samedi 30 avril 2016

Dire que p et mentir au sujet de p

Je voudrais ici donner une explication de ce qu'est mentir, avec l'intention de mieux comprendre ce qu'est la croyance en la vérité, ce qui permettra de mieux comprendre la nature du mental

Mentir ressemble beaucoup au fait de dire quelque chose, mais il y a évidemment une différence. Pour expliquer cette différence, on pourrait penser que ces deux verbes désignent des actions légèrement différentes. Ainsi, "dire" et "mentir" s'opposeraient de la même façon que "dire" et "marcher".
Pourtant, ce n'est pas le cas. Car quand on marche, on peut ne rien dire, et quand on dit quelque chose, on peut ne pas marcher. Ces deux actions ne se recouvrent donc pas du tout, et les deux concepts n'ont pas du tout même signification. Par contre, pour "dire" et mentir", c'est autre chose. En effet, soit "p" une proposition quelconque. Pour mentir au sujet de p, il faut dire que p. Il est impossible de mentir sans avoir dit que p. C'est une condition nécessaire. Cependant, il ne suffit pas de dire que p pour mentir au sujet de p. Dire que p n'est pas une condition suffisante. Ce qu'il faut ajouter, c'est l'idée que le locuteur pense que p est faux. Dire que p, tout en pensant que p est faux, c'est mentir. Ainsi, on peut donner la définition suivante : mentir (au sujet de p) = dire que p + penser que p est faux.
Je précise immédiatement que ma définition n'est pas parfaite, notamment parce qu'elle ne permet pas de distinguer les cas d'ironie, les cas de plaisanterie, des cas plus typiques du mensonge dans lesquels il s'agit de tromper l'interlocuteur en lui laissant croire quelque chose que l'on pense faux. Pour la simplicité de la discussion, je ne mentionne pas l'intention du mensonge, ce qui serait nécessaire pour distinguer l'ironie et le mensonge. Je ne discuterai que cette définition générale, qui vaudrait donc aussi bien pour l'un et l'autre cas.
Une fois donnée la définition du mensonge, reste à expliquer le lien entre dire et mentir. Il semble que mentir soit une action qui diffère spécifiquement du fait de dire. Dire serait une notion générale, alors que mentir serait un terme plus spécifique. Parmi les autres espèces, il y aurait le fait d'enseigner, le fait de faire la réclame, le fait de prévenir ou d'avertir, le fait de tenter de convaincre, etc. Tous ces termes seraient différentes espèces du genre "dire".
Mais ça ne va pas, pour la raison suivante : tous les autres exemples donnés sont en effet des spécifications de l'action de dire. C'est par les adverbes et les informations contextuelles que l'on peut indiquer à quelle espèce de parole on a affaire. Par exemple, si, en salle de classe, une personne seule face à la classe dit que p, alors il s'agit du professeur qui enseigne à ses élèves que p. Si dans une salle de réunion, un commercial face à des clients potentiels dit que p, on comprend qu'il tente de montrer les qualités du produit qu'il doit vendre. Et dans chaque cas, la manière de dire et le contexte vont déterminer de quelle sorte de parole il s'agit. Et ces différentes espèces de parole sont sur un même plan. C'est pourquoi il est impossible d'enseigner et de faire la réclame en même temps. De même, il est impossible de prévenir d'un danger imminent ("un tram arrive à toute vitesse!" adressé à un passant distrait) et d'enseigner à la fois, etc. Dans chacun des cas, le contexte indiquera la signification précise de l'acte, mais l'acte ne peut pas recevoir des significations contradictoires. On est professeur ou commercial, mais pas les deux (en même temps),  commercial ou politique, mais pas les deux (en même temps), etc.
Au contraire, il n'y a rien de tel pour le mensonge. On peut être professeur et mentir, être commercial et mentir, faire une farce à un passant, etc. Le fait de dire la vérité ou de mentir n'est pas incompatible avec les différentes sortes de parole, mais est quelque chose de transversal, qui s'applique à toutes ces sortes. Dire la vérité et mentir ne sont donc pas des espèces du genre "dire", mais autre chose. Reste à déterminer ce qu'ils sont.

