lundi 3 janvier 2011

La fête, l'écologiste, et le gaspillage

En période de fêtes, on souhaite généralement aux autres "joyeuses fêtes", ce qui n'est pas une pure formule de politesse, tant il est vrai que la plupart de nos fêtes sont joyeuses pour la plupart d'entre nous. Les fêtes sont liées aux périodes de repos, de réunion avec les personnes aimées, de cadeaux, etc. Noël ou le jour de l'an sont des jours joyeux, et il faut faire preuve de beaucoup de mauvaise volonté pour regretter la marchandisation de cet évènement, ou regretter la dictature de la fête imposée. Bref, une fête est pour nous un évènement joyeux, exceptionnel mais joyeux.

Cependant, le côté agréable et joyeux de la fête (c'est en ce sens que l'on parle d'un évènement festif) n'est absolument pas essentiel. Autant le caractère exceptionnel est vraiment nécessaire, une fête qui a lieu tous les jours n'en est pas une, autant le caractère joyeux ne l'est pas. La fête peut très bien être pénible, douloureuse, horrible. Je ne souhaite pas parler de fêtes trop lointaines, telles que les rites d'initiation, les meurtres rituels d'hommes ou d'animaux, les orgies, et autres pratiques mystérieuses et exotiques. Dans celles-ci déjà, on reconnaît le caractère franchement déplaisant et même dangereux de la fête. Je ne souhaite pas non plus parler des fêtes plus proches de nous, mais liées à des évènements en eux-mêmes peu agréables, comme les enterrements. Je voudrais parler d'une pratique courante et familière, celle consistant à décorer et accrocher des éclairages sur les sapins, les maisons, dans les rues, etc.
Ces pratiques paraissent plutôt plaisantes : il est plus agréable de vivre dans un milieu lumineux et décoré que dans un milieu sombre et vide. Pourtant, certains écologistes (ou plutôt certains grincheux) critiquent copieusement ces pratiques, vues comme dispendieuses et inutiles. En une période où nous avons le devoir de réduire notre consommation énergétique, cette débauche de lumière passe pour une véritable provocation. Elles le sont, il ne faut pas le nier. Mais il faut bien voir que cette critique des décorations de Noël n'est pas une critique d'une pratique particulière, mais une critique plus générale contre l'existence même des fêtes.
Car la fête n'est pas seulement une exception, elle est aussi un renversement de toutes les pratiques, toutes les manières de vivre. Ce qui est bien tous les jours de l'année devient mauvais une fois par an; ce qui est mauvais tous les jours de l'année devient bon une fois par an. La fête est le seul moment de l'année où le mal est, plus que toléré, exigé. Ici, cela signifie que le gaspillage de l'énergie, si condamnable le reste de l'année, devient bon quelques jours par an. C'est bien pour cette raison qu'une fête n'est pas toujours joyeuse ni plaisante. Une fête peut être rude, pénible, et nous demander de faire ce qui est mal le reste du temps. Donc, autant il est tout à fait raisonnable d'exiger que les décorations de Noël ne restent pas sur les arbres un mois et demi, autant il serait plus exigeant de renoncer à toute dépense excessive. La fête exige cette dépense excessive. Généraliser la fête, dépenser trop d'énergie tous les jours, est criminel, mais refuser qu'un jour par an soit consacré à l'excès, c'est ne plus ressentir un aspect essentiel de ce qu'est une fête.

Condamner les fêtes, c'est donc condamner la possibilité de l'exception, la possibilité de faire ce qui est interdit le reste de l'année. C'est ne plus vouloir garder qu'une version désamorcée de la fête, dans laquelle se maintient l'exception, mais dans laquelle cette exception n'est rien d'autre que le rare, et non plus le transgressif, le subversif. Et c'est aussi ne pas voir que notre liberté s'atteste dans notre possibilité d'agir différemment du reste de l'année, et surtout d'agir mal. Comment différencier un véritable écologiste d'un misérable avare? On les différencie justement à la capacité de l'écologiste de se relâcher une fois par an, de se laisser aller à un grand gaspillage, avant de revenir, le reste de l'année, à une discipline sévère. L'avare, lui, est incapable de se laisser aller à la dépense, même les jours de fête. Il agit bien par impuissance à agir mal. Ainsi, on fait la preuve de sa discipline en prenant plaisir, exceptionnellement, à faire le mal.
La fête est attestation de la liberté, que cette liberté soit plaisante, ou douloureuse.

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