samedi 15 novembre 2014

Le point de vue de la théorie du choix rationnel

La théorie du choix rationnel est une théorie qui exprime précisément la manière dont un individu prend ses décisions, compte tenu des informations dont il dispose sur le monde, et de ses préférences. Je ne souhaite pas en donner un compte-rendu formel et rigoureux, dans la mesure où c'est très bien fait ailleurs (voir par exemple Jon Elster, Rational Choice), et que je ne prétends pas ajouter quoi que ce soit à ce niveau. Mon objet sera plutôt de fixer le statut de cette théorie.
Je m'explique : la théorie du choix rationnel est-elle une théorie descriptive, ou bien une théorie normative? Elle serait une théorie descriptive si elle permettait de rendre compte du comportement réel des agents en situation. Or, il est évident que ce n'est pas le cas. Il arrive assez fréquemment que les agents s'éloignent du comportement qui maximiserait leur utilité. J'ajoute que la théorie distingue les situations à information parfaite, ou imparfaite. Bien sûr, personne n'a d'information parfaite. Cependant, même en admettant que l'information est imparfaite, les agents réels sont encore très loin de suivre les prédictions théoriques. Car il existe de nombreux cas où les agents font des fautes de raisonnement sur les probabilités, des cas où ils ont une aversion au risque (ils se contentent d'un gain inférieur pour annuler un risque), des cas où ils ont une aversion à la perte (ils restent sur une position perdante, pour ne pas matérialiser la perte), des cas d'incontinence (ils brûlent toutes leurs économies au casino), des cas d'auto-illusion (on se persuade qu'on ne désirait pas quelque chose parce que c'est impossible), etc. Ainsi, il est facile de conclure que la théorie du choix rationnel est normative : elle exprime les choix qu'un individu devrait prendre, les choix qui sont les meilleurs pour lui. Je précise bien que la théorie du choix rationnel ne se prononce pas sur les désirs, sur leur immoralité, sur leur stupidité. Elle se prononce seulement sur la valeur des choix que nous faisons, compte tenu des désirs que nous avons. Mais en ce sens là, la théorie du choix rationnel est normative.
Mais il faut aller plus loin, sur cette question. Car il y a un autre sens dans lequel envisager cette opposition du descriptif et du normatif. Décrire quelque chose, c'est toujours adopter un point de vue extérieur sur cette chose, point de vue que l'on nomme souvent "à la troisième personne". En ce sens, dire que la théorie du choix rationnel est descriptive, c'est dire qu'elle adopte un point de vue extérieur sur l'agent, et non pas le point de vue de l'agent en situation d'avoir à choisir. Inversement, le point de vue normatif est le point de vue "à la première personne", celui qui décrit ce que l'agent pense et fait pour choisir. Pourquoi considérer qu'il y a équivalence entre point de vue à la première personne, et approche normative de la théorie du choix rationnel? La réponse ne va pas de soi. Être un agent, c'est être sensible aux considérations normatives, autrement dit, aux valeurs de telle ou telle situation, ainsi qu'à la vérité de telle ou telle proposition. Cette sensibilité au normatif est liée logiquement au fait d'avoir à faire un choix. En effet, une chose accomplit une opération soit mécaniquement, soit par choix. Si elle l'accomplit mécaniquement, aucune considération normative n'entre en jeu, aucune raison ne sert à la décision, puisqu'il n'y a pas de décision. Il n'y a qu'un mécanisme causal qui produit l'opération. Par contre, faire un choix, c'est tenir compte de raisons de penser ou d'agir, donc tenir compte de la dimension normative des faits. Ainsi, rendre compte des choix d'une personne, lorsque ce compte-rendu est à la première personne, consiste à montrer les raisons que la personne a de faire tel ou tel choix, et, conséquemment, montrer que cette personne a pris une décision, et non pas que l'opération accomplie l'a été du fait d'un mécanisme causal. 
Pour le dire en des termes plus métaphysiques, le point de vue à la troisième personne, le point de vue descriptif, n'utilise que les notions relatives à l'explication causale (ou nomologique, si on est positiviste). Alors que le point de vue à la première personne, lui, utilise toutes les notions normatives : valeur, norme, raison, justification, vérification, décision, etc. Le point de vue à la première personne, surtout, implique logiquement l'idée de liberté. Je crois que c'est incontestable : si on peut agir en se déterminant selon des raisons, des valeurs, des normes, c'est donc que nous disposons d'une liberté à l'égard de la détermination causale. Ainsi, il faut adopter en bloc les notions suivantes : agentivité, personne, choix, liberté, raisons, valeurs, normes, etc.. Ces notions sont indissociables, toutes articulées les unes aux autres. Et j'ai montré par ailleurs (Langage et liberté) que ce point de vue me semble non éliminable. Dire qu'il peut être réduit au point de vue à la troisième personne, c'est dire quelque chose tout en supprimant les conditions de possibilité de l'action même de dire, celle-ci ne pouvant avoir de signification linguistique que si elle n'est pas une réaction mécanique. 
Revenons à la théorie du choix rationnel. La vision à la première personne cherche donc à caractériser l'agent en train d'agir. C'est complètement différent de la question de savoir si la théorie du choix rationnel est objective ou subjective. Car la réponse est qu'elle est toujours subjective. Il faut entendre par là que ce sont les désirs et le croyances qu'a l'agent qui sont pris en compte dans la décision, et non ce qu'il en est objectivement des faits. Si un agent croit qu'une action est irréalisable, alors il est rationnel qu'il ne mette rien en oeuvre pour la réaliser, même si cette action est objectivement réalisable. 