A ce stade, on peut affirmer que dire et mentir ne sont pas des actions différentes comme peuvent l'être dire et enseigner, ou dire et marchander, puisqu'on peut parler en étant sincère ou en mentant, qu'on peut marchander en étant sincère ou en mentant, etc.
Il faut quand même aller plus loin. Car il se pourrait que dire et mentir soient différents, mais pas dans le même sens que dire et enseigner. On pourrait suggérer que les différentes sortes de paroles sont déterminées par le contexte extérieur à l'acte, alors que le fait d'être sincère ou d'être menteur seraient plutôt déterminés par l'état psychologique du locuteur, donc non pas quelque chose d'extérieur, mais quelque chose d'intérieur. De cette façon, on peut comprendre le caractère transversal de ces notions.
On pourrait ainsi constituer une sorte de tableau à double entrée, avec en ligne les différents contextes, et en colonne les différentes attitudes du locuteur dans ces contextes. La spécification complète de la situation exigerait donc de tenir compte de ces deux dimensions : le contexte extérieur, et l'attitude intérieure.
Mais cela ne va pas, pour la raison que le mensonge n'est pas déterminé par l'attitude psychologique du locuteur. On peut mentir avec le même aplomb que celui qui dit sincèrement la vérité. Je ne sais pas si certains agents secrets arrivent à passer tous les détecteurs de mensonge avec succès, mais rien ne paraît conceptuellement l'empêcher. On peut imaginer qu'une personne ait passé tant de temps à s'entraîner et à répéter des mensonges qu'il peut ensuite prononcer ceux-ci exactement comme s'il pensait qu'ils étaient vrais. Il lui reste encore la pensée qu'ils sont faux, mais cette pensée est si abstraite, si théorie et lointaine qu'elle n'a plus la moindre force sur sa psychologie (un peu comme un événement d'enfance dont les autres ont été témoins, ce qui nous garantit de son existence, bien que nous ne puissions pas attester avec conviction qu'il l'est, car il a totalement disparu de notre mémoire).
L'exemple de l'agent secret ne suffit pas à montrer que la différence entre être sincère et mentir n'est pas empirique, car on pourrait tout à fait admettre que la différence entre ces deux "actes" est une différence contextuelle, et plus particulièrement historique. En effet, l'agent secret a été formé pour apprendre une légende à son sujet qui est entièrement fausse mais qui lui sert à cacher son identité d'agent. Il a appris et répété une fausse histoire jusqu'à ce qu'elle deviennent naturelle pour lui. Cette biographie explique pourquoi tous les propos qu'il tient sont des mensonges. Au contraire, si cette personne avait été enlevé par des extra-terrestres qui lui avaient implanté une puce sur le cerveau le poussant à raconter la même histoire que l'agent secret, alors cette personne ne mentirait pas, mais parlerait sincèrement, alors même que, dans les deux cas, l'histoire racontée soit fausse. Evidemment, cela ne veut pas dire que la dimension psychologique soit totalement inappropriée. Mais il me semble qu'il ne faut pas la couper de l'histoire globale qui inclut le contexte extérieur. Si la personne kidnappée par les extra-terrestres ne s'interroge jamais sur le récit qu'elle débite, elle est sincère. Si par contre, elle se met intérieurement à se questionner, à trouver ce récit étrange et incohérent par rapport à l'ensemble de sa vie, et qu'elle en vient à penser que ce récit est faux, elle mentirait si elle continuait à le raconter. Ainsi, la psychologie fait partie du contexte global et a souvent de l'importance pour déterminer si quelqu'un ment ou pas. Cependant, ce contexte global est loin d'être suffisant pour déterminer si elle ment ou pas. 
Le seul critère suffisant pour qu'une personne puisse être considérée comme en train de mentir, ou être considérée comme sincère, c'est que cette personne reconnaisse sincèrement ce qu'elle pense, si on lui demande d'en rendre compte. Or, ce genre d'épreuve ne peut pas être réalisée dans le monde réel, car la personne qui ment a intérêt à mentir, et il n'y a pas de raison que cet intérêt disparaisse par magie. C'est pourquoi, ce qui est décisif pour déterminer si une personne dit la vérité ou ment, ce n'est pas son attitude psychologique en mentant, ni même son histoire, mais ce qu'elle affirmerait dans une circonstance contrefactuelle dans laquelle la personne doit dire ce qu'elle pense vraiment de ce qu'elle raconte, donc dans laquelle elle répond sincèrement parce qu'aucune pression d'aucune sorte ne s'exerce sur elle. Il faut placer la personne dans un monde contrefactuel où tout intérêt et tout enjeu a disparu, et se demander ce que la personne dirait. Ce qu'elle dirait alors, c'est la vérité. Evidemment, ce genre d'expérience de pensée n'a jamais valeur de preuve. Ce n'est pas parce qu'on imagine que la personne ment qu'elle ment réellement. Mais l'impossibilité d'avoir une preuve est quelque chose de normal, et même de souhaitable, car ce manque de preuve fait partie des particularités de la communication humaine dont il faut rendre compte. Si nous avions une technique rationnelle de preuve de la véracité des personnes, c'est que nous serions en train de parler d'autres choses que d'humains!

