wikipedia, qui te fera changer d'avis.
      De toute façon, il te faut au moins un peu expliquer ce que tu entends par concept d'une chose. Est-ce un critère permettant la reconnaissance fiable d'une sorte de chose? Est-ce une règle permettant d'utiliser correctement un certain mot? Est-ce une image mentale représentant une classe d'objet? Car tu ne peux pas me répondre que je me trompe sur le concept de chien, si tu ne me dis pas un tout petit peu ce qu'on y trouve.

      Je me répète, mais cet argument de la régression à l'infini manque sa cible. Les concepts mathématiques les plus élémentaires pourraient bien reposer sur des constructions non mathématiques, comme par exemple des jeux d'écritures, ou bien reposer sur des perceptions extra-sensorielles, ou bien reposer sur des jeux avec des petites billes. Et ces jeux, eux-mêmes, reposeraient sur d'autres activités de construction, etc. à l'infini. Autrement dit, on ne valide aucune position philosophique particulière avec cet argument. De plus, où est le problème avec l'infini? Il faut bien que les interprétations finissent quelque part? Elles finissent dans des pratiques qui ne sont pas elles-mêmes le fait de suivre des règles.Voilà les notions primitives : des pratiques sans règle de construction, donc des pratiques non conceptuelles. Et une pratique non conceptuelle peut quand même être conceptualisée. Voici pourquoi il y a une apparence d'infini.

      J'ai quand même pris la conception des nombres la plus favorable au platonisme, ce qui peut difficilement m'être reproché, sachant que je prétends combattre le platonisme. De toute façon, elle est définitive et incontestable. 2, c'est l'ensemble de toutes les paires. On pourrait peut-être essayer de contester ce modèle ensembliste des nombres, mais si on l'accepte, on est aussi obligé d'accepter cette définition des nombres.

      Enfin, je sens que l'infini te tracasse, et tu y reviens cette fois de manière plus pertinente en me demandant de définir la limite. Et au passage, tu tentes de manière assez rusée de me réduire au silence en me posant une question qui excède mes compétences en mathématiques.
      Donc, je vais répondre sur un terrain strictement philosophique. Il est clair qu'il est exclu de fixer des procédures de construction infinies. Une procédure, par définition, est une suite finie d'instructions. Par contre, par définition toujours, une procédure est infiniment répétable (infiniment répétable ne signifie pas infiniment réussie). Une fois que l'on comprend cela, on devient capable de comprendre les notions "toujours", "jamais", "infini", "limite", "concept", "règle", etc. Donc, oui, il y a toujours plus dans la règle que dans les cas particuliers qui l'exemplifient. Mais ceci n'a pas de conséquence platoniste.

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    4. Tu confonds les mots et les choses, pour toi le concept de chien est la reproduction des chiens. Les Beatles sont bien d'accord avec toi : Lucy is a sky of diamonds ! Ou alors peut-être voulais-tu écrire de la poésie symboliste ?

      Mais soyons charitable, gageons que ce n'est pas le LSD qui a inspiré ce post. Par "procédure de construction", tu entends non pas les étapes de la construction elle-même, mais en quelque sorte le manuel décrivant ces étapes, ces procédures. Le concept de chien est un manuel décrivant les étapes (biologiques ? physiques ? ou simplement "pratiques" ?) par lesquelles deux chiens engendrent un chien. Si tu ne vois pas la circularité, nonobstant le décret de Wikipedia, autorité suprême du monde académique, on ne peut rien faire pour toi. Il y a évidemment dix mille objections dirimantes à ce genre de conception. En voici, en vrac : d'après toi, les enfants nés par FIV ne sont pas des hommes, seuls les médecins, les biologistes, ou les ingénieurs et fabricants pour ce qui est des artefacts ont des concepts, pourquoi ne pas revenir à la soupe primordiale d'où est issue la vie sur terre pour définir la reproduction du chien (car tout ce qui est nécessaire à la "construction" doit faire partie du concept ! Ou alors quoi ?)

      Mais cela me paraît tellement absurde que je n'ai pas tellement évident de m'étendre là-dessus.

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    5. (erratum : que je n'ai pas tellement envie)

      Passons aux mathématiques : je crois que tu ne mesures pas la richesse des mathématiques et l'absolue diversité de leurs objets, qui fait qu'il est tout à fait incongru, à mon avis, de vouloir tout réduire à l'arithmétique comme tu sembles vouloir le faire.

      A chaque fois que tu dis que tu répètes, je vois quant à moi un argument ou une considération tout à fait nouvelle. Qui a raison ? Qui est le mieux placé pour juger, l'auteur ou le lecteur ?

