jeudi 19 mai 2011

Scepticisme, relativisme, nominalisme

Avant de commencer à traiter du sujet de ce post, je voudrais faire un petit aparté concernant la lecture du blog en général. Les blogs autorisent la modification postérieure d'un post. Il est donc possible de corriger des fautes d'orthographe après avoir publié un post. C'est très commode. Mais, puisqu'il est possible de corriger des fautes d'orthographe, il serait aussi possible d'y corriger des erreurs philosophiques, des approximations conceptuelles, etc. En bref, on peut avoir une stratégie de correction par la réécriture du passé. Mais cela ne me semble pas être l'esprit du blog, qui invite, non pas à la correction du passé, mais plutôt à l'addition, à la correction par l'ajout présent. Bref, au lieu d'effacer mes erreurs passées, je me propose ici d'assumer ces erreurs, de les considérer comme passées, et d'ajouter présentement une nouvelle pierre à l'édifice, pierre chargée de redresser un édifice qui tendait à se courber, à s'affaiblir.

Mon erreur résidait dans mon usage extrêmement relâché de ces termes pourtant si centraux de scepticisme et de relativisme (cf. Le dernier dogme du scepticisme) . On ressent bien que ces notions sont voisines, mais l'on n'a pourtant pas le droit de les identifier. Je voudrais donc ici chercher à clarifier le sens de ces deux notions, afin de déterminer ce que précisément je critiquais, et ce qui est, précisément, ma position.

Par scepticisme, il faut entendre le refus des fondements, le refus de l'idée selon laquelle une affirmation pourrait être fondée sur quelque chose d'objectif, d'universel, d'absolument certain. Le scepticisme affirme que les certitudes sont seulement humaines, que l'on peut très bien croire quelque chose, avoir confiance en quelque chose, mais que cette confiance, aussi forte soit-elle ne signifie pas que l'on tient une vérité objective, quelque chose qu'il serait absolument impossible de nier. Ainsi, bien que l'homme doive évidemment avoir des croyances, ces croyances demandent de lui un saut au-dessus du vide. Il n'y a pas de filet, pas de garantie divine, pas d'essence ultime des choses. Néanmoins, le fait qu'il n'y ait pas de fondement signifie aussi qu'il ne peut pas vraiment chuter. S'il n'y a pas de vérité, il n'y a pas non plus d'erreur. Il y a seulement des choses insatisfaisantes, désagréables.

Par relativisme, j'entends plutôt, non pas une doctrine qui nie qu'il y ait une vérité qui puisse être fondée, mais la doctrine seulement laquelle la vérité est toujours relative à un certain point de vue, une certaine perspective. Le relativisme n'abandonne donc pas du toute l'idée traditionnelle de vérité, il dit seulement qu'il faut la restreindre, la relativiser à un perspective particulière. Le relativisme nie la vérité absolue, mais conserve la vérité relative. Il en résulte qu'il y a bien un fondement pour certaines vérités, et ce fondement est la cohérence logique, au sein de cette perspective, de ce paradigme. Un relativiste ne nie pas que l'on puisse progresser en matière de vérité, mais dira que l'on progresse seulement de manière interne. Le relativiste interdit les comparaisons entre paradigmes, entre perspectives, mais accepte parfaitement de dire qu'il y a progrès lorsqu'une perspective est étendue au moyen de la logique, ou par l'amélioration de la précision des mesures physiques, etc.

Ainsi, ce qui différencie ces deux types de position, dont la devise de l'une serait plutôt "rien n'est vrai", alors que la seconde dirait "tout est relatif", c'est le rapport au nominalisme. Le relativiste n'est pas particulièrement nominaliste. Il pense qu'il y a des classes, des genres permettant une comparaison d'entités semblables. Et c'est parce qu'il croit qu'il y a des regroupements possibles qu'il croit qu'il y a des paradigmes, qui sont autant de réalités objectives, au sein desquelles on peut circuler, et progresser selon le principe de la cohérence logique des énoncés. Un relativiste parlera donc sans problème de la physique d'Aristote, de son renversement par celle de Newton, puis celle d'Einstein, comme trois entités réelles, objectives, au sujet desquelles on peut dire plusieurs énoncés cohérents entre eux. On ne peut pas rassembler ces trois physiques sous un genre commun : comme le dit Kuhn dans la Structure des révolutions scientifiques, Aristote et Newton (lui parle alors de Galilée) ne vivent pas dans le même monde. Par contre, on pourrait ajouter à cette formule, qu'Aristote et Newton vivent quand même, chacun dans un monde. Il y a bien un monde d'Aristote, et un autre monde de Newton. Les deux vivent dans un univers cohérent, unifié par des lois universelles. 
Le scepticisme, au contraire, va adopter une position nominaliste, il va refuser tout regroupement, quel qu'il soit. Les différents énoncés de Newton ne sont pas en soi plus unifiés entre eux qu'ils ne le sont avec ceux d'Aristote. Ils ne sont pas en soi plus cohérents. Seul les hommes ont décidé, pour des raisons diverses, de trouver plus de rapports entre les différents énoncés de Newton, que de rapport entre un énoncé de Newton et un énoncé d'Aristote. Le nominaliste dirait que tout ressemble à tout sous de multiples aspects, qu'aucune classe n'est réelle, et les classes ne sont pas seulement des classes des choses naturelles. Un paradigme est aussi une sorte de classe, et les paradigmes n'existent pas plus que les classes. Il y a des rapprochements faits par les hommes en fonction de leurs besoins et de leurs habitudes, mais ces rapprochements ne sont pas fondés en réalité. Bref, le scepticisme, appuyé sur un nominalisme, nie la réalité des concepts et des paradigmes. 

Il en résulte que le scepticisme n'est pas un relativisme, puisque la vérité n'est relative à rien du tout. La vérité est à ce à quoi nous croyons fermement, pas la cohérence relative à un paradigme. Tous les énoncés sont sur le même plan, aucun n'est interne ni externe à une quelconque perspective. Autrement dit, le scepticisme a une conception absolue, et non pas relative de la vérité. Le sceptique ne parle que de vérité absolue, même si ce qu'il veut dire en disant vérité absolue est très différent de ce qu'un dogmatique peut entendre par là. Le scepticisme refuse les fondements, pas le caractère absolu de la vérité. 

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