"Dire que p" et "mentir (au sujet de p)" se distinguent seulement par les caractéristiques épistémiques de la situation. Par épistémiques, je veux dire relatives aux croyances des interlocuteurs impliqués dans la communication. C'est la croyance d'un locuteur à l'égard de ce qui est dit qui distingue ces deux termes. L'expression "dire que p" est neutre à l'égard des considérations épistémiques. La phrase ne renseigne pas sur ce que croit l'agent. Au contraire, "mentir (au sujet de p)" n'est pas neutre, l'expression précise que le locuteur ne croit pas ce qu'il dit. Et nous avons vu que ces considérations épistémiques ne sont pas des considérations psychologiques. Il n'est pas très important de savoir à quoi pense effectivement une personne quand elle ment. Il n'est pas non plus décisif de savoir ce qu'elle a vécu, sa biographie. Les considérations épistémiques s'établissent dans des conditions contrefactuelles : on détermine ce que croit une personne lorsqu'on peut déterminer ce qu'elle affirmerait si aucun enjeu d'aucune sorte, aucun intérêt pratique ou moral, ne la poussait à travestir la vérité. La seule méthode dont nous disposions pour établir des conditions contrefactuelles, c'est en y pensant, en faisant de petits expériences de pensée. Mais cela ne signifie pas que croire soit quelque chose de psychologique. C'est notre mode d'accès à nos croyances qui exige une opération psychologique, pas les croyances elles-mêmes. C'est si vrai que ce mode d'accès psychologique est exactement le même pour nos propres croyances et pour celles d'autrui. Quand on veux savoir si autrui nous ment ou est sincère, on l'imagine dans des conditions contrefactuelles où il n'aurait plus le moindre intérêt à nous mentir, et on imagine ce qu'il pourrait nous dire. S'il dit la même chose, alors il est sincère, ou du moins on peut le tenir pour sincère. Si par contre il dit autre chose, on peut deviner qu'il ment parce qu'il a intérêt à nous cacher quelque chose.
La compréhension correcte du mensonge exige donc une bonne compréhension de ce qu'est une croyance. Coire que p n'est pas un état psychologique, mais une disposition à affirmer p sous certaines conditions contrefactuelles, et c'est pourquoi dire que p et mentir au sujet de p ne se distinguent pas comme le font des actions, mais seulement de manière contrefactuelle. Dire que p et mentir au sujet de p sont exactement la même action. Mais placé dans des circonstances contrefactuelles dans lesquelles l'agent n'aurait plus d'intérêt à mentir, cet agent avouerait qu'il ment, et pourrait dire ce qu'il croit vraiment.