J'en viens maintenant à la réponse à ma question : la théorie du choix rationnel est une théorie normative et non pas descriptive. Car ce sont des raisons qui déterminent les agents, ces raisons étant le poids respectif des désirs, donc le fait que l'agent accorde plus de valeur à certains désirs qu'à d'autres. Et c'est aussi le fait qu'il considère certaines croyances comme vraies ou comme fiables qui le détermine à agir sur leur base. Autrement dit, l'agent de la théorie du choix rationnel fait bien appel à son sens des valeurs pour prendre une décision.
On pourrait cependant faire l'objection suivante : même si elle inclut une hiérarchie des désirs, et des calculs d'utilité permettant de mettre en balance la désirabilité d'une chose, et la probabilité de l'obtenir, la théorie du choix rationnel présente le choix comme le suivi strictement mécanique d'un programme. La théorie présente l'homme comme un ordinateur attendant des données en entrée, puis, en vertu d'un programme qu'il ne maîtrise pas du tout, produisant en output les données correspondantes. Les données produites sont toujours justes, mais parce qu'il n'y a pas vraiment eu de décision, mais plutôt un mécanisme causal implacable qui a conduit l'agent à produire ces données. Bref, il n'y a ni agentivité, ni liberté, ni choix en fonction de valeurs. L'agent rationnel est davantage une sorte de balance qui bascule du côté où le poids le plus lourd est posé, et non pas une personne qui réfléchit et prend des décisions.
Cette objection échoue, mais pour une raison qui mérite d'être évoquée. Elle rejoint les discussions sur la liberté, selon lequel c'est le fait que nous puissions faire le mal qui est le signe de la liberté. Pour certains, la liberté permet donc de faire le mal, ou de faire des erreurs. Les philosophes répondent parfois qu'être vraiment libre, ce ne peut pas faire un mauvais usage de sa liberté, donc qu'être libre, c'est bien agir. Cette réponse est tout aussi insatisfaisante. Ces deux opinions contraires ratent le point en jeu. La liberté n'a rien à voir avec le fait de tomber toujours juste, ou de pouvoir faire erreur. On peut être aussi libre dans un cas que dans l'autre. La liberté est la détermination par des raisons, et la non-détermination par des causes. Il se peut donc que les raisons d'agir soient si évidentes, que les agents agissent toujours de la même façon. Il n'y a aucun sens à dire que l'agent pourrait, malgré tout, agir différemment. Il y a des raisons si simples et si évidentes qu'il suffit de les comprendre pour savoir quelle décision prendre. Je suis enfermé dans un cachot, j'ai faim, je ne souhaite nullement mourir ni faire de grève de la faim, et la seule nourriture disponible est celle que le gardien vient de m'apporter. Ces raisons étant comprises, il s'ensuit nécessairement que je choisira i d'aller manger. On ne peut construire des possibilités différentes que si on ajoute de nouvelles raisons d'agir, bref, si on change l'histoire. Ainsi, on peut bien être libre et strictement déterminé, cela n'a rien de contradictoire. Cela n'est contradictoire qu'avec le fait d'être déterminé par des causes
Ainsi, la théorie du choix rationnel ne remet pas en cause la liberté de l'agent, donc ne remet pas en cause son agentivité. C'est pourquoi elle est bien une théorie normative. Elle inclut tout l'ensemble que j'ai déjà délimité : normes, valeurs, agent, liberté, etc. Et il est maintenant le moment de rappeler pourquoi elle est normative dans le sens plus courant du mot : elle définit ce qu'un agent devrait faire, et c'est pourquoi elle est déterministe. Elle fixe un programme rigoureux que les agents doivent suivre, pour faire leur choix. Chaque fois qu'ils s'écartent de ce programme, ils agissent mal. 

