mercredi 19 janvier 2011

A quoi ressemble une ressemblance?

La notion de ressemblance parait une notion capitale, parce qu'elle est, pourrait-on croire, au fondement de toutes les autres notions générales. Ce serait parce que nous avons la notion de ressemblance, notion primitive, que nous pourrions ensuite construire les autres notions, dérivées, en regroupant les entités qui se ressemblent sous un certain point de vue. Ceci signifie que nous sommes capables de percevoir cette ressemblance pour elle-même, et ainsi de ranger dans la catégorie déterminée tous les futurs objets qui se présenteront . Autrement dit, en percevant la ressemblance entre deux objets, nous abstrayons une propriété, qui sert de critère pour la subsomption des objets sous un concept. J'ai dans la main gauche une pomme Golden, dans la main droite une banane, et je peux en abstraire le concept de jaune, par ressemblance, et ainsi, à l'avenir, subsumer de nouveaux objets jaunes sous le même concept (je ne réponds pas ici au problème de savoir comment on a compris que l'on rassemblait les objets jaunes, et pas les fruits).
Cet argument pourrait avoir un petit parfum nominaliste (les classes n'existent pas en réalité, ce sont les hommes qui créent les classes, à partir des ressemblances qui les intéressent). En réalité, cet argument est très réaliste, puisque les hommes doivent posséder une sorte d'oeil de l'esprit, afin d'avoir l'expérience directe (pour parler comme Russell, dans Problèmes de philosophie, chapitre 9) de l'universel "ressemblance", et ainsi de voir, par le rapprochement de deux choses qui se ressemblent, une instanciation de cet universel ressemblance. Pour reprendre le très bon argument de Russell, si les classes sont construites par ressemblance, alors il faut déjà savoir ce qu'est la ressemblance, donc en avoir une saisie directe, avant de pouvoir construire la moindre classe. Dès lors, autant considérer que cette expérience directe s'étend à bien d'autres notions dont on voit mal comment on pourrait les acquérir autrement (infini, monde, âme, ou je ne sais quoi).

Je voudrais au contraire montrer que les classes ne sont pas construites par ressemblance, mais arbitrairement, et montrer ici, plus modestement, que le concept de ressemblance est appris bien après la plupart des autres concepts plus simples que nous utilisons. Mon hypothèse est que pour comprendre ce qu'est le concept de ressemblance, il faut déjà être capable de manier au moins deux concepts ordinaires.
Plus exactement, comprendre ce qu'est une ressemblance exige de faire une analogie. La ressemblance est certes une relation de deux termes (au moins), mais on ne peut pas voir ce qu'est la ressemblance seulement avec deux termes. Cela signifie qu'en rapprochant une pomme Golden et une banane, on voit certes le jaune, mais pas la ressemblance. Pour voir la ressemblance, il faut rapprocher deux choses en plus, par exemple une pomme royal gala et une fraise, de façon à voir le rouge. Et une fois que l'on a ces quatre termes, on peut comprendre ce qu'est la ressemblance. Lorsque l'on dit que la Golden est à la banane ce que la Royal Gala est à la fraise, on comprend que cette analogie parle en fait de ressemblance. C'est en voyant deux cas de ressemblances, mais portant sur des ressemblances différentes (tantôt le jaune, tantôt le rouge) que l'on peut comprendre ce qu'est la ressemblance en général. On a le concept de ressemblance seulement lorsque l'on peut comparer deux paires d'objets qui se ressemblent. Avec une seule paire, on ne voit pas de ressemblance, mais du jaune ou du rouge. Avec le rapprochement de deux choses jaunes et de deux choses rouges, alors on peut avoir l'idée générale de la ressemblance.

Par conséquent, et je m'excuse d'avance de l'ariditié du propos (on apprend plus vite la notion de ressemblance que l'on explique comment on l'apprend), cette notion n'est pas primitive, elle suppose déjà deux autres notions maîtrisées, et qui sont rapprochées comme deux cas différents de ressemblances. Autrement dit, pour voir à quoi ressemble une ressemblance, il faut deux ressemblances, donc quatre objets. Lorsque l'on n'a qu'une seule ressemblance, on n'a pas le concept de ressemblance, mais seulement le concept précis qui a été utilisé (jaune, rouge, etc.).
Cette position est bien plus nominaliste (je ne dis pas qu'elle l'est complètement), puisqu'elle ne suppose pas que l'homme serait capable de saisir l'universel ressemblance, ni que les choses partageraient des ressemblances réelles. Ressemblance n'est rien de plus que le nom que nous donnons à notre opération de regrouper les choses. Reste à montrer que ce regroupement se fait sans critère. Cela ne doit pas nous effrayer : si l'on commence à former des classes avant même de savoir ce qu'est une ressemblance, alors ces classes ne peuvent avoir été établies qu'arbitrairement. On ne dispose de critères (sous la forme de listes de conditions ou d'un paradigme) que si l'on maîtrise déjà la notion de ressemblance. Les opérations de correction, d'affinement, etc. ne viennent qu'après, quand les besoins s'en font sentir. 

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