Je tire de ce petit parcours la conclusion suivante : mentir est un acte dont la différence entre dire la vérité est d'ordre contrefactuelle : dans une circonstance où les intérêts à mentir n'existeraient pas, l'individu sincère dirait la même chose, alors que l'individu trompeur dirait autre chose. C'est donc sur un plan non empirique que se distinguent le fait de dire que p, et le mensonge au sujet de p.
Ce plan non empirique est le niveau de l'interprétation des agents. Dans ce niveau, nous pouvons attribuer des croyances, croyances dont le contenu est d'être des dispositions à affirmer certaines choses, dispositions pouvant s'actualiser ou non selon les conditions établies dans chacun des mondes possibles.
Cette approche du mensonge est donc très éloignée d'une approche psychologique dans laquelle c'est la pensée de l'agent qui déterminerait s'il ment ou non. Cependant, il ne s'agit pas non plus de nier que les aspects psychologiques figurent au titre de conditions nécessaires au mensonge. Néanmoins, cette condition nécessaire psychologique ne suffit pas à déterminer la véracité d'un acte de parole. Seul le plan contrefactuel de l'interprétation le permet. 

2 commentaires:

  1. Amusant. Tu crois vraiment qu'on ment toujours par intérêt ? Qu'on voyage dans les mondes possibles pour détecter le mensonge ? Crois-tu vraiment pouvoir convaincre quelqu'un en te contentant d'affirmer ta conviction que les choses sont telles que tu les présente ?

    Pourquoi ne pas simplement admettre que le mensonge réfute ta croyance que les croyances sont d'ordre seulement normatif et non psychologique ? Pourquoi vouloir à tout prix protéger ta croyance contre la réfutation ?

    Je sais que tu écris à toute vitesse et sans considérations de forme, mais fais attention au style et à la syntaxe. On a du mal à prendre au sérieux quelqu'un qui écrit aussi mal. En particulier, le tic de langage "ça ne va pas", né dans ton écriture depuis quelques mois, est à proscrire. Non, en effet, ça ne va pas.

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    1. Admettons que mentir (au sujet de p) = dire que p + penser psychologiquement que non-p. Cette hypothèse ne tient pas du tout, il y a trop d'exemples qui la réfutent. Car il y a mille façons de penser à non-p (en disant que p) sans assumer la croyance que non-p est vraie. Il ne suffit pas d'y penser, il faut croire sincèrement. Le même problème qui se posait pour la parole se retrouve donc pour la pensée psychologique intérieure. Il faut quelque chose (un critère) qui fasse qu'un état psychologique soit bien une croyance sincère que non-p, et non pas la simple considération de non-p. Et ceci ne peut pas être un autre état psychologique, sans quoi on pourrait à nouveau soulever la même question : quel est le critère qui établit que cet état psychologique est bien une adhésion sincère et pas une considération neutre? C'est sans fin. Il faut bien, un moment ou un autre, faire advenir le normatif sur les pratiques. Je prétends qu'on peut le faire advenir au niveau des actes "extérieurs", qui n'ont pas besoin d'être fondés par des états psychologiques.
      Le fait de vouloir utiliser la pensée pour expliquer le mensonge me semble être une tentative de repousser ce problème de l'apparition du normatif. Exactement comme pour Dieu et le monde : par refus d'admettre que le monde existe sans raison, on créé un Dieu qui créé le monde intentionnellement. Mais le problème reste entier pour Dieu.

      Sur les mondes possibles, c'est une idée fraîche, pas encore très bien maîtrisée. Intuitivement, il s'agit de proposer une conception des mondes possibles en termes de fictions destinées à l'interprétation, plutôt que d'avoir une lecture plus réaliste qu'on trouve souvent en philosophie des sciences. Mais tout ceci reste encore vague.

      Sur mon écriture, bien sûr je fais un effort, qui est le compromis rationnel entre mon désir d'être lu et pris au sérieux, et mon incorrigible paresse.

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