En résumé, la théorie du choix rationnel est une conception de l'identité personnelle. Elle fixe ce qui est le moi : un ensemble de croyances et de désirs, et des règles de calcul pour satisfaire ces désirs. Et elle délimite en contrepartie le non-moi : les normes sociales extérieures, les autres, mon propre corps. Pour cette raison, cette théorie est loin d'être complètement satisfaisante. Elle incite à un dualisme très platonicien entre le corps et l'esprit, et à une identification à l'esprit seul, le corps étant vu comme un facteur de trouble dans nos calculs idéaux d'utilité. Mais ce dualisme est très juste : "nous sommes automates autant qu'esprits".

8 commentaires:

  1. C'est dommage que tu ne fasses pas de mise au point sur ladite théorie, puisque tu suggères que tu es à l'aise avec elle, parce qu'il est difficile de savoir exactement de quoi tu parles.
    Ainsi, je ne pense pas que l'aversion au risque, par exemple, soit contraire à la rationalité au sens de cette théorie, et pour l'incontinence, l'illusion, etc., Elster en parle, mais je n'ai vu cela que dans ses livres.
    Tu devrais au moins citer les gens que tu critiques (citer des passages). J'ai l'impression que tu te bats contre des moulins à vent.

    Pour parler de ce que je connais un peu, la rationalité en économie, les économistes ne sont pas tout à fait bornés et savent bien que les gens ne ressemblent pas à l'homo economicus. La rationalité imputée aux agents l'est à des fins purement descriptives, mais elle ne décrit pas la motivation et la décision individuelle, la psychologie individuelle : elle sert à construire des modèles clairs et manipulables, dont on déduit des conséquences vérifiables quantifiées. Si les conséquences sont vérifiées (question très discutée), il ne s'ensuit pas que les agents sont rationnels, mais il s'ensuit qu'imputer la rationalité aux agents peut être une bonne façon de prédire des résultats.

    On se moque donc de ce qui fait agir les gens. Personne n'imagine que les gens font dans leur tête des calculs d'optimisation avec des fonctions à n variables !

    Quant à ton sophisme en faveur du libre arbitre, dont nous avons déjà discuté, il te force à dénier le fait que les ordinateurs parlent, et déjà plutôt bien.