      On a l'impression que pour toi, toutes les mathématiques dérivent logiquement des opérations qu'on étudie en primaire, et que celles-ci se réduisent à des "jeux d'écriture", c'est-à-dire pour toi à quelque chose de fondamentalement non mathématique. Ce sont deux thèses très fortes, pour le moins, et je me demande bien par quels arguments on pourrait les établir. C'est un peu fort de les supposer admises !
      Ou alors, nous ne parlons pas de la même chose : je te parle de dérivation logique, tu me parles de genèse psychologique, empirique ? On apprend à compter avec des bouliers, c'est ce que tu veux dire ? Mais qu'est-ce que cela peut-il avoir à faire avec le platonisme ? En quoi la seule mention du boulier réfuterait-elle le platonisme ?
      Je me perds en conjecture.

      la définition logiciste des nombres n'est pas du tout intuitive, comme Russell le reconnaît lui-même (Introduction à la philosophie des mathématiques, chapitre 2 ou 3). C'est une très bonne raison de penser qu'elle n'est pas "le" concept du nombre, mais simplement une façon, sans doute problématique, de dériver les nombres à partir d'autre chose. Ce qui est tout à fait différent.

      la définition de limite, me semble-t-il, nous donne un bon exemple d'une situation où l'on ne peut comprendre une définition qu'en se réglant sur l'objet mathématique, lui-même, en un sens platoniste.
      la définition d'une limite en un point, pour une suite, nous dit qu'à partir d'un certain rang de la suite, il existe une différence aussi petite que l'on veut entre la limite et les termes successifs de la suite. Si je prends un petit nombre, tu pourras m'en donner un plus petit encore qui correspond à la différence entre le terme uN0 de la suite et la limite. On peut répéter cela à l'infini. Qu'est-ce qui nous le dit ? Eh bien, c'est l'objet lui-même, la "nature" de la suite.
      C'est l'objet qui vient d'abord et qui nous permet de comprendre pourquoi la procédure (prendre un nombre aussi petit que l'on veut) est infinie.

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    6. Réponse à la première partie de tes objections :
      Quand tu me reproches de confondre les mots et les choses, tu laisses penser que j'identifie les concepts aux choses, alors que j'aurais dû les identifier aux mots. J'assume entièrement la distinction que je fais entre les mots (ou, pour être précis, les termes généraux), et les concepts. Un mot est un signe, un concept est la règle d'usage d'un signe. C'est entièrement différent. Or, la règle d'usage d'un signe est nécessairement dépendante de nos capacités de reconnaissance ou de production des objets. Ainsi, que le contenu d'un concept soit donné par les étapes de production d'un objet ne me semble pas extravagant du tout. Je l'ai d'ailleurs déjà dit dans le post : les règles de reconnaissance d'une chose sont souvent très proches des règles de production de cette chose.

      Sur le concept selon toi circulaire d'espèce biologique, il y a, je pense, quelque chose d'important à en dire, mais j'y reviendrai ailleurs. Tu as l'air de dire que ce cercle est vicieux et qu'il faudrait abandonner cette notion. Je ne le pense pas.

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    7. J'essaie de résumer la discussion : tu disais que le platonisme est défendable, car les notions primitives comme le zéro ou l'opération "successeur" ne peuvent pas être mathématiquement construites. Il se pourrait donc que nous ayons besoin d'une intuition directe de ces notions pour faire correctement des mathématiques.
      Je t'ai répondu d'abord de manière assez générale en disant que cet argument relève de la discussion cohérentisme VS fondationnalisme, mais pas de notre discussion platonisme VS constructivisme VS conventionnalisme.
      Mais puisque cet argument ne t'a pas convaincu, je suis davantage rentré dans les détails, en te donnant quelques exemples de constructions des notions mathématiques primitives. Ces exemples avaient pour fonction d'être des contre-exemples au platonisme. Je ne me sens pas obligé d'assumer la vérité de leur contenu (surtout qu'ils ne sont pas compatibles entre eux). Je les mentionne juste pour signaler que d'autres analyses sont possibles, et qu'il faudrait d'abord montrer qu'elles sont incorrectes, avant de donner du poids au platonisme.
      Bref, il y a une vérité tautologique : les notions mathématiques primitives ne sont pas construites mathématiquement. Mais de cette tautologie, on ne dérive aucune thèse de philosophie des mathématiques.

      Je ne vois aucune bonne raison de penser que la notion mathématique de nombre devrait être intuitive. On a bien sûr une notion intuitive de nombre, mais ce n'est pas celle qui est utilisée en mathématiques. Celle des mathématiques a longtemps été primitive, avant d'être construite sur la théorie des ensembles.
      Ce reproche selon lequel je me limiterais à l'arithmétique est infondé. Une fois que l'on a admis la théorie des ensembles, on récupère une très grosse partie des mathématiques.

      Je ne comprends pas du tout pourquoi il y aurait quelque chose de particulièrement évident avec cet exemple des limites. Et puis, la manière dont tu le présentes me semble davantage valider la théorie constructiviste que le platonisme. Car ton propos consiste à décrire des opérations et des résultats d'opérations, et non pas un objet. La mention de l'objet arrive à la toute fin de ton paragraphe, et cette ultime phrase que tu ajoutes est parfaitement creuse.

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  2. J'ajoute que la symbolisation n'a absolument rien à voir avec la question de savoir comment définir une procédure de construction définissant une entité mathématique. La symbolisation n'a rien à voir avec ces procédures. Je peux signifier l'opération d'addition par "ajouté à", par "+", par "*", etc., le problème de savoir comment définir l'addition demeure toujours le même.

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    1. Personne ne conteste l'idée que la symbolisation est conventionnelle.

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