L'ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l'ordre et la connexion des choses, dit Spinoza, dans la proposition 7 du deuxième livre de l'Éthique. Cette formule synthétise toute la théorie dite (plus ou moins inexactement) paralléliste. Les idées ne causent pas des états de choses, et les états de choses ne produisent pas d'idées. Les deux attributs suivent chacun leur déroulement propre, ont leur propre chaîne causale, indépendante de celle de l'autre attribut.
J'avais déjà eu l'occasion d'exprimer tout le bien que je pensais de cette idée (cf.Le plaisir et les endorphines). Il y a une véritable erreur de catégorie, ou une malhonnêteté intellectuelle, à mélanger ces deux registres explicatifs. Il y a un mode matérialiste, physicaliste de description de la réalité, et un mode psychologique, moral de cette même réalité, et les deux n'ont pas à interférer, sous peine de produire des non-sens. Il y a d'ailleurs ici une piste ouverte à creuser : doit-on dire que la réalité est de nature matérielle, la psychologie étant seulement un mode de description de la réalité, ou bien doit-on tenir le matéralisme seulement comme un mode de description de la réalité, à égalité avec le mode de description psychologique, et non pas une thèse exclusive sur la nature de la réalité? La première solution serait celle des physicalistes, alors que la seconde est plus spinoziste, puisque, chez Spinoza aucun attribut de l'unique substance n'exprime cette substance mieux que les autres attributs. Je laisse la question ouverte pour l'instant, et me concentrerai sur autre chose.
Mon objectif sera ici de critiquer cette idée selon laquelle l'ordre et la connexion des idées sont les mêmes que celles des choses. Ma critique portera sur l'idée d'ordre, plutôt que de connexion (car je ne sais pas trop ce que c'est, dois-je reconnaître avec une naïveté toute humienne). Cet ordre n'est pas du tout de même nature selon les attributs, et il devrait donc être impossible de les comparer.
Quel est l'ordre des choses matérielles? Cet ordre est celui du temps. Une chose en suit toujours une autre, et en précède toujours une autre. Donc, s'il faut parler d'ordre (et de connexion) des choses, alors il faut parler de la causalité d'abord comme d'un rapport de succession chronologique. Telle chose advient, telle autre suit, etc. indéfiniment. Pour être plus précis, on pourrait ajouter un rapport de contiguité spatiale. Une chose en cause une autre, si elle est située dans son voisinage immédiat. Ceci marche aussi bien pour des objets qui s'entrechoquent, que pour des champs de force, des ondes, etc. Ces champs aussi ont une position, et une évolution temporelle.
Mais quel est l'ordre et la connexion des idées? Ne se déploient-elles pas dans le temps? Non, ce serait confondre les hommes qui pensent avec la pensée elle-même. Certes, nous avons besoin de temps pour penser, mais l'ordre entre les idées est logique, et pas chronologique. L'ordre des idées n'est pas l'avant et l'après temporel, mais l'avant et l'après du point de vue du raisonnement. L'idée première est l'idée sur laquelle on bâtit un raisonnement, c'est-à-dire un axiome. L'idée première n'est pas la première idée qui nous est passée par la tête. Donc, certes les hommes ont besoin de temps pour penser, mais l'ordre des idées, en lui-même, ne prend pas de temps. Une démonstration mathématique en cinquante étapes ne demande aucun temps, juste une sucession logique d'étapes, à partir des prémisses.
On peut maintenant revenir à des considérations plus humaines, afin de montrer que l'ordre et la connexion des choses n'est pas celle des idées. Décrire scientifiquement des phénomènes, c'est décrire la position de chaque élément en fonction du temps. Celui qui a cette description complète a fini le travail. Décrire psychologiquement des évènements, c'est construire un récit qui puisse être racontable, qui ait un sens, et ce, grâce à une succession logique d'actions, de décisions, d'hésitations, etc. Dans un récit, la temporalité n'est pas chronologique, elle est avant tout logique. Les évènements doivent avoir lieu dans le bon ordre, même s'ils sont simultanés. En réalité, la décision et son application son simultanées. Pourtant logiquement, la décision précède l'application. Faire correctement le récit impose donc de dire qu'une personne a pris sa décision, puis s'est mise à agir.
Enfin, dans toute action orientée vers une fin, on doit bien dire que l'évènement à venir est la cause de la conduite présente. Dans une description matérialiste, ce n'est évidemment pas possible : le futur n'est jamais la cause du présent. Par définition, une cause précède toujours son effet. Alors que du point de vue logique, l'état futur du monde peut très bien être la cause d'une action présente.
En bref, l'ordre logique des idées est incommensurable à l'ordre chronologique des choses. Que l'on puisse assez ponctuellement trouver des points de rapprochement ne change rien à l'affaire.
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