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  2. Très rapidement, la TCR formalise la décision ainsi :
    1) l'ensemble des actions que l'agent estime réalisables.
    2) l'ensemble des croyances relatives aux conséquences que peuvent avoir ses actions, dans un contexte donné.
    3) l'ensemble comprenant une hiérarchie des actions réalisables, selon la valeur attachée aux conséquences attendues de chacune d'elles.
    La TCR annonce simplement que l'agent choisira l'action qui arrive en premier dans la hiérarchie. Et dans le cas où il existe des risques liées à l'action, l'agent cherchera à maximiser l'utilité (définie par le rapport entre la valeur du gain attendu, et la probabilité de l'obtenir), et non le gain "brut". Enfin, en cas d'incertitude (risque non probabilisable), la théorie ne dit rien.

    J'appelle aversion au risque cette tendance à préférer un jeu dont les gains sont faibles mais garantis, à un jeu où les gains sont beaucoup plus élevés, mais qui comporte une part de risque. Imaginons un jeu où j'ai le choix entre la certitude de gagner 50 euros, ou bien 1 chance sur 2 de gagner 110 euros. Un calcul tout simple nous montre que la seconde solution est préférable. Pourtant, à un tel jeu, je suis certain que beaucoup hésiteraient.

    Maintenant, j'arrive aux choses importantes. Ce que tu mets dans la bouche des économistes, c'est que la théorie est une rationalisation des comportements : bien que les agents n'aient pas été déterminés par les raisons que donne la TCR, leur comportement est globalement bien décrit par celle-ci. Les agents agiraient donc avec leurs affects, leurs instincts, leur flair d'entrepreneur, mais tout cela parviendrait à être capté par la TCR. Dans mon jargon, on dirait donc que la TCR est une théorie descriptive, à la troisième personne.
    Or, il me semble au contraire que la TCR donne aux agents des raisons d'agir, et qu'en cela, c'est une théorie à la première personne. Si un agent se met à raisonner avant de faire son choix, alors il doit accepter le modèle de la TCR, et accepter les conclusions qu'elle permet de tirer. Donc, certes, c'est une question empirique de savoir ce qui fait agir les gens, par contre, c'est une question philosophique importante de savoir ce qui doit les faire agir. C'est important de savoir ce qui est une véritable raison d'agir. La TCR fournit ces raisons d'agir.
    La TCR n'est donc pas une rationalisation des comportements, au sens d'un outil théorique pour décrire et prédire des comportements dont les causes sont tenues dans une boîte noire. C'est une théorie qui donne aux agents des raisons d'agir, donc qui les invite à se libérer de cette boîte noire, et à suivre les bonnes raisons d'agir.
    Tu ironises sur les gens qui feraient dans leur tête des calculs d'optimisation. Mais, c'est le cas, et on passe du temps à l'école et ailleurs à faire du calcul mental, à jouer avec la monnaie, etc. Et il est même devenu assez simple depuis que les calculettes et les ordinateurs nous donnent un coup de main de faire des opérations assez compliquées. D'ailleurs, j'ai ouï dire que les traders ont changé leur comportement concernant les produits dérivés, depuis que le modèle Black-Scholes a été publié, ce qui montre que les agents peuvent tout à fait suivre des modèles affreusement compliqués.

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    1. Je ne mets rien dans la bouche des économistes, je rapporte simplement ce qu'on m'a expliqué en cours d'économie. La théorie n'est pas vraiment une rationalisation des comportements : c'est un modèle. Les gens qui développent cela on une approche très poperienne de la théorie scientifique : on ne se demande pas ce qui se passe dans la tête des agents.

      Ta description ressemble à ce qu'on lit dans Elster, visiblement c'est ta source. Mais en lisant Sen à ce sujet, je ne trouve aucune mention des croyances. Ce n'est pas vraiment formalisable.

      Tout cela ressemble plus à ce que fait Gary Becker qu'à l'analyse économique ordinaire.

      Ce serait intéressant de reprendre les travaux de Becker à ce sujet.

      En économie, l'utilité n'est certainement pas "définie par le rapport entre la valeur du gain attendu, et la probabilité de l'obtenir" !!!! Je me demande d'où cela sort.

      Donnes tes sources ! N'hésite pas à citer in extenso.

