lundi 24 janvier 2011

L'ontologie négative

Kant aurait, dit-on, distingué la métaphysique générale de la métaphysique spéciale, la première étudiant l'être en général, alors que la seconde étudierait des objets précis de l'être : l'âme, le monde, Dieu. Et Kant condamnerait la métaphysique spéciale, condamnée à des discours antinomiques, alors qu'il conserverait la métaphysique générale, comprise comme philosophie transcendantale. Kant proposerait donc une théorie de l'être, au moyen de ces concepts de phénomènes et noumènes. La réalité serait phénomènes, lorsque le sujet s'y rapporte, ou bien noumène, telle qu'elle est lorsque le sujet ne s'y rapporte pas, ou bien lorsqu'il s'y rapporte avec son entendement seul (ce qui, bien sûr, est impossible pour l'homme).

Je voudrais d'abord montrer que parler d'antinomie est assez trompeur, et qu'il vaudrait mieux dire que tout discours sur les objets de la métaphysique spéciale est impossible. Si l'on prend l'antinomie du commencement du monde, il faut plutôt dire que la notion de commencement est totalement dépourvue de sens appliquée au monde, parce qu'il n'y a tout simplement aucun terme qui puisse caractériser le monde. Ce terme de commencement décrit la naissance d'une chose, à partir d'un état où cette chose n'était pas là. Mais le commencement suppose toujours un espace et un temps préexistant. Pour que quelque chose commence, il faut qu'avant cette chose, il y ait déjà quelque chose, autre chose. Autrement dit, il n'y a de commencement que dans un monde, donc dans un espace et un temps contenant déjà des choses. Et le commencement ne concerne que les choses du monde, pas le monde lui-même. Le monde, par définition, n'est pas une chose qui serait incluse dans un autre monde, le monde est justement ce qui inclut toutes choses. Le monde est l'ensemble des choses, sans être lui-même une chose. C'est pourquoi le monde n'a pas de commencement. Commencer signifierait avoir un lieu et un temps, avoir quelque chose avant soi, alors que le monde n'a ni temps, ni lieu, ni rien avant lui. Il ne faut donc pas conclure stupidement que le monde est infini, puisque sans commencement. Le monde est sans commencement seulement au sens où César n'est pas un nombre premier. On ne peut évidemment pas conclure que César est divisible par un nombre inférieur à lui!

C'est pour cela que la manière néo-platonicienne de parler des objets de la métaphysique est au fond beaucoup plus juste. En parlant de théologie négative, et par extension, de cosmologie négative, on fait bien mieux comprendre que nos termes désignant les choses ne s'appliquent plus aux objets qui ne sont pas des choses, et donc qu'il convient de ne rien en dire. Et il faut refuser les analogies. Infini n'est pas utilisé de manière analogique pour parler du monde. Il n'y a rien du tout à dire sur le monde. 
Plus radicalement, il faut donc en conclure que le monde n'existe pas, car exister c'est être une chose, c'est avoir un lieu et un temps, or le monde n'est rien du tout, il est simplement un terme général désignant toutes les choses. Mais l'ensemble des choses n'est pas une chose, il n'existe pas. Et par là, il faut entendre que "exister" ne s'applique pas au monde  : il est faux de dire que le monde existe, faux de dire qu'il n'existe pas au sens où il n'y aurait rien.

On comprendra que je dois en conclure que la métaphysique générale, le discours sur l'être, est lui aussi absolument impossible. Il n'y a rien à dire du monde, donc il n'y a rien à dire de la réalité, ou bien de l'être. La réalité est l'ensemble des choses, mais la réalité n'est rien. L'être n'est pas, non pas au sens où le néant est, mais au sens où exister ne peut pas se dire de l'être. L'être se dit de toutes les choses, mais pas de lui-même, puisque l'être n'est pas une chose.
Au final, le désaccord avec Kant est assez superficiel. Kant aussi disait que des noumènes, on ne peut rien dire. L'ontologie ne saurait être que négative. Rien ne peut se dire de l'être. On ne parle que des objets de l'être, c'est-à-dire des phénomènes.

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