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  3. Hors de question de rentrer dans les méandres de la TCR, d'une part ce n'est pas le sujet, d'autre part c'est une théorie extrêmement pauvre en contenu (c'est normal, ce n'est pas une critique). Elle se réduit juste à dire qu'un agent est rationnel s'il fait le choix qui est donné comme le meilleur par la théorie. Elle permet alors de faire quelques prédictions empiriques, si on connaît les croyances et préférences d'un agent, et qu'on suppose qu'il est rationnel. Inutile d'ajouter que le poids des conditions est tellement énorme, que vouloir quand même parler de prédictions est un peu ridicule.
    Soit dit en passant, voici une critique classique : la TCR ne peut pas distinguer un individu ayant des désirs normaux mais irrationnel, et un individu ayant des désirs étranges, mais rationnel. Cela laisse penser que la TCR est davantage un principe d'explication holistique (on explique les uns par les autres croyances, désirs, rationalité, et actes observables) qu'un principe permettant des prédictions.

    Par contre, en tant que norme de l'action, la TCR a une valeur. Car un agent connaît ses croyances et ses désirs, et la TCR lui indique alors ce qu'il est rationnel pour lui de faire. Ainsi, en se calquant sur les résultats de la théorie, il sait qu'il est justifié d'agir ainsi.

    Dernière chose : la référence aux probabilités vient simplement des théoriciens des probabilités subjectives, qui proposent une théorie de la décision, passant par la situation des mises dans un jeu. cf. Ramsey, surtout. Leur théorie explique (ma présentation est très informelle et incomplète) combien on peut miser dans un jeu, sachant le gain possible, et la probabilité de l'obtenir. Or, c'est cette théorie qui est parfois violée par les agents, qui préfèrent les petits gains sans risque, aux gains supérieurs à long terme, mais qui impliquent des risques.

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    1. "Elle se réduit juste à dire qu'un agent est rationnel s'il fait le choix qui est donné comme le meilleur par la théorie"

      Mais non ! Il ne s'agit pas de donner des certificats de rationalité ! On postule, au contraire, que TOUTE action est rationnelle ! Il s'agit d'expliquer l'action effectuée, à partir d'un certain nombre d'hypothèses fondamentales. En voici cinq, d'après Lina Eriksson, Rational Choice Theory, p. 17 (je traduis) :
      - les agents ont des préférences cohérentes
      - les agents maximisent leur utilité espérée
      - les agents sont dotés d'une rationalité instrumentale
      - les agents prennent leur décision sur la base de calculs de coûts-bénéfices et ou de raisonnements stratégiques
      - les agents sont égoïstes.

      Je maintiens que cette théorie n'est pas normative, mais descriptive. Quel sens cela aurait-il de déclarer que les agents doivent être égoïstes ? Un théoricien de la TCR n'est pas ipso facto un partisan d'Ayn Rand !

      L'ironie absolument délectable de l'histoire, c'est que tu ne peux considérer que la TCR est normative que parce que tu ne crois pas du tout en la TCR, que parce que tu la rejettes complètement !!!! En effet, la TCR ne peut avoir une portée ou un sens normatif que si elle est fausse dans son ambition descriptive ! Si tout le monde est rationnel au sens de la TCR, inutile de prescrire d'être rationnel.

      En fait, faire de la TCR quelque chose de normatif, c'est rejeter la TCR.

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  4. Sur les hypothèses d'Eriksson : les hypothèses 2, 3, 4 demandent à être examinées pour savoir si elles ne sont pas en partie redondantes. Il est vrai qu'elles sont au coeur de la TCR. L'égoïsme, par contre, ne semble pas nécessaire. Il est ajouté pour des raisons assez compréhensibles : les agents économiques sont mieux décrits en supposant qu'ils cherchent à s'enrichir personnellement, qu'en supposant qu'ils cherchent à promouvoir le bien commun en payant autant d'impôts que possible, ou en versant tous les bénéfices de leurs entreprises à des associations caritatives. Mais il n'y a pas d'irrationnalité à être un philanthrope. Bref, tu as raison : l'égoïsme est une considération descriptive, pas normative. Mais il n'a rien à voir avec la TCR.

    J'ai, dans le post, distingué un point de vue de l'agent (1ère personne) et le point de vue du spectateur (3ème personne). L'agent a justement ce souci d'avoir ce "certificat de rationalité". Et c'est pourquoi la TCR est normative. Être rationnel demande des calculs, et la capacité de surmonter de nombreuses tendances qui agissent contre notre meilleur jugement. C'est un effort, qui n'est pas gagné d'avance. Et c'est un effort impératif.

    On peut aussi se placer du point de vue du spectateur des autres agents. Dans ce cas, en effet, on suppose que les agents sont rationnels, et on interprète ensuite leur conduite en ayant posé ce principe de rationalité. Davidson inclut la TCR dans son principe de charité : quand on essaie d'interpréter l'autre, on doit postuler que ses croyances et ses désirs sont globalement cohérents, et qu'il agit conformément à eux. Mais bien sûr, ce postulat est souvent démenti par les faits. Ce n'est d'ailleurs pas un argument pour le rejeter, mais simplement un rappel pour ne pas confondre un principe méthodologique, avec une description du monde. Bref, même à la troisième personne, la TCR est normative et non pas descriptive : elle pose une norme de ce qu'on devrait s'attendre à observer, et non pas un jugement de ce qu'on observe réellement.

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    1. Vraiment, je n'arrive pas à comprendre pourquoi tu t'obstines à déclarer que la TCR est normative. On nous dit : les agents sont ainsi et ainsi. Où est la "première personne" ? Tu veux dire en fait que ces auteurs mentent et qu'ils nous livrent des prescriptions implicites sous des descriptions implicites ???

      Libre à toi de lire "doivent" là où tout le monde écrit "sont", mais n'appelle pas cela "théorie du choix rationnel".

      Ton rejet de l'égoïsme est tout à fait ad hoc : tu dis que l'égoïsme est important pour la description, mais tu ne le juges pas essentiel précisément parce que tu postules qu'il s'agit d'une théorie normative ! S'il s'agit d'une théorie descriptive, comme c'est le cas, alors l'égoïsme est important précisément pour la raison que tu avances.

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    2. Je m'obstine à dire qu'elle est normative parce qu'il me semble qu'elle touche quelque chose de profondément juste. Par contre, je ne tolère pas ce dilettantisme qui autoriserait qu'une théorie soit descriptive, alors que ce qu'elle dit, c'est : "voilà comment agissent les agents, souvent, mais pas toujours, et je n'ai aucun moyen de dire à quel moment les agents vont agir différemment de ce que je prédis".
      De ce point de vue, l'introduction de l'égoïsme ne change pas grand chose à l'affaire. C'est meilleur d'un point de vue descriptif, mais cela reste beaucoup trop approximatif pour qu'on puisse y voir une véritable théorie scientifique.
      A ce jeu là, autant ajouter que l'agent rationnel porte un costume et une cravate, ça me paraît encore plus solide d'un point de vue descriptif que l'égoïsme. Mais là, on verrait bien que l'ajout d'un contenu substantiel à la TCR est une bouffonnerie. La TCR est une théorie formelle de la décision, elle ne fixe aucune règle sur le contenu des désirs et des croyances (si ce n'est les règles formelles comme celles de transitivité des désirs, cohérence des croyances, etc.). Et c'est normal, car son but est de montrer ce qu'est une bonne décision.
      Au fait, que fais-tu de toutes ces cultures où les individus font des choix économiques franchement mauvais? Dirais-tu que la TCR ne s'applique pas à eux? Qu'elle ne vaut que pour le protestant wébérien bien éduqué? Ou vas-tu fabriquer des monstruosités ad hoc pour prouver qu'au fond, en dernier ressort, il y avait bien égoïsme et rationalité? Cela me semble absurde. Il vaut mieux dire tout simplement que la TCR s'applique aussi à eux, mais qu'ils ne le savent pas, de sorte que leurs choix sont très mauvais.

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